Noël austenien (7/7) : la Nuit des Rois
Nous voilà arrivés à la fin de cette petite série sur la période de Noël.
Vous avez cru que c’était déjà terminé ? Hé bien non. Comme je le disais dans l’article précédent, au début du XIXème les fêtes ne s’arrêtaient pas après le Nouvel An, mais bien après la Nuit des Rois, soit celle qui a lieu du 5 au 6 janvier.
Durant cette nuit-là (et le jour qui suit, Jour des Rois), on fête l’arrivée des rois mages : les fameux Melchior, Gaspard et Balthazar. Ils sont venus honorer l’Enfant Jésus, qu’ils reconnaissent comme étant un vrai grand roi (le roi des Juifs), et ils lui apportent en cadeau de l’or, de l’encens et de la myrrhe. C’est la raison pour laquelle certains chrétiens préféraient s’échanger des cadeaux pendant la Nuit ou le Jour des Rois, plutôt qu’à Noël.
En France, on appelle ça l’épiphanie et on mange la galette des rois.
En Angleterre, on appelle ça Twelfth Night, « la douxième nuit » (vu que le temps des fêtes duraient 12 jours/nuits), et on mange… le gâteau des rois.
Comprenez-moi bien : j’adooooooore la galette à la frangipane, j’en mangerais tout l’année sans me lasser (vous aussi, peut-être ?). Mais, il faut bien admettre qu’elle ne tient franchement pas la comparaison face à un gâteau de Twelfth Night… Vous allez vite comprendre… 😉
Au fait, je vous ai déjà parlé du wassail ?
Mais oui, mais oui, j’ai fait ça dans un autre article, il y a longtemps…
Le wassail est à la fois un rituel et une boisson, et c’est une tradition incontournable de la Nuit des Rois qui n’existe nulle part ailleurs qu’en Angleterre. Parce qu’on a beau célébrer pieusement les mages et le Petit Jésus, n’empêche qu’on est en plein hiver, on se gèle, il fait noir, rien ne pousse, et on ne serait pas contre se réchauffer le coeur avec de bonnes grosses fêtes bien païennes qui célèbrent la vie, la lumière du soleil et l’abondance, histoire de se consoler en se rappelant que ce foutu hiver finira bien par finir.
Alors…
Wæs þu hæl ! Wassail ! À votre santé !
Et pour tout savoir sur le wassail, voyez ça ici ! (avec mes excuses si je me répète un peu, vu que c’est un ancien article 😉 )
Les Saturnales
La liberté et le chaos, au moins pendant quelques jours
Les fêtes de Noël sont décidément remplies de vieux rites païens. Quand ce n’est pas le wassail des Vikings, ce sont les Saturnales des Romains.
Pendant l’Antiquité, les Romains organisaient, en décembre, une semaine entière de festivités en l’honneur de Saturne, divinité responsable des moissons (yep, le but est toujours de rendre hommage à celui dont on espère qu’il nous apportera de futures récoltes abondantes).
Alors que la société romaine est habituellement très structurée et codifiée, durant ces quelques jours les gens se permettent toutes les libertés.
Bien sûr, on fait la fête, on boit et on mange plus que de raison, mais on se permet aussi de braver tous les interdits. Les maîtres et les esclaves mangent ensemble, et ces derniers peuvent – pour une fois ! – se permettre de faire preuve d’irrévérence et d’insoumission. On s’habille comme on veut, on couche avec qui on veut, on fait des parades et des fêtes costumées ou masquées, on se travestit, on s’amuse à se faire passer pour qui on n’est pas. Pendant quelques jours, le statut social n’a plus d’importance, les rapports d’autorités des uns envers les autres sont effacés ou renversés, bref : c’est l’anarchie et le bordel le plus complet, dans la joie et la bonne humeur (et les vapeurs d’alcool…).
LA NUIT DES ROIS DE SHAKESPEARE : Ce jeu de travestissement de femme en homme, ou de maître en serviteur, c’est tout le sujet de La nuit des rois, la pièce de théâtre de Shakespeare.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’histoire ne se passe pas du tout un soir d’épiphanie. Par contre c’est la pièce toute entière qui était censée être jouée en janvier pendant la vraie Twelfth Night, ou bien en février pendant la Chandeleur (encore une autre fête païenne de la lumière en plein hiver, ça, tiens… faudra que je vous en reparle dans un prochain article ! 😉 ).
Le roi de la fête
Ce sont ces mêmes Romains qui ont instauré l’habitude de partager, pendant les Saturnales, un gros gâteau dans lequel se cache une fève, qui désigne le roi de la fête, qu’on appelle aussi « le Prince des Saturnales » ou encore « le Prince du désordre ». Ça veut tout dire…
Ce roi temporaire peut alors, pour le reste de la journée/soirée, faire tout ce qui lui plaît, et donner des ordres absurdes pour lesquels il devra être obéi. Plus c’est con, plus c’est drôle !
