Époque Régence anglaise

Noël austenien (2/7) : les décorations

Ohlàlà, je réalise qu’il va me falloir écrire plus qu’un article par semaine, parce que j’ai bieeeeeeen trop de choses à raconter d’ici la fin des fêtes !

Alors, ne perdons pas de temps et entamons tout de suite le sujet des décos de Noël, le sapin, la bûche, tout ça, tout ça…


Le fameux sapin

Bon, alors ça c’est vite vu : le sapin de Noël, il n’y en a pas. Enfin si, parfois, mais ce n’est vraiment pas une habitude. Pas encore. Je m’explique… 😉

Décorer des arbres lors des fêtes hivernales païennes, on fait ça depuis la nuit des temps. En revanche, dans la tradition chrétienne, ça date plutôt de la Renaissance et ça varie beaucoup selon les pays et les coutumes (on parle d’arbre du Paradis, de référence au Christ sur la croix, de pommes rouges pour le fruit défendu, etc…). Je ne m’étends pas en détails et je vous laisse lire Wikipédia si ça vous intéresse.

La tradition du sapin de Noël est germanique. Elle fut importée à la cour britannique notamment par le Prince Albert, époux de la reine Victoria
Sapin de Noël pour la Reine Victoria et sa famille

Toujours est-il qu’au début du XIXème siècle, c’est surtout dans les pays germaniques (Allemagne et Scandinavie) qu’on décore des sapins de Noël. En Angleterre, il faudra attendre l’époque victorienne pour que cette coutume se développe vraiment, grâce notamment à des princes et princesses d’origine allemande qui ont importé à la Cour des traditions de leur enfance. On sait par exemple que le prince Albert (qui était allemand) a fait ériger son premier sapin de Noël en 1841 au château de Windsor, et a recommencé ensuite tous les ans. Encore un cas où la famille royale a donné l’exemple, avant d’être imitée par l’aristocratie puis le peuple (c’était pareil avec la robe de mariée blanche, devenue peu à peu un standard grâce au mariage de la reine Victoria, voyez plutôt ici).

Mais il faut tempérer : en réalité, deux générations auparavant, la reine Charlotte (mère de George IV, elle aussi allemande) avait également fait installer et décorer quelque fois un sapin (j’en avais parlé ici). Alors la mode n’a peut être pas pris du jour en lendemain, n’empêche, ça fait déjà quelques temps que certaines familles anglaises commencent à placer des arbres de Noël dans leurs maisons. D’ailleurs, la petite Emma Smith (qui liste ses cadeaux dans l’article précédent, ici) mentionne que lors de son Noël de 1818, où il y avait des invités de marque et sûrement beaucoup plus de faste que d’ordinaire, il y avait également un arbre.

C’est donc très peu répandu, mais ça commence tout doucement à rentrer dans les moeurs, au point qu’à la fin du siècle ce sera l’inverse : il deviendra incongru de passer un Noël sans sapin.

ET LES BOULES, ALORS ? ET LA CRÈCHE ? Beeeeen… Il n’y a déjà pas beaucoup de sapins, alors pour ce qui est des boules en verre à accrocher dedans… Elles n’apparaîtront pas avant les années 1830. Pour le moment on décore avec des fleurs, des fruits, des petits objets, des guirlandes.

Quant à la crèche, c’est une tradition essentiellement catholique et orthodoxe, et donc pas très répandue en Angleterre, qui est de religion anglicane.


Les guirlandes, couronnes et autres décos

Évidemment, « pas de sapin » ne signifie pas « pas de déco de Noël du tout », loin de là ! Les temps des fêtes est toujours l’occasion de décorer la maison !

Il faut rappeler que les fêtes chrétiennes correspondent à peu près toujours à d’anciennes fêtes païennes (ce n’est pas du tout un hasard, c’était pour favoriser l’implantation de la chrétienté, dans les premiers siècles après J.C.) : or, Noël coïncide avec les Saturnales, qui datent de l’empire romain et qui célébraient le solstice d’hiver en organisant des banquets, en échangeant des cadeaux… et en décorant l’intérieur des maisons avec des feuillages. On est au coeur de l’hiver, où les nuits sont les plus longues, et on célèbre la lumière et la verdure, en attendant le retour du printemps.

Au début du XIXème, on continue donc d’orner son intérieur, et pour cela on utilise les matériaux disponibles à ce moment de l’année :

  • des verdures à feuilles persistantes, comme le houx, le lierre, le gui (je reparlerai plus tard des bisous qu’on faisait en dessous), ainsi que les conifères en tous genres (cèdre, épicéa, sapin…)
  • des fruits (beaucoup de pommes, notamment, qui ont été récoltées en quantité à l’automne), des pommes de pins, des baies (pas forcément comestibles mais décoratives)
  • des petits ornements en paille tressée
  • des rubans
  • des fleurs ou des guirlandes de papier
  • des fleurs ou figurines en sucre, des épices (bâtons de cannelle, anis étoilé…), des oranges piquées de clous de girofle
  • des figurines en cire coulées dans des moules (essentiellement des personnages religieux, des Petits Jésus, des angelots…)
  • des bougies décorées

ÊTRE CHRÉTIEN N’EMPÊCHE PAS D’ÊTRE SUPERSTITIEUX… On est supposés décorer seulement pendant les 12 jours du temps des fêtes : on accroche les décos le 25 décembre, et on décroche et on brûle tout le 6 janvier, sinon on risque d’attirer la malchance sur la maison !

