
L’art de se tenir au chaud
Ah, misère… Ça fait une semaine que Montréal est sous la neige. D’habitude, elle n’arrive pas avant Noël, alors autant vous dire qu’à la mi-novembre ça a pris tout le monde par surprise ! On a sorti en avance les gros manteaux et les bottes d’hiver, et on a augmenté le chauffage parce qu’on se gèèèèle !
Ça m’a fait penser que dans un pays aussi humide que l’Angleterre, les hivers devaient être glaçants, eux aussi. On parlera des vêtements d’extérieur une autre fois, car pour le moment je vais m’attarder sur comment les gens faisaient les gens pour se tenir au chaud dans leurs maisons.
D’abord : on fait du feu
Depuis des siècles, c’est une évidence : quand on construit une maison, on construit forcément une ou plusieurs cheminées pour la chauffer.
Cela dit, un feu de cheminée n’a qu’une efficacité très relative, surtout si on le compare à un poêle en fonte ou à un poêle de masse, qui diffusent beaucoup mieux la chaleur. Dans une cheminée, une grosse partie de la chaleur part directement vers le haut, et il n’y a guère que les personnes se tenant en demi-cercle auprès des flammes qui en profiteront un peu.

Les poêles en fonte, bien plus efficaces, vont se répandre dans les maisons tout au long du XIXème, mais à l’époque de Jane Austen ils sont encore assez rares. Donc on se contente des cheminées, et on se serre autour comme des petits oisillons frigorifiés. Les familles se regroupent pour passer la journée ou la soirée ensemble autour d’un même feu, afin de limiter les dépenses de bois (on chauffe le moins de pièces possible, sauf si on s’appelle Mr. Darcy et qu’on a de gros moyens), profiter de sa chaleur, mais aussi de sa lumière la nuit (j’en avais parlé ici).
De toute façon, entre l’isolation inexistante, le simple vitrage et le peu d’efficacité des feux de cheminée, il était difficile – sinon impossible – de chauffer une pièce toute entière. Il fallait faire de longues flambées pour parvenir à ne produire qu’un peu de chaleur, et seulement pendant quelques heures… Tant d’énergie dépensée pour si peu !

EN CUISINE : la cuisine a ceci d’avantageux qu’elle dispose généralement d’un grand âtre bien ouvert et de fours en fonte (voyez ici), autrement dit : des installations avec une bien meilleure efficacité thermique qu’une cheminée de salon. De plus, la cuisine est le seul endroit de la maison où on alimente le feu à longueur de journée, été comme hiver.
C’est donc là qu’il vaut mieux se tenir par grands froids, et il n’était pas rare que les maîtres descendent eux aussi dans la cuisine pour se réchauffer, même si d’ordinaire c’est un endroit réservé aux domestiques. Quand on a froid, hein, on ne fait plus trop de manières…
Ensuite : on s’emmitoufle
Le jour
Comme on n’arrivera jamais à maintenir une température moyenne et constante dans toute la maison, la solution de base pour lutter contre le froid ambiant consiste à bien se couvrir.
On n’imaginerait pas, aujourd’hui, passer la soirée dans notre salon avec notre doudoune sur le dos et nos gants sur les mains. C’est pourtant bien ce que faisaient les gens de l’époque : ils portaient des foulards, des gants ou des mitaines, des bonnets (de dentelle ou de laine) sur la tête, plusieurs jupons pour les dames (parfois jusqu’à 4 ou 5 ! et s’ils sont en flanelle, c’est le top), des vestes ou des châles, des bas de laine et des chaussures épaisses.
Heureusement que l’Angleterre est un pays de moutons… D’ailleurs, j’ai fait un article ici pour raconter comment les gens tricotaient, vu qu’il y avait tout un circuit économique pour ça.
La nuit
Cherchez pas : vous ne mettrez pas votre nuisette sexy s’il fait 8 degrés dans la chambre. Même en considérant que Mr. Darcy dort à vos côtés (vous êtes sacrément chanceuse, tiens !) et qu’à deux vous allez sans doute vous tenir chaud…
La nuit, comme le jour, ON SE COUVRE ! On enfile des bas de laine chaude et des chemises de nuit plus épaisses que d’ordinaire, on se met un bonnet de nuit sur la tête (c’est toujours pas sexy, mais au moins c’est efficace), et on se faufile sous des tonnes de couvertures.
Enfin : on s’équipe
Lits à baldaquin

Si vous avez les moyens de dormir dans un lit à baldaquin, c’est encore mieux. Ce n’est toujours pas pour se rendre sexy (vous n’y arriverez pas, je vous dis ! 😉 ), mais c’est pour éviter les courants d’air.
Dormir dans un lit tendu de rideaux bien épais, c’est un confort supplémentaire très appréciable. La nature du tissu dépend de vos moyens financiers, mais disons que si vous pouvez vous le permettre, il faudrait mettre du velours ou du brocard (un truc bien costaud, lourd et épais).
Bassinoire

Pour chauffer votre lit à baldaquin, si vous n’avez pas de Mr. Darcy sous la main, l’idéal est d’avoir une bassinoire, c’est à dire un chauffe-lit.
Si vous n’en avez jamais vu chez votre grand-mère (je sais pas pourquoi, j’ai l’impression que toutes les grands-mères du monde ont une bassinoire antique accrochée sur un mur…), ça consiste en un récipient de cuivre ou d’étain, qu’on remplit de braises ou de morceaux de charbon incandescents, et qu’on va ensuite glisser un peu partout entre les draps pour les réchauffer, peu de temps avant de les dormeurs ne s’y installent.
Malheureusement, comme la bassinoire est en métal, on ne peut pas poser les doigts dessus et encore moins la laisser entre les draps, sous peine de mettre le feu au lit (et aux rideaux du lit, et ensuite à toute la maison…). La bassinoire sera donc peu à peu détrônée pendant le XIXème par un autre accessoire idéal pour les soirées froides : la bouillotte en caoutchouc (elle, c’est ma meilleure amie depuis de longues années ! pas vous ?).

