Le travail quotidien d’une bonne
Tiens ! Il me semble que ça fait longtemps que je n’ai pas parlé de la vie des domestiques du XIXe, sur ce blog… En fait, je viens tout juste de réaliser que j’ai déjà un peu abordé le rôle des bonnes – ici – mais sans donner de détails sur ce qui composait précisément leurs journées de travail. Parce que, faire le ménage, oui, mais dans des maisons du XIXe sans eau courante, ni électricité, ni chauffage centralisé, ce n’est pas la même réalité que notre ménage à nous.
Bonne, femme de ménage, femme de chambre, bonne à tout faire… ?
Avant de commencer, et pour qu’on se comprenne bien, voici un petit lexique qui vaut ce qu’il vaut, mais qui permet de distinguer des postes bien spécifiques. Car, en français, on utilise un peu toujours les mêmes mots et ça rend les choses confuses (les Anglais sont meilleurs que nous, pour ça, ils ont un mot différent à chaque fois).
- FEMME DE CHARGE ou INTENDANTE : domestique en chef qui dirige tous les autres et qui est en charge de la gestion de la maison, notamment du linge et de l’argenterie (des détails ici). On l’appelle souvent aussi gouvernante, mais ce terme s’applique mieux aux gouvernantes d’enfants (ici)
- FEMME DE CHAMBRE : domestique d’un rang supérieur qui est exclusivement dédiée au service de la maîtresse de maison, notamment pour l’habiller et la coiffer (ici)
- FEMME DE MÉNAGE : employée qui n’habite pas sur place, mais vient dans la maison 1 ou 2 fois par semaine pour y faire le ménage
- BONNE : domestique spécialisée qui s’occupe exclusivement du ménage (dans une maison assez grande où d’autres domestiques eux aussi spécialisés s’occupent des autres tâches)
- BONNE À TOUT FAIRE : domestique qui fait autant le ménage que la cuisine, aide les maîtres à s’habiller, sert à table, ouvre la porte aux visiteurs, fait les courses et porte les messages
- BONNE D’ENFANT : domestique qui ne fait pas de ménage mais s’occupe exclusivement des enfants de 0 à 5 ans. Elle leur donne les soins de base en attendant qu’ils soient assez grands pour passer dans les mains de la gouvernante qui fera leur éducation scolaire.
La bonne
On parle bien ici d’une bonne spécialisée dans sa tâche, qui ne s’occupe QUE de faire le ménage. Si la maison est prestigieuse, on comptera plusieurs bonnes – voire plusieurs dizaines – et elles seront alors divisées en groupes hiérarchisés, avec une cheffe-bonne pour les superviser et rendre des comptes à l’intendante. Au programme :
- La bonne se lève à 6h du matin en été, et à 6h30 ou 7h en hiver (j’ai parfois vu 5h du matin, mais ça coûte plus cher aux maîtres en terme de chauffage et de bougies, ça n’est donc pas toujours une bonne idée de faire lever ses domestiques avant le soleil)
- Elle commence par ouvrir les volets des pièces de vie, au rez-de-chaussée. En été, elle aère. En hiver, elle rallume les cheminées, ce qui signifie :
- étaler un vieux drap au sol pour éviter de salir partout
- balayer et vider la cendre dans un seau
- gratter, nettoyer, puis noircir et faire briller les grilles de la cheminée (à l’aide de divers chiffons, brosses, pinceaux et produits de cirage)
- disposer le bois ou charbon, et allumer le feu
- s’assurer qu’il y a assez de bois/charbon disponible…
- … et passer à la prochaine cheminée
- Pendant que la cuisine prépare le petit-déj et que les valets et femmes de chambre assistent le lever des maîtres, la bonne prépare la salle à manger : elle passe le balai, secoue les tapis, fait les poussières et astique les meubles
