Bougie, chandelle, XIXe siecle
Époque georgienne,  Époque victorienne

Des bougies, des chandelles… et des économies

Hé, il commence à faire noir… Puisque tu es debout, tu veux bien allumer la lumière, en passant ?

Ça, c’est nous, dans nos salons modernes bien douillets, où il suffit d’appuyer sur un bouton pour y voir instantanément comme en plein jour, même au coeur d’une nuit de décembre.

L’électricité est tellement une évidence que nous ne pensons pas une seconde au luxe inouï que nous avons de profiter d’un éclairage pas (si) cher, aussi efficace, et qui n’en finit plus de s’adapter à nos moindres besoins (plafonniers, suspensions, lampes d’appoint, de lecture, d’ambiance, de chevet, de travail, avec ou sans gradateur, aux couleurs plutôt froides, plutôt chaudes…).

Mais au début du XIXe, avant l’électricité, avant même les lampes à pétrole, avoir de la lumière la nuit était un confort très limité, et qui se payait cher !

Petit tour de ce qu’on utilisait à l’époque de Jane Austen.


Différents types d’éclairage

Les rushlights

Bougeoirs anciens destinés à tenir des joncs (rushlight) que l'on enflammait en guise de bougies
Quand on voit les « bougeoirs » tout seuls, sans le jonc dessus, on se demande bien à quoi ça pouvait servir !

Les rushlights sont une variété de joncs dont on a fait sécher la tige et qu’on a trempé dans de la graisse (rush plant signifie joncacée). On les fixe sur un support semblable à une grosse pince crocodile, et dans un angle d’environ 45° pour que la flamme consume la tige pas trop vite, et sans s’éteindre.

C’est un éclairage de pauvres, qui ne coûte vraiment rien à produire (des joncs, c’est facile à aller chercher dans la nature, autour de chez soi) et ça produit une lumière vive.

En revanche, ça se consume très vite. Et ça varie (selon la densité de la tige, j’imagine ?) : on peut avoir une tige de 30cm qui brûle en 10 à 15 minutes, ou alors une autre de 70cm qui dure une heure.

DÉTAIL : Charlotte Brontë mentionne ce genre d’éclairage dans Jane Eyre : c’est celui utilisé à l’école de Lowood.

Les chandelles

Chandelles de suif

Le mot chandelle est galvaudé. On lui donne une connotation chic et élégante, alors qu’à l’origine il s’agit de chandelles de suif, c’est à dire d’un éclairage de mauvaise qualité.

Les tallow candles (chandelles de suif, donc) sont faites de graisse de mouton ou de boeuf. Ça date du Moyen-Âge, et c’est le même principe qu’une bougie, c’est à dire un bâtonnet de gras durci avec une mèche au milieu.

Ça brûle beaucoup plus lentement que les rushlights, mais par contre ça fait une fumée âcre et noire, et ça pue le graillon ! Ben oui, c’est de la graisse animale, qu’on brûle… C’est pourquoi les chandelles étaient utilisées par les domestiques, les paysans et la classe moyenne.

On pouvait les acheter dans le commerce, ou alors les fabriquer chez soi. Il fallait procéder par trempages successifs, c’est à dire tremper la mèche à de nombreuses reprises dans la graisse liquide, et attendre que ça durcisse entre chaque couche.

DÉTAIL : Les mots chandelle en français, ou candle en anglais, ont la même origine : ils viennent du latin candela, qui signifie « briller ».

(je sais, je sais, je parle très souvent d’étymologie… je trouve ça passionnant !)

Les bougies

Bougies en cire d'abeille

Le top du top, c’est quand même les bougies en cire d’abeille, utilisées seulement par les plus riches, car ce sont elles qui coûtent le plus cher.

Elles donnent la meilleure lumière, pas trop de fumée, et elles sentent bon ou ne sentent pas du tout. Par contre, elles ne durent pas très longtemps (en tout cas pas plus que les chandelles de suif, voire même moins), alors il faut les remplacer plus souvent, ce qui augmente leur coût général.

