Pouding de Noël, époque victorienne
Époque Régence anglaise

Noël austenien (5/7) : les repas de fête

Que seraient les fêtes de fin d’année sans un énooooorme festin…

Dans les familles de la classe supérieure (gentry et noblesse), on a déjà l’habitude de présenter au moins 20 plats différents lorsqu’on organise un grand dîner mondain ou un bal (j’en ai parlé ici). Les repas du temps des fêtes ne font pas exception à cette règle, et on y présentera la même quantité hallucinante de viandes cuisinées à toutes les sauces, avec quantité de sucre, de gras et d’alcool (je vous renvoie à cet article, ici, pour vous faire une idée des aliments de luxe).

Cela dit, il y a quelques recettes qui étaient franchement typiques du temps des fêtes, et c’est de celles-là qu’on va parler.


Préparer à l’avance… et conserver longtemps !

Avant tout, remettons-nous un peu dans le contexte des fêtes de l’époque…

  • D’abord, on est au début du XIXème siècle, où les frigos et les fours électriques n’existent pas (voyez ici l’équipement des cuisines et la façon d’apprêter les aliments). Préparer n’importe quel repas quotidien est déjà long en soi, alors quand il faut donner un repas de fête avec 20 recettes différentes, c’est une toute autre logistique !
  • On est en plein hiver. C’est bien pratique pour mettre un glaçon dans son verre de scotch, j’en conviens, mais un peu moins pour avoir des fruits et légumes frais (et de toute façon, qui se préoccupe de manger des fruits et légumes frais quand, tout ce qu’on veut, c’est de la viaaaaaaaaande ! 😉 ).
  • Avec tout ça, on aime se réunir pour fêter tous ensemble (en tout cas, si la famille n’est pas trop éloignée ou bien si on est assez courageux pour entreprendre un voyage long, périlleux et inconfortable en voiture à cheval sous la neige). Ça signifie qu’il y aura à table beaucoup plus de monde de d’ordinaire.

Pour faire face, les cuisiniers n’avaient donc pas d’autre choix que de préparer très longtemps à l’avance les plats qui allaient être servis pendant Christmastide. Souvent, on commençait à préparer certains ingrédients ou plats dès l’automne, et puis on se mettait à cuisiner des jours et des jours à l’avance afin que tout soit prêt à temps.

De plus, sans frigo il fallait bien que les plats se conservent tout seuls ! C’est la raison pour laquelle la plupart d’entre eux comportent en abondance du gras, du sucre, des épices et de l’alcool, qui sont tous d’excellents conservateurs.


Plats traditionnels du temps des fêtes

Plum pudding

Le voilà, justement, le gâteau de Noël traditionnel : on l’appelle Christmas pudding ou Plum pudding (le mot « plum » désigne de façon générale les raisins secs qu’on utilise dans les desserts).

Le plum pudding est un gâteau traditionnel de Noël au Royaume-Uni

On le prépare 5 semaines avant Noël, très précisément le dernier dimanche avant le début de l’Avent. Il y a même une tradition marrante qui consiste à cuisiner le pudding de Noël en famille, car chacun doit touiller la pâte à tour de rôle, dans le bon sens, et en faisant un voeu qui est supposé se réaliser dans l’année à venir. Ça a même donné son nom au Stir-up Sunday (le « dimanche du touillage ») (ouaip, ça ne s’invente pas ! 😉 ).

Globalement, un Plum pudding est un gros gâteau avec des fruits secs (raisins, groseilles, cerises…), des écorces confites (orange, citron…), des noix (noix, amandes effilées…), beaucoup d’épices (muscade, cannelle, gingembre, clous de girofle…) et beaucoup d’alcool (surtout du brandy, mais parfois du sherry ou autre…).

Plum pudding en train de sécher

On le cuit en l’enfermant dans un linge à pudding bien serré (comparable à une mousseline à fromages) et en le faisant bouillir dans l’eau pendant de longues, longues heures. À l’époque victorienne, la technique évolue légèrement : on le fait cuire à la vapeur plutôt de dans l’eau, et parfois dans un moule plutôt que dans un linge. Mais en général on finit avec un gâteau très TRÈS consistant, de couleur quasiment noire et en forme de boulet de canon, qu’on va laisser sécher et reposer dans son linge pendant 5 semaines, pour être servi à Noël.

