Époque victorienne

Ça gagne combien, un domestique de l’époque victorienne ?

Pour celles et ceux qui, comme moi, écrivent sur le XIXe ou sont tout simplement curieux de cette époque (ou de mieux comprendre certains films ou séries télé), je continue à explorer le sujet des domestiques.

Je m’étais déjà posée la question (ici) de combien on peut se permettre d’avoir de domestiques, pour en arriver à la conclusion que ça varie beaucoup en fonction de la taille ou du prestige de la maison et des besoins de la famille, mais aussi, tout simplement, des moyens dont on dispose.

Alors, ça coûte cher, d’avoir des domestiques ?


Le salaire d’un domestique, selon son poste

La hiérarchie d’une maisonnée

Je vous remets ci-dessous le schéma où j’expliquais comment était globalement organisée la hiérarchie domestique d’une grande maison victorienne (allez lire le reste ici pour la description des différents postes) (j’ai également fait d’autres articles sur certains postes en particulier : l’intendante ici, la still-room maid ici, la fille de cuisine ici, la dairy maid ici, le régisseur de domaine ici, la gouvernante ici).

Je vais vous citer ci-dessous des chiffres tirés du Livre d’économie domestique de Isabella Beeton, qui date de 1861. On s’entend qu’avec le jeu de l’inflation tout au long du siècle, ces salaires ont un peu évolué au fil du temps. Et puis un salaire tout seul, ça ne veut rien dire, on ne sait pas trop à quoi ça correspond (mais si vous voulez vous faire une petite idée du coût de la vie, voyez ici), par contre c’est super intéressant de les comparer entre eux pour mieux comprendre la hiérarchie qui sous-tendait tout ça.

Aussi, notez qu’on parle d’environ 10h de travail par jour, 6 jours par semaine.

Ouaip. La vie d’un domestique, c’était vraiment pas la joie…

Salaires annuels des domestiques hommes vers 1860

  • majordome : 25 à 50£
  • valet de chambre de Monsieur : 25 à 50£
  • chef cuisinier : 20 à 40£
  • jardinier : 20 à 40£
  • premier valet de pied : 15 à 25£
  • second valet de pied : 12 à 20£
  • cocher : 20 à 35£
  • palefrenier : 10 à 30£
  • garçon d’écurie : 6 à 12£

À PROPOS DU RÉGISSEUR DU DOMAINE : ce n’est pas un domestique, mais c’est quand même un employé, donc parlons-en.

Il gagne de 10 à 80£ par an (!!!). Si cette fourchette est aussi énorme, c’est tout simplement parce que son travail et ses responsabilités dépendent de la taille du domaine que possède son employeur, et si la charge de travail est lourde ou pas (beaucoup de gestion à faire, de loyers à collecter, de récoltes à engranger, de taxes à payer…). Et puis c’est un poste prestigieux qui peut être occupé par une personne d’un bon niveau social (voyez ici), donc le salaire va avec.

Salaires des domestiques femmes vers 1860

  • intendante : 18 à 40£
  • femme de chambre de Madame : 12 à 25£
  • nourrice : 15 à 30£
  • cheffe cuisinière : 11 à 30£
  • cuisinière : 9 à 14£
  • cheffe bonne : 12 à 20£
  • bonne : 8 à 12£
  • cheffe blanchisseuse : 12 à 18£
  • blanchisseuse : 9 à 11£
  • still-room maid : 9 à 14£
  • fille de cuisine : 5 à 9£

À PROPOS DE LA GOUVERNANTE : j’ai eu cette discussion en commentaires avec une lectrice du blog. Je n’ai pas d’information précise, je ne peux que citer le roman Jane Eyre qui dit que Jane est payée 30£ par an, dans les années 1840. Ça signifie un salaire un peu moindre que celui d’une intendante, mais supérieur à celui d’une femme de chambre personnelle, ce qui me semble cohérent.

Quelques précisions supplémentaires

Comme vous le voyez, pour un même poste le salaire peut passer du simple au double ! Ça dépend de l’âge, de l’expérience ou des références du domestique, ainsi que des moyens de l’employeur, de la difficulté ou non à trouver un candidat, de la ville ou de la campagne (tout est toujours plus cher, en ville). Il n’y a pas de règlementation, pas d’ordre professionnel, pas de conseil des prud’hommes, donc tout se joue au cas par cas.

De plus, il y a aussi d’autres éléments qui font varier le salaire :

Les extras

Si le domestique souhaite profiter des petits extras fournis par la maison où il est employé, on les retranche sur sa paye.

C’est quoi, au juste, ces extras ? Profiter d’une ration quotidienne de thé, de sucre et de bière. Ça fera bien 2 à 4£ de moins sur le salaire annuel.

HÉ OUI… Le thé coûte encore relativement cher (voyez ici), le sucre également. Quant à la bière, c’est la boisson des travailleurs – les maîtres boivent plutôt du vin – et on a pour habitude de servir une pinte de bière par jour à chaque domestique homme, et une demi-pinte pour les femmes.