- Une fois que les maîtres sont à table pour prendre leur petit-déjeuner (servis par un valet de pied, ici), la bonne monte dans les chambres pour :
- ouvrir les rideaux et aérer
- ouvrir le lit pour l’aérer également
- ramasser et déposer proprement les vêtements qui traînent (les maîtres décideront plus tard quoi en faire)
- emporter les pots de chambre, les vider et les laver avant de les remettre en place
- faire le lit
- épousseter, ranger, astiquer les meubles
- … et passer à la prochaine chambre
- La bonne fait un ménage superficiel tous les jours, mais chaque pièce doit être nettoyée à fond une fois par semaine. Elle va donc répartir son temps de travail pour faire, par exemple, le salon le lundi, deux chambres le mardi, deux le mercredi, etc. Exemple d’un nettoyage hebdomadaire d’une chambre :
- retirer la literie et envoyer les draps à la buanderie
- brosser le matelas
- secouer les rideaux et autres tentures pour en faire tomber la poussière
- balayer sous le lit
- refaire le lit avec des draps propres
- enlever tous les petits objets des tables et des étagères pour les épousseter et nettoyer en dessous avant de les remettre en place
- balayer ou secouer les tapis
- nettoyer au savon le broc et la bassine de la table de toilette, ainsi que les diverses carafes et gobelets qui s’y trouveraient
- nettoyer les planchers (là où ils ne sont pas recouverts de tapis)
- nettoyer les miroirs
- épousseter les stores, les moulures, les cadres et autres ornements
- astiquer et faire briller les meubles
- … et passer à la prochaine pièce
- Dans chaque pièce, elle collecte les bougeoirs ou les lampes à pétrole utilisés. Elle les ramène dans les communs, où elle les nettoie, les fait briller et les remplit ou les garnit de bougies neuves avant de remonter les remettre à leur place
- Quand toutes les pièces sont faites, la bonne embraye sur les escaliers et les couloirs, qui ne manquent pas non plus de tapis à secouer et de poussières à faire.
- La bonne se réserve également des jours précis pour des tâches spécifiques, comme faire les cuivres, épousseter des lustres, laver les vitres…
- Enfin, il y a, dans les communs, des tâches qu’on préfère donner à une bonne plutôt qu’à une fille de cuisine (considérée trop jeune et « mal dégrossie », voyez ici), donc la bonne pourrait avoir à laver la porcelaine délicate et les verres en cristal, et faire l’argenterie. Ça signifie qu’elle peut finir sa journée tard le soir en faisant la vaisselle du dîner des maîtres.
À tout cela s’ajoutent aussi les gros travaux saisonniers (ex : laver les vitres, décrocher les rideaux et les tentures pour les laver, sortir les tapis pour les laver aussi, cirer les planchers, rembourrer les matelas…) ou les travaux ponctuels en fonction des besoins de la famille (ex : traiter les lits contre les punaises – voyez ici, c’est un sujet rigolo 😉 ).
La bonne à tout faire
Comme son nom l’indique, elle fait de tout, incluant les tâches habituellement dévolues aux domestiques masculins. Rappelons que les hommes coûtent plus cher en salaire et en taxes que les femmes (voyez ici et ici), alors dans une petite maisonnée où on n’a pas beaucoup de moyens, le minimum vital c’est d’avoir une bonne à tout faire qui s’occupera à la fois du ménage, de la cuisine et du service des maîtres.