Et comme il est déjà aromatisé au brandy, on verse parfois un peu de brandy supplémentaire dessus et on le fait flamber juste avant de le déguster. Ça impressionne toujours son petit monde !

Ah ! Et je ne vous ai dit qu’après ça ce gâteau pouvait se conserver sans problème pendant encore 1 ou 2 mois ? 😉

Le plum pudding est un gâteau traditionnel de Noël au Royaume-Uni

IL NE FAUT PAS SE FIER AUX APPARENCES : le Plum pudding du début du XIXème siècle n’est pas aussi sucré qu’il l’est devenu par la suite. L’ordre entrée/plat/dessert auquel nous sommes habitués n’existe pas, à l’époque : on dispose un peu tout en même temps sur la table, ce qui fait que le Plum pudding sert le plus souvent d’accompagnement à des viandes et des gibiers.

PETITE PRÉCISION ÉTYMOLOGIQUE : le mot « pudding » viendrait du mot français « boudin ».

Techniquement, un pudding est un aliment cuit serré dans un linge ou dans une peau d’animal (ou, en l’occurence, un boyau). Le Plum pudding aurait donc la même origine que les saucisses et le boudin !

En passant, si vous voulez en savoir plus sur les poudings, j’en ai fait un article entier ici. C’était vraiment tout un art… 🙂

Fromentée

La fromentée est une bouillie de grains de blé concassés, issue de l'époque médiévale

Si le Plum pudding est un gros boudin pouding bien dense, c’est peut-être parce qu’il serait dérivé d’un autre plat datant de l’époque médiévale : la frumenty, ou fromentée.

Bon, tout de suite, c’est vachement moins sexy qu’un boulet de canon couleur chocolat… La fromentée est une simple bouillie, dont la texture peut varier du porridge à une sorte de soupe selon qu’on la fait plus ou moins liquide.

On la sert, elle aussi, en accompagnement des viandes de gibier. Elle se compose de grains de blé concassés (fromentée vient du mot froment, vous l’avez deviné) qu’on fait gonfler avec du lait ou du bouillon gras, et à laquelle on ajoute, selon les goûts, des oeufs, des amandes, des raisins secs, du sucre ou du miel, de la muscade, de la cannelle, du safran, de l’eau de fleur d’oranger… Et parfois aussi une lampée d’alcool, parce que pourquoi pas, hein ! C’est pas comme si on ne mettait pas déjà de l’alcool partout 😉 !

À l’époque médiévale, la fromentée était clairement un plat de pauvre. On la consommait d’ailleurs beaucoup pendant le Carême, car c’était un aliment considéré comme maigre (pour en savoir plus sur Pâques, voyez ici). Mais comme certains avaient un peu trop tendance à l’agrémenter d’alcool, les Puritains du XVIème siècle l’ont bannie de leurs habitudes de vie, et ce n’est que bien plus tard que le roi George Ier l’a remise au goût du jour en l’ajoutant à son menu du temps des fêtes.

Voilà pourquoi, au début du XIXème, la fromentée, pauvre petite bouillie pas bien excitante, est malgré tout devenue incontournable dans les copieux festins de Noël, à côté de son pote le Plum pudding.

Mincemeat pies

Décidément, cette année je passe un Noël so british ! Après le jeu du Snapdragon en compagnie mes collègues (ici), j’ai eu l’occasion de me goinfrer déguster de délicieuses mince pies offertes par ma traductrice (et j’ai trouvé ça très à propos ! Merci, Cath ! 🙂 ).

Les mince meat pies sont des tartelettes traditionnelles de Noël au Royaume Uni.

Les mince pies, c’est un graaaand classique de Noël chez nos amis britanniques. Sauf qu’il y a une différence notable : de nos jours, il s’agit de tartelettes sucrées, mais au début du XIXème ces tartelettes étaient également fourrées à la viande. D’ailleurs, on les appelle désormais des mince pies (tartes émincées) alors qu’à l’époque de Jane Austen c’était encore mincemeat pies (tartes à la viande émincée). Nuance !