Le vêtement de travail

Certains domestiques portent une livrée pour effectuer leur service. C’est le cas du majordome, du valet de chambre et des valets de pieds. Comme ils sont en contact direct avec la famille qui les emploie, ils se doivent d’être non seulement propres et bien mis, mais élégants et beaux à voir.

Hé bien, vous serez sûrement aussi surpris que moi d’apprendre que la livrée n’était pas toujours fournie par l’employeur, mais que, parfois, c’était au domestique de se procurer lui-même son beau costume. On a donc deux cas de figure : soit la livrée est fournie mais la paye annuelle est moins élevée, soit la livrée n’est pas fournie et la paye annuelle est plus élevée pour permettre au domestique d’amortir la dépense. Et un vêtement de ce genre, ça coûte cher, donc il faut bien compter une différence de 15£.

PSSSSST… Pour rappel, les uniformes noirs avec chemises ou tabliers blancs, ça ne date que de la fin du XIXe. Avant ça, les domestiques s’habillaient comme ils le voulaient, et il n’y avait que pour les valets qu’on vient de citer qu’on se posait la question de leur faire porter un vêtement plus élégant.

L’inégalité salariale hommes/femmes

Là, vous vous en doutez, on enfonce des portes ouvertes…

Les salaires des femmes sont toujours nettement inférieurs à ceux des hommes. Dans un groupe de domestiques, ce n’est pas facile de comparer car ils ont des postes genrés (un cocher est forcément un homme, une bonne est forcément une femme, et ils n’ont pas les mêmes tâches). Par contre, il y a un poste qui peut être occupé aussi bien par un homme que par une femme, c’est celui de chef(fe) cuisinier(ère). Et la source citée plus haut indique que si c’est un homme il gagne 20 à 40£, tandis qu’une femme seulement 11 à 30£.

C’est de toute façon le cas pour tous les emplois, y compris ceux qui ne sont pas genrés, comme les postes d’ouvriers dans les usines. Un homme gagne toujours plus qu’une femme, point. En général, c’est au moins un tiers de plus, voire la moitié.


À ce prix-là, combien peut-on s’offrir de domestiques ?

N’oublions pas qu’un domestique, ça ne coûte pas seulement un salaire annuel : son employeur doit également le nourrir, le loger, le blanchir. Et puis, pour chaque domestique employé, il y a des taxes à payer (et ça coûte plus cher d’avoir des hommes à son service que des femmes, voyez ici). Il ne suffit donc pas d’avoir 50£ dans sa poche pour pouvoir embaucher un majordome.

Imaginez que vous occupez un poste à responsabilités dans une banque. Ou alors vous êtes médecin. Ou commerçant. Ou un simple clerc de notaire. Bref, vous n’êtes pas un aristocrate ni un grand propriétaire terrien, juste un petit bourgeois, mais tout de même, vous gagnez un revenu honorable, vous avez une femme, quelques enfants et un joli appartement que vous louez en ville, et les moyens d’avoir en plus des domestiques pour vous rendre la vie plus facile. Voici des exemples de ce que vous pourriez vous permettre :

  • Avec 1.000£ par an : un cuisinier, deux bonnes, une nourrice, un valet de pied
  • Avec 750£ par an : un cuisinier, une bonne, une nourrice, un garçon à tout faire
  • Avec 500£ par an : un cuisinier, une bonne, une nourrice
  • Avec 300£ par an : une bonne à tout faire, une nourrice
  • Avec 150£ par an : une bonne à tout faire (et peut-être une autre fille pour aider à l’occasion)

Et si jamais vous avez la chance d’être un grand propriétaire terrien à la tête d’un vaste domaine qui vous fournit 10.000£ de rentes annuelles, alors vous aurez bien de quoi vous offrir 40 domestiques pour faire tourner votre luxueux manoir ancestral ! 😉 (plus d’infos à ce sujet à voir ici et ici)


En conclusion

Ça faisait longtemps que je n’avais pas mis autant de références à d’anciens articles, dites donc ! Mais il faut dire que tout est lié…

J’espère qu’avec ces quelques chiffres, vous arrivez comme moi à un peu mieux visualiser le contexte de l’époque. Je me suis attardée ici sur le milieu du XIXe, puisque c’est la date du livre que je cite, mais la situation n’a globalement pas tellement changé au cours du siècle. Oui, les salaires ont grimpé peu à peu avec l’inflation, mais ça ne voulait pas dire que les domestiques s’enrichissaient, loin de là ! Les pauvres ont continué à trimer du matin au soir, avec des conditions de travail pour le moins pénibles, et l’écart entre les hommes et les femmes ou bien entre le bas et le haut de la hiérarchie des domestiques est resté le même.

SOURCES :
Livre : Mrs Beeton's Book of Household Management par Isabella Beeton (1861)
What wages did servants get?
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