Eau potable au XIXe siecle, époque victorienne
Époque victorienne

C’est pas tout, mais… qu’est-ce qu’on boit, maintenant ?

Voilà encore bien un truc qu’on prend pour acquis, tiens : l’eau potable. Un luxe incroyable auquel on ne fait absolument pas attention, parce que pour nous il suffit d’ouvrir le robinet de la cuisine pour se servir. On fait la vaisselle à l’eau potable, on fait la lessive à l’eau potable, on se douche à l’eau potable, et on fait nos besoins dans l’eau potable !

Si les gens du XIXème nous voyaient, ils nous prendraient pour des fous…


Un problème de santé publique

Trouver de l’eau bonne à boire

Obtenir de l’eau consommable, c’est une préoccupation qui remonte aux premiers âges de l’humanité et qui a façonné les civilisations. On construit les habitations et les villes près des points d’eau (ruisseaux, rivières, lacs, sources), on récolte la pluie (citernes), on creuse le sol (puits), ou encore on la transporte à partir d’ailleurs (aqueducs, tuyaux).

Dans tout ça, on fait aussi ce qu’on peut pour la garder propre, vu qu’on a compris depuis bien longtemps qu’elle peut être vecteur de maladies. Mettons qu’on ne laisse pas les larves d’insectes ou les algues s’y développer, ni les végétaux ou les carcasses d’animaux s’y décomposer.

Mais malgré les siècles qui passent et qui apportent leurs lots d’améliorations, en Europe, au XIXème, on ne peut toujours pas garantir la potabilité de l’eau. Et comme la chimie n’est pas assez développée pour nous aider là-dedans, on continue de faire « à l’ancienne » : on regarde si l’eau a une odeur, un goût ou un aspect bizarre, et si tout a l’air correct on la boit en croisant les doigts pour que ça se passe bien.

Une technique rudimentaire qui ne vous met clairement pas à l’abri des ennuis…

Le problème des villes

Dans les campagnes, c’est encore pas trop mal si on a une source d’eau naturelle à portée de main. C’est en ville que la situation est problématique, à cause de la concentration des populations : ça fait un bail que les rivières qui y passent ne servent plus de source d’eau à boire, mais d’égout à ciel ouvert.

Eau non potable au XIXème : "La distributrice de mort, ouverte aux pauvres, gratuite, et avec la permission de la paroisse..." Caricature de George Pinwell (1866)
« La distributrice de mort, ouverte aux pauvres, gratuite, et avec la permission de la paroisse… » Caricature de George Pinwell (1866)

À Londres (oui, on va encore parler des Britanniques, vu que c’est mon sujet favori 😉 ), il y a bien des compagnies dont le rôle est de fournir en eau les habitants via des pompes et des tuyaux, mais elles se contentent de puiser dans la Tamise (qui est extrêmement polluée, à l’époque) et de réacheminer.

Il faudra attendre 1852 pour qu’une loi force enfin ces compagnies à assurer un filtrage et des standards de qualité minimum… et pour voir les épidémies de choléra et de dysenterie diminuer en conséquence.

Bref. On est peut-être au XIXème, en plein boum technologique, mais on a encore du chemin à faire de ce côté-là…

Dans ce contexte, les gens n’ont que deux choix : rendre l’eau potable, ou boire autre chose !


Le traitement de l’eau

À l’échelle municipale

Dès le XVIIème siècle, on dispose de microscopes et on a pu observer des particules dans l’eau, dont on a compris qu’elles pouvaient être pathogènes et qu’il fallait purifier tout ça pour boire sans risquer de s’empoisonner (et on ne parle pas juste d’attraper une bonne tourista : on peut très bien mourir d’une eau malpropre si on fait partie des plus vulnérables – enfants, malades… – ou si on chope un truc comme le choléra, justement).

Les scientifiques se mettent donc au boulot pour trouver des solutions. Ils cherchent également comment désaliniser l’eau de mer, car ce serait une sacrée avancée à une époque où on envoie des navires explorer le monde, et où ils n’ont pas d’autre choix que d’embarquer à bord toute l’eau douce dont ils auront besoin pendant leurs longues semaines loin des côtes. Imaginez le confort de pouvoir désaliniser au fur et à mesure !

C’est ainsi qu’on arrive à mettre au point la filtration de l’eau par le sable. Dommage, ça ne marche pas du tout pour désaliniser l’eau de mer, par contre ça fonctionne plutôt bien pour fournir de l’eau consommable à une partie des habitants de Londres dès 1829. C’était rudimentaire, mais mine de rien c’était le premier système de traitement d’eau à grande échelle, et ça a ouvert la voie pour la suite (et notamment pour la loi de 1852 dont je vous ai parlé plus haut). Le Royaume-Uni était précurseur dans ce domaine, les autres pays d’Europe lui ont emboîté le pas juste après.

Finalement, il faudra attendre les années 1880 à 1900 pour que la chimie se développe et qu’on se mette à traiter l’eau avec du chlore. Là, pour le coup, le problème sera résolu.

DES FONTAINES PUBLIQUES EN VILLE : jusqu’au milieu du XIXème, l’eau était acheminée dans Londres par des compagnies privées qui desservait différents quartiers (les plus riches avaient de l’eau chez eux, les autres se contentaient de la pompe installée dans la rue et partagée avec les voisins). Ça signifie que l’eau était payante.

