Service à thé, prendre le thé Jane Austen, victorienne
Époque georgienne,  Époque victorienne

Prendre le thé au temps de Jane Austen

On imagine toujours les héroïnes de Jane Austen prenant le thé entre amies, l’après-midi, dans des tasses de dînette, avec quantités de petits gâteaux, scones, brioches ou confitures, tout en s’échangeant les derniers ragots de la région.

Malheureusement, cette bien jolie image est fausse, car elle date en réalité de l’époque victorienne.

Oui, on buvait du thé tous les jours, en Angleterre, à l’époque de Jane Austen. Simplement, ce n’était pas le même cérémonial.


Le commerce (fluctuant) du thé

Un produit qui vient de loin

Depuis l’Antiquité, ce sont les Chinois qui cultivent et boivent du thé, suivis des Coréens et des Japonais. Ce n’est qu’à partir de la Renaissance qu’on commencera à importer ce thé en Europe.

Mais, justement, ce thé est importé. Cela signifie qu’il coûte une petite fortune car il vient de l’autre bout du monde, et en plus il est horriblement taxé. Vers 1780, on paye 119% de taxes ! Imposer ces frais exorbitants, c’est d’ailleurs l’élément déclencheur du Boston Tea Party en 1773, où des cargaisons de thé sont jetées à la mer en signe de protestation des colonies américaines contre une nouvelle hausse des taxes par le roi d’Angleterre (et ça a mené à la guerre d’Indépendance des États-Unis, mais je m’arrête là car je m’écarte du sujet 😉 ).

PRÉCISION : Ce n’est que pendant l’empire colonial de Victoria qu’on se mettra à cultiver massivement le thé en Inde ou à Ceylan (Sri Lanka). Jane Austen, elle, n’a bu que du thé de Chine ou du Japon.

Fraude et contrebande

Le thé est très populaire. Il est consommé par toutes les classes sociales, mais comme tout le monde n’a pas les mêmes moyens financiers, cela favorise largement le thé de contrebande ainsi que le thé frelaté (mélangé à des feuilles de sureau, frêne, hêtre, aubépine, églantier…).

Au début du XIXème, pour lutter contre ce trafic, le roi baisse enfin drastiquement les taxes. Mais ça ne suffit pas à éradiquer la contrebande et, de toute façon, c’est la Compagnie des Indes Orientales qui possède le monopole sur ce produit et qui impose ses prix… Bref : l’Angleterre cherche à développer et à s’imposer sur ce marché-là, mais c’est encore instable.

Tout ça pour dire que le thé, bien que répandu, reste un produit cher, et qu’il n’est pas question d’en gâcher la moindre miette.


Le tea caddy

Le thé étant précieux, on le conserve dans un tea caddy, une boîte spéciale fermée à clé dont seules certaines personnes responsables et dignes de confiance ont la clé : la maîtresse de maison, ses filles, ou encore une intendante ou une domestique désignée juste pour ça (car, oui, c’est un travail de femme de préparer le thé).

La boîte est parfois joliment décorée pour être exposée dans le salon. Elle est ainsi à portée de main, tout en étant un signe social indiquant qu’on a les moyens de se payer du (vrai et bon) thé.

Boîte à thé du XIXe siècle, fermée à clé, appelée un tea caddy
Boîte à thé du XIXe siècle, fermée à clé, appelée un tea caddy. Deux compartiments pour le thé et un pour le sucre.
Boîte à thé du XIXe siècle, fermée à clé, appelée un tea caddy. Deux compartiments pour le thé et un pour le sucre.
Cet exemplaire dispose de deux compartiments sur les côtés pour différencier le thé vert du thé noir. Au centre, un contenant pour le sucre.
Mais un tea caddy n’est pas toujours aussi élaboré : il peut aussi s’agir d’une simple boîte dans laquelle on ne met qu’un seul thé.

Le mot caddy vient du mot malais kati, qui désignait une mesure de thé d’environ une livre (450g), ce qui était la contenance habituelle d’un compartiment.


D’abord 1 infusion… puis 2… puis 3…

Avec un produit précieux comme ça, vous vous doutez bien qu’on ne va pas jeter négligemment les feuilles après les avoir fait tremper 10 ou 20 secondes…

La première infusion (la meilleure) est réservée aux maîtres de la maison. Les domestiques peuvent ensuite récupérer les feuilles et faire une deuxième infusion pour leur propre consommation.

Mais il arrive aussi que l’on récupère les feuilles infusées, qu’on les fasse sécher, puis qu’on revende à nouveau ce vieux thé sans saveur pour quelques piécettes. Distribué sous le manteau, peut-être additionné d’autres végétaux, cela pouvait contenter les familles plus pauvres.