Moule à bougies du XIXème siècle.

Si on ne les achète pas à un fournisseur, on peut les fabriquer à la maison (ça ferait partie des tâches d’une still room maid, par exemple, voyez ici). On peut faire des trempages successifs, comme pour les chandelles, ou alors on utilise des moules.

La technique n’a pas changé, comme le montre la vidéo ci-dessous :

Et pour démouler, un peu d’eau chaude sur le métal suffit !

DÉTAIL 1 : Le mot bougie vient de la ville de Béjaïa, en Algérie. C’était, à l’époque médiévale, le plus gros fournisseur de cire d’abeille pour la France, et c’est comme ça que le nom est passé dans la langue française (mais pas en anglais, qui n’utilise que le mot candle).

DÉTAIL 2 : comme les bougies coûtaient cher, on recyclait tout ce qu’on pouvait ! Même dans une grande maison riche, on les consommait avec parcimonie, et on autorisait parfois l’intendante à récupérer les restes de cire coulée pour les revendre ou les réutiliser (rien de se perd, un peu comme les feuilles de thé infusées dont je parlais ici).

DÉTAIL 3 : de nos jours, la plupart de nos bougies sont faites en paraffine, une cire minérale issue de la pétrochimie. Or, on ne commencera à exploiter le pétrole que dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Pour Jane Austen, ça n’existait donc pas.


Cristaux, miroirs et réflecteurs

Comme vous le voyez, produire de la lumière est loin d’être simple et ça coûte cher, alors on essaye de l’optimiser le plus possible !

Applique murale à facettes miroir (début du XIXe siècle). Double avantage : ça empêche la flamme de noircir le mur, et ça multiplie la lumière.

D’abord, tout le monde passe la soirée dans la même pièce, afin de n’éclairer que celle-là (ça fait moins de dépenses !). De plus, le feu de la cheminée, allumé pour chauffer en hiver, est également une des plus importantes sources de lumière.

Mais ensuite, il faut réaliser que mettre de l’or, des cristaux et des miroirs partout dans son salon, ce n’est pas juste pour faire étalage de sa richesse : c’est aussi pour refléter le plus de lumière possible ! Ce n’est pas pour rien que les énormes chandeliers sont chargés de cristaux !

… Avec tout ça, il y a une question qui m’a longtemps tracassée :

Ils faisaient comment, les domestiques, pendant un bal ou une grande réception, pour remplacer les bougies au cours de la soirée ?

Hé bien, j’ai fini par trouver la réponse :

Ils ne les changeaient pas…

Pour un évènement de ce genre, on utilisait bien sur de vraies bougies en cire d’abeille, et non pas des chandelles-à-odeur-de-graillon. Ces bougies étaient vendues en différentes tailles, pour durer 4h, 6h ou 8h. La hauteur des bougies à leur arrivée pouvait donc donner aux invités une idée de la durée probable de la soirée.


En conclusion

Nous qui sommes habitués à avoir de la lumière (BEAUCOUP de lumière) en permanence, et de vivre la nuit si ça nous chante, c’est difficile de se rendre compte du ralenti de la vie des gens une fois le soleil couché. Dans les rues et dans les maisons, il ne se passait plus grand chose. Ce n’est pas pour rien si on dit que les paysans se couchent avec les poules, et si on parle d’économiser les bouts de chandelles…

On veillait un peu, le soir, après le repas. On s’asseyait tous ensemble au salon, on lisait, on jouait aux cartes, on faisait de la musique et on passait le temps comme on pouvait. Mais à moins d’avoir de gros moyens, on allait se coucher tôt pour ne pas faire exploser le budget de chandelles.

Bouquiner dans son lit, la nuit, nous paraît tout à fait naturel et facile. Pourtant, c’est un luxe très récent.

Réjouissons-nous de pouvoir en profiter ! 🙂

SOURCES :
Wikipedia - Rushlight
Heat and light in Austen's novels
Lighting in Regency era
Georgian era lighting
Lighting the darkness in Regency era
Wikipédia - Béjaïa (Algérie)
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