Salon, intérieur, maison, époque Jane Austen, Régence
Tout le XIXe siècle

Une déco… mortelle !

À notre époque moderne, nous avons tellement de connaissances, de technologies et de savoir-faire à disposition qu’il n’est pas facile de s’imaginer comment les gens vivaient avant. Ils n’étaient pas plus bêtes, simplement ils en savaient moins.

Le XIXème siècle est une époque très particulière qui a connu un boum technologique et scientifique énorme sans que, pour autant, on sache très bien ce qu’on faisait (on en parle des premières installations électriques qui mettaient le feu à la baraque ou électrocutaient ses habitants ?). Le concept de précaution ne pesait pas lourd face à l’attrait de la nouveauté, alors on se précipitait, on profitait abondamment… et quand des drames se produisaient on ne comprenait pas pourquoi.

Après cette petite intro, laissez-moi maintenant vous parler de… mode et de déco intérieure ! 😉


Le vert de Paris

Contrairement aux époques précédentes, où les couleurs sont produites à base de pigments naturels (et, par conséquent, pas toujours les plus vibrantes, ni les plus variées qui soit), on fait au cours du XVIIIème et du XIXème siècle de sacrées avancées dans le domaine de la chimie, ce qui va permettre, entre autres, de produits les premiers colorants de synthèse.

Couleur vert de paris
La couleur exacte du vert de Paris n’est plus produite aujourd’hui, mais voici celle qui s’en approche le plus : le vert permanent

À l’époque de Jane Austen et dans les décennies qui suivent, une couleur est à la mode : le vert. Et pas n’importe lequel : un vert émeraude très vif, très saturé, que l’on appelle le vert de Paris.

Il faut dire que, bien qu’elle soit dominante dans la nature, le vert n’est vraiment pas la couleur la plus facile à reproduire !

Intérieur d'une maison de l'époque régence, avec son papier peint vert

Et il est encore moins facile à conserver, car il noircit avec le temps. C’est un problème bien connu des peintres, qui se dépêchaient de vernir leurs toiles pour protéger leurs pigments verts de l’oxydation. Quand aux laines et tissus, on ne dispose pas de pigments naturellement verts : on essaye bien de contourner le problème en teignant les fibres en jaune, puis en bleu, mais le résultat n’est jamais idéal.

Alors, dans ce contexte, l’arrivée de ce beau vert émeraude fait sensation ! On l’utilise en teinture pour vêtements, tapis ou tissus d’ameublement, et en peintures et encres qui serviront notamment à imprimer les papiers peints. On en met également dans la cire des bougies, les jouets des enfants… et même dans les desserts en gelée ! (parce qu’on ne se pose pas la question de savoir si un colorant est comestible ou pas…)

Papier peint vert empoisonné à l'arsenic

Il y a un « vert » dans la pomme

Pardon pour le jeu de mot foireux, je n’ai pas pu m’en empêcher… 😉 Il y a un hic, en effet, avec ce joli vert de Paris, et un gros !

Ce colorant est à base d’arsenic.

Vous devinez sûrement ce qui s’en vient…

Des morts inexpliquées

Au début du XIXème, alors que les ventes de papier peint s’envolent (car c’était un moyen vraiment pas cher de décorer son intérieur en imitant les textiles muraux hors de prix des gens riches), on constate que les empoisonnements se multiplient.

Des enfants, des jeunes hommes ou femmes apparemment en pleine santé font des comas et meurent subitement. Il suffit de jouer sur un tapis, de porter une robe neuve, de frôler les murs de trop près, d’être un peu gourmand en desserts… Bon, ok, il ne suffit pas d’une fois, on parle plutôt d’une exposition prolongée, mais n’empêche !

Au départ, on ignore à quoi sont dues ces morts mystérieuses, et puis, à la longue, on finit par identifier l’arsenic et les objets qui en contenaient.

Des vertus toxiques connues… et pourtant !

On soupçonne aujourd’hui que l’état de santé de certains grands peintres comme Cézanne ou Van Gogh a pu être aggravé par une exposition prolongée à ce vert de Paris (en plus des autres produits toxiques utilisés également en pigments pour la peinture).

Pareil avec Napoléon. Officiellement, il est mort d’un cancer de l’estomac, mais son corps présentait aussi des traces d’arsenic et les historiens ne sont pas d’accord pour déterminer lequel des deux a causé sa mort. Et si jamais c’est une intoxication à l’arsenic, l’une des théories pour expliquer cela (en dehors d’un empoisonnement volontaire ou d’une tentative d’homicide) est que les murs de sa maison de l’île Sainte-Hélène étaient tapissés de papier peint vert.

Malgré la mise en garde des médecins, on continue de l’utiliser comme colorant tout au long du XIXème siècle. Le célèbre designer anglais William Morris ne retirera jamais de la vente ses papiers peints empoisonnés : c’est simplement qu’à la longue, les gens, mieux informés, cesseront de les acheter.

Le vert arsenic finit par passer de mode, et c’est tant mieux pour la santé des gens.

PAR LA SUITE… Le vert de Paris sera utilisé comme insecticide dans les cultures, ou pour lutter contre la prolifération des moustiques dans certaines zones humides. Efficace, sans aucun doute, par contre ça a contaminé l’eau et les sols.

En Amérique du Nord, par exemple, on pointe aujourd’hui du doigt des riz contaminés à l’arsenic, au point que certains paquets vendus dans le commerce utilisent la mention « arsenic free » (sans arsenic) comme argument de vente…


En conclusion

Pendant tout le siècle, les chimistes ont joué aux apprentis sorciers et fait supporter à la population les conséquences de leurs expériences.

Ce goût de la couleur, toujours plus brillante et clinquante, a fini par évoluer. On a commencé à trouver que les intérieurs et les tenues trop colorées étaient vulgaires, ce qui nous a progressivement amenés jusqu’à Coco Chanel, pour qui la sobriété du noir et blanc était un idéal de bon goût (la petite robe noire, c’est elle).

Au XXème siècle, des couleurs vibrantes et artificielles sont apparues, et elles font toujours partie de notre quotidien aujourd’hui. La différence, c’est que la médecine et la santé ont évolué également et que, désormais, on s’assure (le plus possible) de l’innocuité d’un produit avant de l’utiliser à grande échelle.

Reproduction du papier peint vert dans le musée Jane Austen, à Chawton

EDIT : Dans le musée Jane Austen (autrement dit la maison, à Chawton, où elle a passé les dernières années de sa vie), on a reconstitué le papier peint qui était collé sur les murs, très probablement à l’époque où elle y a vécu. Et, oui, c’était bien un joli papier vert à l’arsenic ! 😉 Je vous renvoie à cet article publié sur le site du musée, ici.

(et je vous rassure, le papier peint a été recréé à l’identique, mais sans la moindre goutte d’arsenic dedans…)

SOURCES :
Wikipédia - Vert de Paris
Wikipédia - Colorants synthétiques
Maryland historical society - An update on Arsenic green
The Arsenic dress
Emerald green or Paris green : the deadly Regency pigment
Hidden killers of the Victorian home
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