Époque Régence anglaise

Noël austenien (6/7) : le Nouvel An

Bonne année à tous ! Et bonne nouvelle décennie !

J’écris cet article depuis une cabane de Hobbit, dans la neige, au fond des bois, sous la couette et au coin du feu. J’ai l’électricité, mais pas l’eau courante, et une connexion web aussi lente qu’aléatoire qui me force à me déconnecter, physiquement et mentalement. Quelques jours de retraite que je me suis offerts pour réfléchir à l’année qui vient et aux projets qui vont avec.

Tout ça pour dire que je vous souhaite d’avoir, vous aussi, l’envie et la possibilité de mener à bien les projets qui vous tiennent à coeur, que ce soit en 2020 ou dans la décennie qui suivra. Prenez le temps dont vous avez besoin, mais je vous souhaite vraiment d’y arriver ! 🙂

Et maintenant, je vais me refaire une tasse de thé, je me recale sous la couette, et on s’attaque à ce que faisaient les Anglais du début du XIXème pour fêter le Nouvel An.


Le fameux baiser sous le gui

Le gui, symbole de fertilité

Vous vous souvenez quand je racontais, ici, que les fêtes de Noël sont TRÈS inspirées des Saturnales romaines ? Je n’ai pas fini de le souligner, car on retrouve des restes de Saturnales dans un grand nombre de symboles de Noël, incluant le fameux bisou des amoureux sous le gui.

Bouquet de gui avec ses baies

Mais pourquoi choisir cette plante-là ? Parce qu’elle est persistante et qu’on la trouve en hiver ?

Oui, mais pas seulement. Vous allez rire… Ce qui fait du gui une plante importante, chargée en symbolique, ce sont ses petites baies blanches, que les premières civilisations ont associé avec… des gouttes de sperme.

À cause de cette association d’idées, on considérait le gui comme une plante liée à la fertilité, puis, par extension, à l’amour, la paix et la prospérité. Les Romains n’étaient d’ailleurs pas les seuls à raisonner comme ça : les Germains, les Grecs et les Celtes également (souvenez-vous des druides grimpant dans les arbres pour couper le gui : ça faisait partie d’une importante cérémonie de fertilité).

CHEZ LES VIKINGS : une légende scandinave raconte que le dieu Balder fut tué par son frère Hodur d’une flèche faite en bois de gui. Vous allez me dire que le gui est une plante, pas un arbre, ça ne peut donc pas faire du bois… C’est vrai, mais ce serait sans compter sur ce fourbe de Loki, le vilain dieu sournois à l’origine de toute cette histoire, qui voulait, lui, se débarrasser du beau Balder, et qui a fabriqué cette flèche magique pour la mettre dans les mains d’Hodur.

Pour contrebalancer ce meurtre, le gui devint pour les Vikings un signe de paix et d’amitié : on en accrochait à l’entrée des maisons en signe de bienvenue envers les étrangers. Une tradition qu’ils ont importée en Angleterre quand ils s’y sont installés, et qui a perduré au cours des siècles. Au départ, les embrassades sous le gui étaient de nature amicales, et c’est surtout après le Moyen-Âge qu’elles ont commencé à prendre un sens plus amoureux.

Le gui, symbole de mariage

Durant les Saturnales, on suspendait du gui au dessus des portes des maisons, pour les protéger et leur apporter la prospérité.

Des siècles plus tard, la chrétienté est passée par là. En Angleterre comme dans beaucoup d’autres pays européens (dont la France), on continue de suspendre un bouquet de gui pendant tout le temps des fêtes, au plafond ou au dessus d’une porte, et ce symbole de fertilité souligne désormais l’amour… mais surtout le mariage. Les couples qui s’arrêtent en dessous peuvent/doivent s’embrasser, et c’est parfois une façon d’officialiser une relation entre deux célibataires, qui annoncent ainsi qu’ils sont se marier dans l’année.

Gravure anglaise de la fin du XVIIIème siècle montrant la tradition du baiser sous le gui
Gravure anglaise de la fin du XVIIIème siècle montrant la tradition du baiser sous le gui
Kissing bough

La version facile, c’est d’accrocher quelques branches de gui avec un ruban rouge. La version plus élaborée, c’est de composer un petit bouquet tout rond, avec du gui, mais aussi des pommes, verdures et autres décorations, qu’on appelle alors une kissing ball ou kissing bough (une « boule à baisers »).

Attention : le gui doit toujours comporter ses petites gouttes de sperme – hum, pardon… – ses petites baies blanches. À chaque baiser, Monsieur détache une baie pour l’offrir à Madame (et lorsqu’il n’y a plus de baies dans le bouquet, les baisers sont terminés). D’un point de vue symbolique, il s’agit donc d’une sorte de… don de sperme. Hé oui ! Autrement dit, chaque baie représente la promesse que Monsieur fait à Madame de lui faire un enfant dans l’année.