Un petit détail subtil, tout à fait le genre de choses que j’aime glisser dans mes romans et que vous trouverez dans La renaissance de Pemberley ! 😉


Yule : le solstice et la bûche

Le solstice d’hiver

Vous ne vous êtes jamais demandés pourquoi on servait à Noël un gâteau en forme de bûche ? Quand j’étais gamine, ça me rendait complètement perplexe…

Non, mais qu’est-ce qu’on fout avec un morceau de bois au milieu de la table ? Depuis quand on est supposé trouver ça joli et décoratif ?

Je vous parlais plus haut d’une période de fêtes chargée des réminiscences de célébrations païennes anciennes, et cette bûche est fait partie.

Lorsque l’Angleterre a été envahie par les Anglo-Saxons, vers 500 après J.C., ces derniers ont importé leurs traditions, et parmi elles la fête de Yule (qui signifie « solstice » en vieux norrois ou vieux normand). Pour célébrer la nuit la plus longue de l’hiver, ils faisaient une flambée de tous les diables en passant au feu la plus grosse bûche qui soit !

SOLSTICE D’HIVER, SOLSTICE D’ÉTÉ, MÊME SYMBOLE… Les fêtes des solstices célèbrent la lumière du soleil, source de toute vie. Le 21 décembre, c’est la plus longue nuit de l’année (et on y a collé la naissance du Christ), tandis que le 21 juin, c’est la nuit la plus courte (et on y a collé la naissance de Saint Jean).

Dans les deux cas, on fait une grosse flambée qui doit durer toute la nuit, afin que la lumière ne tarisse jamais en attendant le retour du soleil à l’aube. Le premier objectif de la bûche de Yule n’est donc pas de réchauffer, mais d’éclairer, comme c’est aussi le cas des feux de la Saint-Jean. Les deux sont bien des fêtes de la lumière.

UN « JOLI » PETIT DÉTAIL LINGUISTIQUE : certains linguistes considèrent que le mot joli pourrait venir du vieux normand Jol, lui-même issu de Yule. Car, contrairement à la majorité de la langue française (qui est issue du latin en passant par les langues romanes du Moyen-Âge), le mot joli n’a aucune racine latine, et son sens de « gai, plaisant, agréable à voir » pourrait a priori correspondre à la fête du solstice.

C’est une explication contestée, mais elle a le mérite d’être intéressante !

Une vraie bûche, alors ? En bois, et tout ?

J’en reviens à mon Angleterre du début du XIXème, où les 12 jours de Christmastide portent parfois le nom de Yuletide, Yule time ou Yule season.

La bûche de Noël porte elle aussi le nom de Yule log (« bûche de Yule »). Il s’agit de la plus grosse bûche qu’on a été capable de trouver (et qui rentre dans la cheminée !), celle qui va faire un max de lumière et brûler toute la nuit.

On part en famille chercher une bûche dans les bois, puis on la décore avec des rubans et des petits ornements, on l’expose une partie de la soirée pour que tout le monde s’extasie dessus, on l’arrose parfois d’un peu de vin ou de cidre, et enfin on la passe au feu et on continue de festoyer autour.

Carte de Noël (1870) montrant une famille en train de couper la bûche qui sera brûlée le soir de Noël
« Là où il y a de la volonté, il y a toujours un moyen » (carte de Noël datant de 1870). Ils ont de l’ambition, ces gens ! 😉

ET COMME ÊTRE CHRÉTIEN N’EMPÊCHE DÉCIDÉMENT PAS D’ÊTRE SUPERSTITIEUX… Une fois que la bûche de Yule a bien brûlé, on en garde précieusement un petit morceau. C’est ce tison qui servira, le jour du Nouvel An, à allumer le tout premier feu de l’année, afin d’apporter la chance dans la maison.

Il y a aussi la croyance qui consiste à ne surtout pas jeter les cendres hors de la maison avant la fin de Christmastide, ou encore à en jeter une partie dans un puit pour garder l’eau bonne…

Rigolo, non ?

PENDANT CE TEMPS-LÀ, EN FRANCE… beeeeen… on faisait exactement pareil ! Nous aussi avons été influencés par les fêtes germaniques, et le soir de Noël on faisait brûler une énorme bûche dans la cheminée.

Sauf qu’en bons Français, on a fini par en faire un truc qui se mange ! L’origine du gâteau n’est pas très claire, mais il semblerait que ce soit apparu dans le courant du XIXème siècle, et que ce soit devenu vraiment populaire après la Seconde Guerre Mondiale.


En conclusion

Ah, on savait s’amuser, à l’époque !

On mélangeait allègrement les références païennes et les références chrétiennes sans que ça pose problème, on mangeait, on picolait, on dansait, on festoyait toute la nuit, le tout dans une maison bien chauffée et bien éclairée (vu la taille de la bûche !), et ornée de verdure et de jolies décorations.

Et on organisait des jeux, aussi ! Mais ça, c’est le sujet du prochain article… 😉

SOURCES :
Where do all those Christmas decorating traditions come from?
First victorian Christmas tree
Christmas in the Regency
Christmas, Regency style
Fun fact friday - Yuletide
Wikipédia - Yule
Solstice d'hiver
Yule log traditions in Europe
Weird Christmas - The Yule log
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