Antonin Carême, pièces montées
Époque georgienne,  Époque Régence anglaise

Antonin Carême et ses incroyables pièces montées

Il est de ces gens qui sortent de nulle part et qui, subitement, vont non seulement passer dans la gloire, mais aussi laisser une empreinte durable sur le milieu dans lequel ils ont évolué.

De nos jours, on ne sait plus trop qui est Antonin Carême. Perso, c’est en fouillant dans mes sources britanniques que je suis tombée sur son nom. Jamais entendu parler de lui auparavant, alors qu’en réalité il a été le plus grand cuisinier du début du XIXe et qu’à son époque il était une superstar que tout le monde s’arrachait.

Faut dire qu’il ne manquait pas d’ambition, le bougre…


Le succès fou d’Antonin Carême

Petit Antoine deviendra grand

Marie-Antoine Carême – dit Antonin Carême – est un self-made man. Du genre de ceux qui partent de vraiment loin, mais qui, à force de travail et de talent, se haussent vers le succès.

Marie-Antoine Carême (début XIXe)

Né dans une famille française très nombreuse et très pauvre en 1784 – autant dire qu’il a grandi en pleine Révolution -, Antonin n’était pourtant pas destiné à grand chose. Il a 8 ans quand son père l’abandonne aux portes de Paris avec un petit baluchon et trois francs six sous en poche, en lui souhaitant de parvenir à se frayer tout seul un chemin dans la vie. Coup de chance, le gamin est recueilli par un tavernier, qui l’emploie comme garçon de cuisine (je vous renvoie ici au sujet des tâches quotidiennes d’une fille ou d’un garçon de cuisine). La vie est dure, mais au moins notre petit Antonin a un toit au dessus de la tête.

À 13 ans, il devient apprenti chez un pâtissier reconnu, où il commence à apprendre un vrai métier et des techniques de travail. Antonin est vif, curieux et très doué, et son maître l’encourage à développer son talent. Il lui permet notamment de se rendre souvent à la bibliothèque, où le jeune apprenti s’est découvert une passion pour les plans d’architectes et de paysagistes, qu’il redessine et dont il s’inspire. Toujours avec la bénédiction de son maître, Antonin commence alors à réaliser des desserts très originaux ressemblant à des sculptures, que les riches clients achètent pour les exposer au centre de leur table et faire sensation auprès de leurs invités.

L’origine de la pièce montée

J’ai longtemps cru qu’une pièce montée, c’était forcément une pyramide de choux à la crème assemblés par du caramel et de la nougatine, qu’on servait pour les mariages, Noël et autres grands repas de fête.

Mais non, à l’origine, ce n’est pas du tout ça. Une pièce montée, c’est justement ce que Antonin Carême a été le premier à inventer : c’est un assemblage de plusieurs éléments de pâtisserie, agencés comme une construction ou une sculpture. On n’est pas dans un gâteau, aussi beau et impressionnant soit-il, qui serait fait d’un seul morceau, mais bien dans le montage de différents éléments qui s’assemblent les uns aux autres dans l’objectif de réaliser une création artistique. Et ce n’est pas fait juste pour être mangé : c’est d’abord un élément de décor qui trône sur la table pendant tout le repas pour être admiré, comme on le ferait d’une oeuvre d’art.

De toute façon, à l’époque de Carême, le chou à la crème n’existe pas. Par contre, le croquembouche, oui ! Ça consiste à utiliser dans les desserts des petits éléments enrobés dans du caramel (par exemple, des tranches de fruits, des noix, des morceaux de nougat, des marrons glacés…). Au final, ça donne des petites bouchées avec un effet « croquant dehors, fondant dedans », d’où le nom. Ce n’est qu’au tout début du XXe siècle que sera inventé le chou fourré à la crème et enrobé, lui aussi, de caramel, dont on pourra alors faire des pyramides et des assemblages, et que l’on appelle désormais aussi bien pièce montée que croquembouche.

À gauche, des croquembouches du XVIIIe et XIXe à base de fruits ou confiseries caramélisées, et à droite des croquembouches contemporains à base de choux à la crème

Le pâtissier des rois et le roi des pâtissiers

Les pièces montées de Carême font fureur dans tout Paris. Il ouvre sa propre pâtisserie, mais il n’y restera finalement que quelques années, car les grands de ce monde s’arrachent ses services. Sa réputation s’étend, et ce sont désormais les aristocrates et les monarques étrangers qui l’embauchent pour qu’il vienne réaliser chez eux des banquets somptueux avec des créations culinaires époustouflantes.