Les Romains ayant envahi l’Europe, ils ont essaimé leur culture un peu partout. Et c’est pourquoi, vingt siècles plus tard, au moment de l’épiphanie, les Français mangent de la galette et les Anglais du gâteau, et désignent un roi ou une reine…
Le gâteau des Rois
Parlons-en, alors, de ce fameux gâteau…
Bon, à la base, rien de très nouveau : c’est un gros truc bien sucré et bien dense, bourré de raisins secs, de fruits confits, d’épices, de noix et d’alcool.
Encore un plum pudding, quoi !
Oui, mais en fait non (et la description d’un plum pudding, c’est par ici). D’abord, le gâteau des Rois est un gâteau et non pas un pouding, ensuite, cette fois il n’est pas servi comme un simple accompagnement : c’est bel et bien le dessert final, le clou de la soirée, le moment que tout le monde attend à la fin du repas !
Il a aussi deux autres distinctions majeures :
Une belle couche de sucre
J’expliquais ici que le sucre de canne, au XIXème siècle, est un aliment qui est en train de se démocratiser de plus en plus, grâce à l’esclavagisme très développé dans les colonies antillaises qui fournissent l’Angleterre (et l’Europe) en quantité… Ça reste un ingrédient cher, car importé, et ceux qui n’ont pas les moyens d’en consommer tous les jours vont naturellement le réserver aux grandes occasions. Un gâteau des Rois ressemble d’ailleurs énoooooormément à un gâteau de mariage, qui était lui aussi composé des mêmes ingrédients et recouvert d’une couche de sucre.
Pour les riches, qui ont les moyens de s’en procurer beaucoup, il y a moyen de s’amuser. Leurs cuisiniers ont d’ailleurs développé des techniques pour le présenter de la façon la plus décorative qui soit, notamment en réalisant une pâte à sucre qu’ils peuvent mouler facilement pour en faire des ornements et de petites sculptures.
Voilà pourquoi un gâteau des Rois, servi dans une maison chic du XVIIIème ou du XIXème siècle, pouvait très bien ressembler à ceci :
Impressionnant, n’est-ce pas ? 😀
Ces gâteaux ont été réalisés par Ivan Day, un cuisinier professionnel anglais, historien et passionné de cuisine ancienne, à l’aide de moules datant du XVIIIème et du XIXème siècle. Le résultat est bluffant, pourtant la technique semble relativement simple.
Évidemment, gardons en tête qu’il s’agit là de ce qu’on faisait de mieux à l’époque. On trouvait ce genre de gâteaux fabuleux dans les familles très riches, les gens plus modestes se contentant d’une couche de sucre sans ornement, voire de pas de couche de sucre du tout.
À PROPOS D’IVAN DAY : si vous voulez continuer de vous faire saliver les yeux, allez faire un tour sur le blog de ce super cuisinier-historien : Food History Jotting. Vous trouverez ses sublimes gâteaux des Rois là, là ou là.
Deux fèves
Le gâteau des Rois est donc dérivé de celui des Saturnales, tout comme notre galette à la frangipane.
Sauf qu’en Angleterre, il contient non pas une fève, mais deux ! Plus précisément un haricot qui désigne le roi, et un petit pois qui désigne la reine.
C’est la raison pour laquelle on trouve, sur les magnifiques gâteaux d’Ivan Day que je vous ai mis plus haut, deux couronnes ou deux figurines de roi et de reine comestibles.
De plus, toujours en écho aux Saturnales, il est de tradition d’inviter les domestiques à partager le gâteau des maîtres. Alors, bien sûr, on est très loin des orgies romaines, et chacun conserve bien gentiment son rang, n’empêche qu’on peut quand même se retrouver avec un des domestiques de la maison qui tire la fève, et qui, à ce titre, sera traité « en roi » jusqu’à la fin de la soirée.
Dans la joie et la bonne humeur. Et toujours pas mal de vapeurs d’alcool, j’imagine… 😉
ET LA COURONNE ? En cherchant s’il y avait une couronne à poser sur la tête du roi et de la reine, je suis tombée sur de nombreuses peintures flammandes du XVIIème montrant que c’était visiblement le cas aux Pays-Bas, qui faisaient porter à leurs fêtards une couronne de papier. Par contre, je n’ai rien trouvé de similaire en Angleterre.
En conclusion
Et le lendemain de la Nuit des Rois ? Qu’est-ce qu’on fait, maintenant, après avoir autant mangé, bu, dansé, fêté… ?
Le 6 janvier, Jour des Rois, on range tout, on décroche et on brûle les décorations qui ont orné la maison pendant 12 jours (sinon ça apporte la malchance, souvenez-vous), et, surtout, on soigne sa gueule de bois… Cette fois, la période des fêtes est bel et bien finie !
C’est le cas aussi de cette petite série d’articles. La semaine prochaine, promis, je vous parle d’autre chose ! 🙂
SOURCES :
Wikipedia - Twelfth Night (holiday)
Twelfth cake moulds
Twelfth Night Cake Recipes
A history of the Twelfth Night cake
Food history jotting : this year Twelftht Night Cake
Food history jotting : towards a true Twelfth Cake
Food history jotting : it's not too late to wish you all a merry Christmas
Wikipédia - Saturnales
Wikipédia - Galette des rois
Wikipédia - La nuit des rois (Shakespeare)
A paper crown