Je vous ai bien massacré votre image d’un baiser romantique, là, non ? 😉 Attendez, c’est pas fini…

GUI ET POISON : Le gui est très toxique, particulier ses feuilles et ses baies, ce qui a sans doute contribué à en faire une plante qu’on utilisait justement pour lutter contre les poisons.

Cela dit, il semblerait que tout le monde n’ait pas reçu le mémo, car on a pu régulièrement déplorer la mort de gens qui avaient avalé les baies (1 ou 2, ça va encore, mais à partir d’une dizaine, ça ne rigole plus du tout…). Il faut dire qu’on est dans un contexte de fête, et chacun sait que quand on est bourré, on peut en faire, des conneries !

Le gui, symbole de… contrainte ?

Je ne peux pas m’empêcher de souligner que cette façon de s’embrasser sous le gui profitait surtout à ces messieurs.

En effet, au XIXème, la tradition dit qu’un homme marié peut embrasser son épouse (et uniquement elle). Jusque là, ça va. En revanche, un homme célibataire peut embrasser n’importe quelle autre femme célibataire au moment où elle passe sous le gui, et celle-ci ne peut pas refuser, sous peine de s’attirer du malheur.

Oui, vous avez bien lu. L’homme prend ce qu’il souhaite, et la femme subit des conséquences négatives si elle dit non.

#Metoo…

Ce point m’a sauté à la figure quand je suis tombée sur la gravure ci-dessous :

Le gui, gravure anglaise de 1816
Le gui, gravure anglaise de 1816

Vous remarquerez que la position de la jeune femme qui se fait embrasser n’est pas exactement celle d’une amoureuse qui s’abandonne avec plaisir dans les bras de l’homme qu’elle aime. Elle se fait tout simplement embrasser par un jeune gars qui semble lui être tombé dessus par surprise, elle tente de s’en dégager, ça fait rire tout le monde autour et on imagine sans peine qu’elle ressort de cette étreinte en rougissant. De plaisir ? De honte ? De colère ? Je vous laisse vous faire votre propre idée.

Bien sûr que ça a l’air anodin et inoffensif. Tout ça se passe dans la joie et la bonne humeur d’une fête de famille, après tout ! D’ailleurs, je ne doute pas que pour beaucoup de jeunes femmes ça devait être un jeu et un plaisir.

Le verrou, par Fragonard (1778).
Le verrou, par Fragonard (1778). La jeune femme se débat dans les bras de l’homme qui ferme le verrou afin qu’ils ne soient pas dérangés pendant qu’il la pousse dans le lit. C’est représentatif de l’esprit libertin très à la mode à l’époque des Lumières. N’empêche que c’est quand même une femme qui se débat et qui aimerait sans doute que le verrou ne se referme pas…

Pourtant, ce genre d’image m’a fait penser au tableau Le verrou de Fragonard, où la femme est également étreinte de force. C’est représentatif de la mentalité de l’époque des Lumières, très en vogue au début du XIXème, qui consiste à dire qu’une femme honnête doit être conquise de haute lutte, qu’elle va toujours commencer par se refuser et que l’homme qui cherche à la séduire doit la « forcer » un peu (ainsi, elle montre sa vertu, tandis que lui montre sa puissance et sa détermination).

C’est bien joli en théorie, sauf que ça ouvre grand la porte à toutes les dérives, puisqu’avec un raisonnement pareil une femme qui dit « non » ne dit jamais vraiment « non », et l’homme se voit autorisé à la poursuivre et à la contraindre jusqu’à ce qu’elle cède… Le genre d’idée à la con qu’il aurait fallu étouffer dans l’oeuf, mais qui, malheureusement, est encore véhiculée en 2020.

Si le sujet vous intéresse, je vous recommande fortement d’écouter cet épisode de Les couilles sur la table, une chaîne de podcasts qui s’attache tout particulièrement à parler de masculinité à notre époque.

Quant à moi, je ferme ce petit aparté féministe et je retourne à mes traditions du Nouvel An, car il y en a d’autres !… 😉


Le décompte de minuit

Au début du XIXème, on n’a pas encore l’heure atomique ultra précise que nous avons aujourd’hui (qui, pour info, remonte aux années 50). On n’est donc pas à quelques minutes près, et je suppose que toutes les horloges du pays ne devaient pas carillonner exactement en même temps. Mais les gens ne se laissaient pas abattre par un petit manque de précision, car, oui, ils faisaient le décompte des dernières secondes avant que minuit ne sonne et ne déclenche… quoi ? les cotillons ? le champagne ?