En vrac, quelques grands noms qui l’ont embauché :

  • Le ministre Talleyrand (les dîners du ministre étaient renommés, la présence de Carême y était pour quelque chose)
  • Napoléon Ier (c’est Carême qui aurait réalisé son gâteau de mariage) (je n’ai pas l’info exacte mais je suppose qu’on parle du second mariage, avec Marie-Louise d’Autriche)
  • l’empereur d’Autriche François Ier (père de ladite Marie-Louise, et par conséquent beau-père de Napoléon) (d’où ma déduction ci-dessus)
  • le tsar Alexandre 1er (Carême s’est bien rendu en Russie, par contre il en est revenu sans avoir eu l’occasion de cuisiner pour le tsar, j’ignore pourquoi) (mais c’est quand même la grande classe que le tsar l’ait fait demander, non ?)
  • le prince régent d’Angleterre, futur roi George IV (Carême a réalisé pour lui aussi bien des repas intimistes que d’immenses festins incluant plus de 100 plats)
  • le banquier Rotschild (pour lequel Carême ajoutait des paillettes d’or dans les plats)

L’évolution de la cuisine avant et après Antonin Carême

Quelques unes de ses créations

En fouillant un peu, j’ai trouvé des illustrations de créations d’Antonin Carême. Je ne peux pas vous dire si ces plats ont réellement été confectionnés, mais si c’est bien le cas, ça devait être sacrément impressionnant !

Mousse à étages (par Antonin Carême, début XIXe)
Mousse à étages
Dessert suédois (par Antonin Carême, début XIXe)
Dessert suédois
(on dirait une chartreuse avec des rondelles de fruits, dans ce genre-là)
Dessert suédois (par Antonin Carême, début XIXe)
Dessert suédois
(avec, visiblement, des quartiers de mandarines en croquembouche)
Pièce montée en nougatine (par Antonin Carême, début XIXe)
Pièce montée en nougatine
Pièces montées en nougatine (par Antonin Carême, début XIXe)
Pièces montées en nougatine
Pièces montées (par Antonin Carême, début XIXe)
Pièces montées
(les colonnades et les petits motifs sont très probablement en pâte de sucre)

L’impact sur la cuisine du XIXe

Avant Carême, les grands de ce monde disposaient déjà de cuisiniers talentueux capables de créer des festins de rois avec des plats tous plus tape à l’oeil les uns que les autres (notamment grâce aux moules dont j’ai parlé ici).

Mais, justement, c’est de ça dont il s’agissait : un plat fait globalement d’une seule pièce, sur lequel on venait plaquer des décorations parfois très complexes. Et, pas de doute, ça faisait déjà bien son petit effet ! (je vous renvoie aux sublimes gâteaux de la Nuit des Rois, ici)

Là où Carême se démarque, c’est qu’il apporte sa vision d’artiste et d’architecte. Il recrée en miniature comestible des bâtiments, des jardins, des sculptures, construit ses desserts sur plusieurs étages, fait de la mise en scène…

Tout ça va laisser des traces durables, car cette nouvelle esthétique se retrouvera plus tard dans les desserts qu’on servait à l’époque victorienne.

Illustration tirée du livre de recettes de Mrs. Beeton (vers 1860)

En conclusion

Antonin Carême décède en 1833, à Paris, à 48 ans.

Je n’ai parlé ici que de ses desserts, puisqu’il est avant tout pâtissier et c’est ce qui l’a fait connaître, mais il cuisinait aussi d’autres plats. Il a notamment beaucoup travaillé la pâte feuilletée, ce qui lui a permis d’inventer le vol-au-vent, ainsi que le mille-feuille ! De plus, Carême n’était pas toujours aux fourneaux : en tant que chef, il avait un rôle de gestionnaire, c’était une sorte de Vatel qui organisait et supervisait de A à Z le déroulement des banquets.

Reste que son influence sur la cuisine française (et occidentale en général) a été énoooooorme. Il a été le premier chef « star », il a importé une esthétique et un véritable art de la table, il a ouvert la voie pour que se développe ce qu’on appelle aujourd’hui la haute gastronomie. Il ne s’agit pas juste de très bien cuisinier, mais également d’avoir un regard d’artiste, de créateur, d’architecte. De nos jours, la cuisine ne fait pas partie des 7 grands arts majeurs, mais nul doute que Carême aurait penché pour qu’elle devienne le 8ème !

Alors, pour finir en apothéose, voici un dernier dessin attribué à Antonin Carême : le plan d’aménagement d’une table de banquet. Ou plutôt des tables, car il en empile plusieurs les unes sur les autres, pour que elles aussi servent à mettre en scène les créations culinaires posées dessus !

Décidément, ce gars voyait les choses en grand…

Vue d’ensemble
Vue détaillée (coin en bas à gauche)
SOURCES :
Wikipédia - Marie-Antoine Carême
Wikipédia - Pièce montée
Wikipédia - Croquembouche
YouTube - Visites privées - Antonin Carême
Marie-Antoine Carême, ‘King of Chefs, Chef of Kings’
Europe 1 - Au coeur de l'Histoire - Antonin Carême, chef cuisinier des empereurs
Antonin Carême : un destin de Maître
Food History Jottings - Edible artistry
Antonin Careme: Chef Extraordinaire During the Regency Era
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