Belle Époque

Le slip de Superman et les « hommes forts » du XIXe

Aujourd’hui, on va parler de Superman.

Oui, parce que depuis peu je suis tombée sous le charme de Henry Cavill… Ah, ne me jugez pas ! D’habitude, les bodybuilders trop musclés dans son genre ne me font pas beaucoup d’effet, mais avec The Witcher j’ai commencé à le trouver intéressant (tout en espérant que la prochaine saison soit meilleure que la première sous bien des aspects, mais ce n’est pas le sujet).

J’ai donc fini – avec sept ans de retard, hum… – par regarder Man of steel. Superman, à la base, je m’en fous, c’est le genre de personnage sans relief qui m’ennuie. Par contre, j’ai quand même trouvé que le film était très esthétique, et j’ai beaucoup aimé le fait qu’ils aient enfin retravaillé son costume pour gommer ce bleu-rouge qui pique les yeux et lui enlever ce fameux slip qui fait que les enfants demandent souvent pourquoi Superman a mis sa culotte par dessus son pantalon.

Une histoire de héros costauds et de speedos qui nous ramène directement aux hommes forts de la fin du XIXe siècle… 😉


Les hommes forts

C’est quoi, ça, un « homme fort » ?

Comme son nom l’indique, c’est un homme doté d’une force physique hors normes.

Les hommes forts sont des performeurs qui se produisent dans des cirques ou des fêtes foraines pour faire des démonstrations de force brute : ils vont par exemple soulever des haltères ou des charges toujours plus originales et impressionnantes, tirer des voitures ou des wagons, briser des chaînes, retenir des chevaux qu’on lance dans des directions opposées…

Vers la fin du XIXe et début du XXe, ce genre de spectacle était très populaire : on payait sa place pour venir les voir, on faisait des paris, on organisait des compétitions, on mettait en concurrence deux athlètes pour voir qui gagnerait, ou bien on leur lançait des défis fous, et ceux qui réussissaient l’exploit pouvaient ainsi se faire un joli paquet de sous…

La caricature de l’haltérophile en justaucorps léopard, c’est ça, un homme fort.

À PROPOS D’HALTÉROPHILIE : Bien que des concours de levés de poids aient existé de tous temps et dans toutes les cultures, l’haltérophilie moderne trouve bel et bien ses racines dans les exploits des hommes forts du XIXe. Partant de là, elle s’est peu à peu structurée pour devenir un véritable sport : le premier champion est couronné en 1891, et elle devient une discipline olympique à partir de 1896.

Louis Cyr, l’homme le plus fort du monde

Au Québec, il n’y a pas que Céline Dion comme star internationale : il y a aussi Louis Cyr, très célèbre pour avoir été l’un des hommes forts les plus connus de son temps.

Né en 1863 au Canada (dans l’actuel Québec), le jeune Louis fait déjà preuve d’une force hors du commun quand, à l’âge de 8 ans, il tire tout seul du fossé un veau qui s’est embourbé et le ramène sur ses épaules. À 12 ans, il travaille dans un camp de bûcherons où il impressionne ses camarades, à 19 ans, il parvient à soulever sur son épaule une pierre de 233 kg (!!!), et à 20 ans, il part en tournée pour commencer des démonstrations de force. Dans les années qui suivront, il se produira dans différents cirques et finira même par monter le sien. Il fera des tournées au Canada, aux États-Unis et jusqu’en Europe, en réalisant des performances toujours plus impressionnantes et en battant des records toujours plus fous, avant de mourir en 1912, à 49 ans.

Quelques unes de ses prouesses :

  • soulever 219 kg avec un seul doigt
  • hisser à une main un poids de 124 kg au dessus de sa tête
  • soulever à deux mains un poids de 860 kg
  • retenir avec les bras, pendant 1 minute, quatre chevaux tirant dans des directions opposées (!!!)
  • lever avec son dos une plateforme où se tiennent 18 hommes debout, pour un total de 1942 kg (!!!). Plus tard, il soulèvera même jusqu’à 1967 kg (c’est presque deux tonnes !!!)

D’autres ont réussi par la suite à battre certains de ces records, mais Louis Cyr a conservé sa réputation d’homme le plus fort du monde, toutes époques confondues, probablement du fait qu’il était le premier à réussir autant d’exploits différents. On dit qu’il n’aurait jamais refusé un défi, et n’aurait jamais été battu par les autres hommes forts à qui il s’est mesuré.

La vie de Louis Cyr a été racontée dans un film sorti en 2013, avec Antoine Bertrand dans le rôle-titre. Si vous êtes curieux, vous le trouverez en streaming sur YouTube.

DANS LA GRANDE TRADITION DES HOMMES FORTS QUÉBÉCOIS, je ne peux pas ne pas vous parler d’un roman que j’ai A-DO-RÉ : La fiancée américaine de Éric Dupont. L’histoire d’une famille dans le Québec des années 1930 à 1980, dont le père, Louis Lamontagne, est un homme fort capable de tirer une voiture à lui tout seul jusqu’en haut d’une colline, gagnant ainsi le surnom de « Cheval Lamontagne ».

Lisez-le, c’est excellent !

Eugen Sandow et les débuts du culturisme

Parmi cette génération de performeurs de la Belle Époque, on en trouve un qui se démarque non pas par sa force brute, mais par son physique.

Contrairement à Louis Cyr, qui était un costaud bien enrobé ayant bâti sa carrière sur ses exploits, Eugen Sandow, lui, a plutôt le muscle « esthétique ».

Né en 1867 au nord de la Pologne (dans une région prussienne à l’époque, russe aujourd’hui), Eugen commence lui aussi sa carrière comme homme fort dans des cirques. Mais son physique de beau gosse fait que le public qui vient le voir semble plus admiratif de son corps que de ses levés de poids. Son impresario réoriente alors ses apparitions pour en faire plutôt une série de poses destinées à mettre en valeur les muscles.