Pas exactement. Bien sûr, tout le monde s’exclamait, s’embrassait, portait des toasts et se souhaitait du bonheur, mais aussi on entonnait une ballade écossaise très populaire à l’époque, intitulée Auld lang syne (traduite en anglais british, ça donnerait Old long since, et en français quelque chose comme Aux jours du temps passé).

Should old acquaintance be forgot, and never brought to mind?
Should old acquaintance be forgot, and old lang syne?
For auld lang syne, my dear, for auld lang syne
We’ll take a cup of kindness yet, for auld lang syne

Faut-il oublier les amis, ne pas s’en souvenir ?
Faut-il oublier les amis, les jours du temps passé ?
Aux jours du temps passé, ami, aux jours du temps passé
Buvons ensemble à l’amitié, et aux jours du temps passé.

Une chanson idéale pour trinquer en se remémorant les bons moments de l’année qui vient de finir, et en renouvelant la bonne amitié qu’on se souhaite pour l’avenir.

CE N’EST QU’UN AU REVOIR : Si, comme moi, vous avez fait du scoutisme dans votre jeunesse, vous avez sans doute reconnu le célèbre Ce n’est qu’un au revoir, mes frères. En français comme en anglais, cette chanson est utilisée dans certaines cérémonies ou adieux un peu formels chez les scouts, mais aussi les franc-maçons, les étudiants lors de leur graduation, voire même des enterrements.

Faut-il nous quitter sans espoir, sans espoir de retour,
Faut-il nous quitter sans espoir de nous revoir un jour
Ce n’est qu’un au-revoir, mes frères, ce n’est qu’un au-revoir
Oui, nous nous reverrons, mes frères, ce n’est qu’un au-revoir


Le premier (beau brun) qui passe la porte

En Écosse et dans le nord de l’Angleterre, il est super important de voir qui serra le premier visiteur dans la maison, car la nature de ce visiteur déterminera si la nouvelle année sera bonne ou non. On l’appelle le first-foot (« premier pied »).

C’est pas compliqué : s’il est blond ou si c’est une femme, ça portera malheur. Ce qu’on veut, c’est un homme, grand, et brun.

Quoi ? J’avais besoin d’illustrer un beau gosse grand et brun… 😉

Pour amener l’abondance, ce visiteur beau gosse grand et brun apporte des présents symboliques :

  • une piécette (de l’argent)
  • un morceau de charbon (de la chaleur)
  • un morceau de pain (de la nourriture)
  • un peu de whisky (de la joie et de la fête)
  • du sel et du gâteau épicé (de la saveur dans la vie)

Ensuite, le visiteur ne fait pas qu’entrer : il doit aussi ressortir ! En passant par la porte d’entrée, il apporte la chance dans la maison pour la nouvelle année, mais en ressortant par la porte arrière il emporte les troubles et les difficultés de l’année passée.

Ce qui est rigolo, avec cette tradition/superstition, c’est que si tu habites dans un village où Peter, le fils du forgeron, se trouve être un joli garçon assez grand et aux cheveux foncés, alors il se fera un plaisir de faire la tournée de toutes les maisons du coin pour être le first-foot de tout le monde. Peter viendra sonner à ta porte, puis ressortira par l’arrière avant d’aller frapper à la maison d’à côté, et la suivante, et encore la suivante…

VRAI VISITEUR OU HABITANT DES LIEUX ? Le premier qui entre dans la maison peut très bien être l’un de ses résidents (et non pas un étranger ou un voisin), mais pour que la superstition fonctionne, il faut que cette personne ait été absente des lieux avant minuit, afin qu’elle puisse clairement y « entrer » pour la première fois de l’année.


En conclusion

J’expliquais ici que le temps des fêtes dure précisément 12 jours, en commençant avec le Jour de Noël et en se terminant avec la Nuit des Rois (j’y reviendrai : ce sera le sujet du prochain article). Ça signifie que le Nouvel An se trouve en plein milieu. La conséquence ? Beeen… Ce n’est pas une fête si importante que ça. En tout cas pas autant que Noël, ni que la Nuit des Rois, d’autant que le Nouvel An n’a rien de religieux.

Les gens le fêtaient quand même beaucoup, en organisant des bals et des dîners mondains avec leurs voisins et leurs amis. Mais le vrai point culminant de cette période de fin d’année, ça reste la Nuit des Rois.

Je vous en parle au prochain article ! 😉

SOURCES :
Christmas celebrations as Jane Austen knew them
Wikipedia - Mistletoe, cultural references
A Regency Christmas, from the newspapers of the time
Wikipedia - Auld lang syne
Regency Christmas traditions : ringing in the New Year
Wikipédia - Gui (plante)
Wikipédia - Balder
On hosting your Regency era Christmas party
Regency mistletoe
Wikipedia - First-foot
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