Le thé, une boisson comme les autres

En 1810, on boit donc du thé. Mais pas forcément l’après-midi.

En fait, il n’y a pas de règle. On peut boire du thé fort le matin pour se booster avant de commencer sa journée, ou bien en accompagnement des repas, ou bien l’après-midi tout autant que le soir. Le thé se boit de la même façon qu’on boit du café, du cacao ou des alcools, c’est à dire à n’importe quelle occasion. Le but est surtout de ne pas boire d’eau plate, car elle n’est pas toujours potable, alors si elle n’est pas bouillie on risque fort l’intoxication alimentaire (voyez ici le problème de l’eau potable).

Pendant tout ce passage du XVIIIème au XIXème siècle, la consommation du thé est en train d’exploser et la Compagnie des Indes Orientales l’importe de Chine en énormes quantités. Mais ce n’est vraiment qu’après 1834, lorsque cette entreprise perdra son monopole sur le marché chinois (et, plus tard, indien et sri-lankais) et que le marché s’ouvrira à la concurrence, que les prix baisseront pour de bon et que les Anglais intègreront cette boisson à leurs habitudes de consommation et leur culture, au détriment du café.


D’où vient la tradition du thé à 5 heures, alors ?

C’est durant l’époque victorienne (c’est à dire 40 ans après Jane Austen) qu’on commence à prendre le thé à un moment fixe de la journée : en fin d’après-midi.

17h – High tea dans la classe ouvrière

Les ouvriers terminent le travail à 17h. Rentrés chez eux, leur femme leur sert alors un bon thé chaud avec quelque chose à se mettre dans l’estomac, pour reprendre des forces après leur grosse journée.

Photo d'une usine de l'époque victorienne, avec de nombreux ouvriers. C'était le développement de l'ère industrielle.

Mais pensez-vous que ces gaillards-là vont se satisfaire de biscuits sablés et de petits sandwiches au concombre ? Bien sûr que non ! On parle plutôt d’un vrai repas chaud, additionné d’une théière de thé fort… qui est tout simplement devenu le repas du soir. Dans la culture anglo-saxonne, il est d’ailleurs toujours très courant de dîner vers 17 ou 18h, directement en rentrant du travail.

Les anglais de l’époque appelaient ça high tea, les anglais d’aujourd’hui appellent ça supper (et les Québécois, qui sont pétris de culture anglo-saxonne, appellent ça souper).

Les noms des repas changent selon les époques et selon qu’on parle des pays anglo-saxons ou de la France. J’ai essayé d’éclaircir ça ici.

16h – Afternoon tea dans les classes aisées

Dans les couches sociales plus élevées, c’est l’inverse : l’heure du dîner a reculé. Au lieu de servir le dîner vers 18h (comme c’était courant à l’époque de Jane Austen), on le sert de plus en plus tard, jusque 20h30. Alors, même si on a avalé un lunch vers 13h, on n’arrivera pas à patienter aussi longtemps sans crever la dalle…

C’est à la duchesse de Bedford que l’on attribue d’être à l’origine de l’afternoon tea, un thé servi à 16h et accompagné de gâteaux, de scones, de biscuits et de petits sandwiches.

Elle en profitait pour inviter ses amies à partager ce moment avec elle, et c’est pourquoi nous avons tous en tête que jouer à la dînette autour d’un thé est un truc de filles. Au début, oui, ça l’était.

Cela dit, les hommes n’ont pas tardé à trouver l’idée intéressante. Démarrée vers 1845, cette habitude s’est généralisée pour devenir la petite collation de l’après-midi que nous connaissons, principalement sucrée, servie en attendant le repas du soir.

PRÉCISION : En France, nous avons le goûter, servi lui aussi à 16h.

Cette collation existe depuis la Renaissance et est, à l’origine, dédiée aux personnes ayant des besoins caloriques accrus (comme les enfants ou les ados en pleine croissance, ou encore les femmes enceintes). Le goûter n’est donc pas supposé s’adresser aux adultes, au contraire de l’afternoon tea qui a, en plus, une vocation de socialisation.


En conclusion

On servait bien des collations, du temps de Jane Austen, et parmi elles du thé. Et, évidemment, lorsqu’on recevait des amis ou voisins pour une visite de courtoisie, on leur offrait des boissons et de quoi se restaurer.

Simplement, cela ne prenait pas la forme d’un thé de 16 ou 17h. On buvait du thé autant qu’autre chose, et à toute heure de la journée, selon les envies.

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