LE CHARBON : Depuis la nuit des temps, on se chauffe essentiellement au bois. Mais avec la révolution industrielle, l’Angleterre et le reste de l’Europe commencent à se chauffer de plus en plus au charbon à partir de la fin du XVIIIème siècle. La compétition pour l’exploitation du charbon est d’ailleurs un des sujets de la série télé Gentleman Jack (ici), car le business est florissant et il y a beaucoup de gros sous à faire.
On ne met donc pas de charbon dans la cheminée du salon (ce n’est pas fait pour ça), par contre on va l’utiliser de plus en plus couramment dans les fours, les chaudières, les chaufferettes, chauffe-plats, chauffe-lits en tous genres…
Chauffe-pieds

Dans le même genre que la bassinoire, voici le chauffe-pieds portable, qu’on déplace dans la maison en fonction de l’endroit où on va rester assis un petit moment (on peut même l’emporter en voiture si on voyage).

Lui aussi est un récipient de métal (recouvert de bois) qu’on remplit de braises. On pose ensuite ses pieds sur le dessus pour profiter de la chaleur qui en sort.
Ça peut valoir la peine, surtout quand on voit les films d’époque où les actrices se baladent sur des sols en pierres glacées avec de minuscules ballerines… Personne ne leur a jamais dit qu’on attrapait froid par les pieds ?
Paravents
Para-vent… Pare-vent… C’est tout bête, mais avant d’être de jolis parois amovibles derrière lesquelles on se cache pour se déshabiller dans une loge d’artiste pendant que votre amant vous attend en essayant de ne pas glisser un coup d’oeil (oui, j’ai de l’imagination… 😉 ), les paravents ont d’abord pour but d’empêcher les courants d’air de circuler dans une pièce.
Non seulement le paravent va, d’un côté, bloquer l’arrivée du froid, mais il va aussi, de l’autre, éviter que la chaleur se disperse, car elle va se réverbérer dessus et être renvoyée d’où elle vient. On peut ainsi créer une petite bulle de chaleur à proximité immédiate du feu, là où se tiendront les gens (car comme je le disais plus haut on ne cherche pas à chauffer la totalité de la pièce, ce serait peine perdue).

Petit aparté sur les écrans

Si vous avez déjà visité des châteaux encore meublés comme au XVIIIème, vous avez sûrement vu ce genre d’objet, et vous vous êtes peut-être demandé à quoi ça pouvait bien servir.
On veut, ici, non pas profiter de la chaleur du feu, mais au contraire s’en protéger. Et plus particulièrement le visage.
Il faut dire que pendant le XVIIIème et jusqu’au début du XIXème, les hommes et les femmes les plus riches se maquillaient le visage avec une sorte de fond de teint bien blanc et bien opaque, qui permettait notamment de cacher les cicatrices de petite vérole (Mme de Pompadour, Marie-Antoinette, ou encore les mouches de Mme de Merteuil, c’est ici que ça se passe).
Ce fond de teint était composé de cire et de blanc de céruse… C’est quoi, du blanc de céruse, me direz-vous ? C’est du plomb ! Et le plus rigolo, c’est que cette cochonnerie FOND à la chaleur ! Alors non seulement ton beau maquillage va dégouliner sur ton corsage, mais en plus le plomb va pouvoir bien pénétrer dans ta peau et te permettre, à la longue, de mourir d’intoxication… Génial, non ?
D’où la nécessité de placer ce genre d’écran à hauteur de son visage, quand on était assis près de la cheminée, pour éviter la chaleur directe du feu. Mais bon, faut pas croire : tu t’empoisonnais quand même…. Le plus fou, c’est d’ailleurs que la toxicité du blanc de céruse était parfaitement connue et démontrée, mais ça n’a pas empêché le monde de continuer à l’utiliser. Un peu comme les papiers peints à l’arsenic dont je parlais ici…

LE PRINCE RÉGENT : Ce blanc sur le visage, c’est en plein la scène du film Beau Brummell : this charming man que je vous ai partagé dans cet article, ici.
George IV était en effet friand de ce genre de maquillage et en a bien abusé jusqu’à la fin de sa vie.
En conclusion
Depuis pas mal d’années que je vis au Québec, j’ai pris, comme tout le monde, l’habitude du froid. Je sais bien que si l’arrivée très précoce de la neige nous a pris au dépourvu, dans peu de temps on s’y sera faits et les -20°C habituels du mois de janvier nous paraîtront à nouveau pas si froids que ça.
Au XIXème, c’était pareil : leur manque de confort apparent peut nous sembler rude, mais pour eux c’était tout simplement normal. L’hiver était une période de ralentissement des activités humaines, on se groupait autour des feux par nécessité, c’était comme ça, et une fois qu’on était bien couverts on affrontait sans broncher des froids bien plus mordants que ceux que nous avons aujourd’hui.
Comme quoi, tout est une question d’habitude et d’adaptation !
SOURCES :
Heat and light in Austen's novels (part 1) : Fires
Keeping warm in the Regency era (part 1)
Keeping warm in the Regency era (part 2)
10 Ways They Kept Cozy in Winter