Pour remédier à ça, deux philanthropes fondent en 1859 la Metropolitan Drinking Fountain and Cattle Trough Association, une association dont le but est de fournir gratuitement de l’eau potable aux habitants de la capitale. La première fontaine mise en fonction est si populaire que ce sont jusqu’à 7000 personnes par jour qui viennent s’y désaltérer ! Dans les années qui suivent, on construira 85 autres fontaines (incluant des abreuvoirs pour les chevaux) afin de répondre à la demande.

Eau potable au XIXème : fontaine publique à Londres
« Merci de remettre les gobelets en place » demande poliment la première fontaine publique de Londres. Visiblement, les gobelets aussi étaient publics… 😉

À l’échelle domestique

Dans un ancien article, ici, je racontais qu’on ne trouvait pas de carafe d’eau sur la table du repas, à l’époque de la Régence. Ce n’est pas dans les habitudes de consommation, et ça le sera encore moins lorsqu’on va comprendre, vers le milieu du siècle, qu’il y a un lien direct entre une eau contaminée et le choléra.

Si on a la chance de posséder chez soi un puits ou une source, a priori on est tranquille. Mais dans le cas contraire, lorsqu’on n’est pas trop sûr de la qualité de l’eau dont on dispose, reste un bon vieux moyen : la faire bouillir.

C’est en partie ce qui fait que le thé et le café sont si appréciés. Certes, on les aime parce que ce sont des stimulants, mais c’est aussi un moyen de se désaltérer en toute sécurité.

On peut également mettre dans l’eau un peu d’alcool afin de tuer les germes. On va mélanger de l’eau et du gin, par exemple, ou un alcool fort du même genre (le but de l’opération n’étant pas de se bourrer la gueule, mais juste de prendre une lampée d’alcool pour se revigorer en même temps qu’on étanche sa soif).

À partir de là, un peu de gin dans un verre d’eau ou un peu d’eau dans un verre de gin… Tout est question de proportions ! 😉


Boire autre chose

Boire de l’alcool est un moyen sûr de ne pas s’empoisonner avec de l’eau contaminée, et les gens ne vont pas s’en priver (il faut bien boire quelque chose, après tout, non ?).

Au XIXème, la boisson du peuple, c’est la bière (pour une raison toute simple : elle est moins chère, car on la brasse sur place, tandis que le vin est importé de France, Italie, Portugal ou Espagne, et seuls les plus riches en ont les moyens). J’ai lu je ne sais plus où que les domestiques hommes avaient droit à une pinte de bière par jour – et une demi-pinte pour les femmes. C’est beaucoup ! Mais c’est compréhensible quand on réalise que c’était plus sécuritaire de boire de la bière que l’eau. De plus, certaines bières étaient justement faites assez légères (0,5 à 1,5% seulement) pour désaltérer sans que les gens soient ivres dès la troisième gorgée.

On boit également du cidre et des alcools forts, et puis on finira par se mettre au vin quand le commerce international se sera un peu plus développé et que les prix baisseront assez pour être à la portée de tous.

La conséquence, c’est que l’alcoolisme se développe. En toute logique. Bien sûr, les humains ont toujours bu de l’alcool, dans à peu près toutes les civilisations, mais c’était généralement réservé aux moments festifs ou alors c’étaient les riches qui buvaient parce qu’ils le pouvaient. Tandis qu’à l’époque victorienne, tout le monde picole, hommes et femmes, riches et pauvres, jeunes et vieux. C’est le temps de l’absinthe (j’en ai parlé ici), des bagarres de saloon, la naissance de l’Oktoberfest, des premiers vins californiens, de tout un tas de nouvelles recettes d’alcools plus ou moins forts…

Bref : ça picole, et pas qu’un peu !


En conclusion

Depuis la fin du XVIIIème, on assiste à une énorme expansion des villes, générant des problèmes d’infrastructures et d’hygiène, avec une eau potable difficile d’accès et une consommation de plus en plus grande d’alcool pour compenser. Sans compter que la technologie va très vite et donne l’impression qu’on va travailler de moins en moins. La mentalité puritaine s’en inquiète en se disant qu’à ce train-là tout le monde va devenir paresseux et ivrogne (ce qui n’est pas tout à fait conforme aux valeurs chrétiennes), et qu’il faudrait bien ramener les gens à un peu plus de sobriété.

J’extrapole, mais c’est juste pour souligner que si on a assisté à une aggravation de l’alcoolisme au XIXème (avec, en réaction, différents mouvements anti-alcool qui ont fini par aboutir à la Prohibition des années 1920), c’est entre autres parce que l’eau potable était difficile à obtenir.

Pas plus compliqué que ça !

SOURCES :
The History of Clean Drinking Water
YouTube - How Did Early Civilizations Supply All Their Drinking Water?
A Brief History of Water and Health from Ancient Civilizations to Modern Times
A brief history of drinks and beverages
London’s First Drinking Fountain
Wikipedia - Water purification
Drinking Cold Water & Other 19th-Century Causes of Death
Alcohol in the 19th Century (And Emergence of Temperance)
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