Le reste de la carrière de Sandow se fera dans les salles de sport : il ouvre un centre de fitness à Londres vers 1895, développe une alimentation et des accessoires spécifiques pour l’entraînement, fait la promotion du yoga en l’incluant dans sa routine sportive, et en 1901 il organise la toute première compétition de bodybuilding. Il pose les bases du culturisme d’aujourd’hui, avec comme modèle l’idéal de beauté des statues d’athlètes grecs (Eugen travaillait son corps pour atteindre cet objectif-là).

Ouhlà ! On est dans les années 1900 et il n’a clairement pas grand chose à envier au calendrier des Dieux du Stade !

CYR CONTRE SANDOW ? Pour la petite histoire, Louis Cyr a longtemps challengé Eugen Sandow, en le mettant au défi de le battre en terme de force. Mais Sandow s’est bien gardé de répondre aux provocations et la confrontation n’a jamais eu lieu.


Des superhéros inspirés des hommes forts

La force avant tout

Apparus dans les comic books américains des années 1920-30, les premiers superhéros (dont fait partie Superman) sont justement des super héros, des surhumains, comme l’ont été avant eux les demi-dieux de la mythologie gréco-romaine par exemple.

La force est une de leurs caractéristiques principales, et c’est pourquoi ils sont très inspirés des performeurs des cirques, qui étaient la référence populaire à ce moment-là. Une rumeur (non confirmée) voudrait notamment que les deux créateurs de Superman se soient inspirés d’un homme fort, Zishe Breitbart, qui a fait une tournée aux USA en 1923 sous le surnom « The Superman of the Ages ».

Le costume bariolé

Murale publicitaire pour un spectacle d’homme fort. Comme un petit air de Captain America, non ?

Côtés vêtements, c’est pareil. C’est vrai, les couleurs primaires des costumes de superhéros sont surtout dues aux techniques d’impression limitées de l’époque, mais leurs costumes de carnaval, leurs gros muscles saillants, leurs collants et leurs slips portés par dessus sont directement issus de l’univers des hommes forts.

Rappelons qu’en Amérique du Nord, on baigne dans la culture puritaine anglo-saxonne. Il serait impensable qu’un homme montre directement son corps en public, ce serait indécent, surtout dans un cirque qui est une attraction familiale. Voir autant de peau nue, quelle horreur ! C’est bien trop sexuel, il y a des dames et des enfants dans la salle, voyons ! Pire : les épreuves de force attirent un public masculin, on se retrouverait donc avec des hommes qui admirent d’autres hommes à moitié nus, et ça pose un sacré problème pour l’époque en terme d’encouragement à l’homosexualité…

Par contre, on veut quand même pouvoir contempler leur musculature, puisqu’elle est en relation directe avec leur performance, c’est ce qui les distingue du commun des mortels. C’est pourquoi on couvre pudiquement le corps de ces messieurs avec des vêtements de type collants ou justaucorps, assez moulants pour qu’on puisse voir sans montrer (avec pourquoi pas des collants couleur chair si on veut faire encore plus illusion).

Cette pudeur, valable pour les hommes forts, sera valable aussi pour les superhéros de comic books destinés aux enfants.

Professor Attila (vers 1900), en collant et justaucorps couvrant. De son vrai nom Ludwig Durlacher, il fut le mentor de Eugen Sandow

Et puisqu’on parlait de slip…

Sandow en trunk léopard

Déjà, ce n’est pas un slip… 😉

C’est un trunk, autrement dit une sorte de petit short fait pour laisser à l’athlète un maximum de liberté de mouvement (on en utilise toujours aujourd’hui en boxe, lutte ou dans certains arts martiaux). Il a été créé spécifiquement pour les hommes forts lorsqu’ils se produisaient en public et, oui, il se portait par dessus les collants.

L’ÉROTISATION DU CORPS MASCULIN : Il faut souligner à quel point Sandow s’est détaché au fil du temps des hommes forts traditionnels. Il continuait à enfiler un trunk, mais il portait de moins en moins de collants, montrait beaucoup de peau, arborait un corps parfaitement imberbe (sauf ses belles moustaches, puisque c’était incontournable, j’en avais parlé ici), et sur certaines photos c’est à peine s’il cache ses parties génitales.

Là aussi, ça va avec l’expansion du culturisme, qui déshabille pour montrer le corps au maximum et se rapprocher des statues grecques.


En conclusion

À l’origine, Batman, Wolverine, Captain America, Iron Man et les autres portaient tous un trunk et des collants, mais ça fait un moment qu’ils ont été rhabillés. Les hommes forts sont désormais une référence trop lointaine, il fallait bien moderniser tout ça en faisant enfiler à ces superhéros des costumes contemporains, plus proches d’une combinaison de motard ou d’une armure high-tech.

Superman a été le dernier à franchir le cap, mais c’est fait. On l’a enfin débarrassé de son trunk rouge vif au profit d’une combinaison effet peau de requin plus sombre et pas vilaine du tout. Je ne suis toujours pas dingue de ce personnage (tellement parfait que ça le rend fade), n’empêche qu’il a de l’allure. Et puis, Henry Cavill, j’aurai toujours l’occasion d’en profiter dans d’autres rôles plus intéressants… 😉

SOURCES :
Wikipedia - Strongmen (strength athletes)
Wikipédia - Louis Cyr
YouTube - Louis Cyr, the strongest man in the recorded history
Wikipedia - Eugen Sandow
YouTube - The Rogue Legends Series - Chapter 1: Eugen Sandow
Wikipedia - Superhero
YouTube - Why Do Superheroes Wear UNDERWEAR on the Outside?!?
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