Revenons à nos mincemeat pies, donc.

Dehors, une pâte tout à fait classique, avec une abaisse sur le dessus pour fermer la tartelette. Et dedans, une farce composée de plein de bonnes choses : de la viande hachée (généralement du mouton ou du boeuf, mais ça peut aussi être n’importe quel restant de viande que vous avez sous la main), des pommes coupées en dés, des fruits secs (raisins, cerises…), des zestes ou des écorces confites (orange, citron…), des épices (muscade, cannelle, girofle, gingembre…), du sucre, du gras de porc, et – devinez quoi – … du brandy ! 😉

TARTE OU TARTELETTE ? J’ai vu des recettes sous la forme d’une seule grande tarte, mais il semblerait que ce soit une adaptation moderne. Au début du XIXème, on préparait plutôt des tartelettes individuelles dans des moules ovales, notamment parce que c’était censé représenter l’Enfant Jésus dans sa mangeoire (et comme les cuisiniers de l’époque jouaient beaucoup avec les moules et les motifs pour décorer leurs plats, je ne doute pas une seconde que certains devaient aussi ajouter des silhouettes de bébé en pâte à tarte).

VIANDE HACHÉE OU STEAK HACHÉ ? Ma traductrice m’a envoyé il y a quelques jours ce Tweet qui nous a bien fait rigoler…

Sur un site web américain de recettes, les gens ont visiblement confondu le mot anglais mincemeat (viande hachée, viande émincée) avec l’américain ground beef (steak haché)… Ce qui fait qu’en voulant réaliser une gentille recette de Noël, ils ont fini avec une sorte de pâte à tarte recouverte de steak haché et d’une couche de pommes. Une aberration qui a du faire lever les yeux au ciel à pas mal de Britanniques ! 😉


En conclusion

Comme vous le voyez, ce sont sensiblement les mêmes ingrédients qui reviennent encore et encore dans les recettes : fruits secs, noix, épices, sucre, gras, alcool. Encore une fois, c’était autant pour faire bombance que pour préserver les aliments au coeur de l’hiver. Et n’oublions pas que le sucre reste un aliment importé des colonies, ce qui le rend cher. Alors, à moins d’avoir les moyens d’en manger toute l’année, on réserve tous ces plats sucrés pour les grandes occasions comme Noël, et on use et abuse des fruits séchés tels que les raisins secs, qui sont considérés comme une gourmandise (ils ne connaissaient pas encore le chocolat… ) (le cacao amer, oui, mais pas le chocolat…) (pauvres eux ! 😉 ).

Pour le reste du repas, il n’y avait pas encore la traditionnelle dinde (je ne sais pas vous, mais moi j’ai passé tous les Noëls de mon enfance à coups de dindes aux marrons), même si on faisait souvent de grosses volailles dans ce genre. On aimait décidément beaucoup les viandes et les abats, apprêtés de toutes les façons, et on aimait avoir énormément de choses différentes sur la table, pour qu’ensuite chacun pioche dans le plat qui lui faisait envie. Avec un peu de chance on trouvait sur la table un potage d’asperge ou quelques potirons… mais disons qu’il ne fallait pas être végétarien, à l’époque !

Et au fait ! On est le 25, aujourd’hui, et vous êtes sûrement à table en famille… Alors je vous souhaite à tous un joyeux Noël ! 🙂

SOURCES :
YouTube - Traditional English Christmas foods in the Georgian time
Georgian Christmas, an eighteenth century celebration
Christmas in the Georgian era
Why do we eat Christmas pudding?
The holiday history of Christmas pudding
Ultimate guide to Stir-up Sunday 2019
The Christmas plum pudding: an old English foodie tradition
Dickens and the Christmas pudding
Wikipedia - Frumenty
A georgian Christmas
Christmas traditions from the Regency Era
An American Food Site Misunderstood What Mincemeat Is
Mincemeat pies : a Regency Christmas essential
Mrs. Lucas' mince pie recipe
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