C’est un poste peu enviable. Non seulement elle doit tout faire, mais elle est seule et ne peut pas socialiser avec d’autres domestiques, ni compter sur leur soutien si jamais elle subit des abus ou de mauvais traitements de la part de ses maîtres. Au quotidien, elle doit :
Au quotidien, elle doit :
- ouvrir les volets (et les fenêtres, si le temps le permet)
- préparer la cuisine : vider les cendres, nettoyer le fourneau, rallumer le feu, mettre de l’eau à bouillir
- mettre en ordre la salle du petit-déjeuner des maîtres : nettoyer et rallumer la cheminée, épousseter les meubles et ornements, balayer le sol, mettre une nappe et dresser la table
- balayer/nettoyer l’escalier, le couloir, le hall d’entrée et le perron de la maison
- si elle a du temps et que la situation se présente, elle brosse les manteaux et bottes pleins de boue qui ont été laissés à sécher pendant la nuit, pour le cas où les maîtres auraient à sortir tôt le matin
- elle se nettoie le visage et les mains, et passe un tablier propre pour assister les maîtres au lever
- elle prépare le petit-déjeuner et apporte le tout sur la table (généralement, les maîtres se servent seuls le matin et le midi, c’est le soir que la présence de la bonne deviendra indispensable pendant le repas)
- pendant que les maîtres mangent, elle avale vite fait son propre petit-déjeuner puis monte commencer les chambres (ouvrir les rideaux, aérer, ouvrir les lits…)
- fin du petit-déjeuner : elle débarrasse la table et range la pièce, puis fait la vaisselle
- c’est le moment où la maîtresse de maison vient lui donner ses ordres pour la journée (ex : quels repas il faudra préparer, quels visiteurs sont attendus, quelles activités auront lieu…), après quoi la bonne remonte finir les chambres, c’est à dire faire les lits, vider les pots, laver la table de toilette, nettoyer la cheminée…
- elle poursuit ensuite avec le ménage prévu pour les autres pièces de la maison, et si jamais elle a un peu de temps libre (ça arrive, ça ?) elle fait un peu de couture, un peu de lessive ou de menus travaux pour sa maîtresse
- elle prépare les repas
- au dîner, elle dresse la table, puis elle change de tenue et enfile un tablier propre pour faire le service. Comme elle est toute seule, elle jongle entre la salle à manger et la cuisine : dès que chaque convive a son assiette et son verre remplis, elle retourne finir de préparer les prochains plats
- après le dîner, elle débarrasse et remet la salle à manger en ordre… et elle peut prendre un moment pour avaler son propre dîner
- pendant que les maîtres passent leur soirée à se détendre au salon, la bonne fait la vaisselle, le nettoyage et le rangement de la cuisine, prépare et sert le thé du soir, puis prépare les chambres (ex : apporter de l’eau, fermer les rideaux, bassiner les lits, allumer les cheminées)
- … et enfin, après le coucher des maîtres, elle peut aller se coucher elle-même. Et demain, on recommence.
Un coup de main de la patronne ?
S’il y a beaucoup d’ornements et de bibelots dans le salon, il vaut certainement mieux que la maîtresse les époussette elle-même, car les mains d’une bonne à tout faire ne sont pas toujours en état de manier les ornements délicats.
Book of houshold management, Isabella Beeton (1861)
Dans les maisons avec peu de domestiques, il arrive que Madame donne un petit coup de main de temps en temps. Après tout, son rôle à elle est de faire en sorte que son foyer soit bien tenu – voyez ici -, alors il faut ce qu’il faut ! Elle peut, par exemple, réaliser une partie de la préparation des repas (pour que Monsieur ne soit pas déçu de ce qu’on lui sert à table), s’occuper de la mise en conserves, du rangement de l’argenterie et du linge propre, ou encore faire quelques poussières.
Mais, dans l’exemple ci-dessus, le but de la maîtresse de maison n’est pas de se montrer gentille avec sa servante en la soulageant d’une partie de son travail, c’est plutôt d’éviter que les biens de la famille soient abîmés. Car les bonnes à tout faire sont souvent peu expérimentées et peu spécialisées, et comme elles travaillent comme des bêtes depuis un jeune âge (vers 13 ou 14 ans) et qu’elles se sont abîmées physiquement au point de se voûter et d’avoir de grosses mains tannées comme du cuir en l’espace de quelques années, on redoute qu’elles ne fassent pas preuve d’assez de délicatesse envers les petits objets précieux et fragiles.
En conclusion
Une pensée pour toutes les femmes de ménage actuelles, qui endurent un travail physiquement pénible.
Au XIXe, c’était pire, puisque l’eau courante et l’électricité n’existaient pas, pas plus que les ascenseurs ou les chariots, il fallait tout faire à la force du bras, en montant et en descendant les seaux d’eau depuis la cuisine au sous-sol, les boîtes de brosses/chiffons/encaustiques, les balais, les paniers de linge, les quantités de bois ou de charbon pour alimenter les cheminées, etc. On se demande bien quand une bonne trouvait le temps de s’occuper un peu d’elle (je ne sais pas, moi… simplement pour se laver les cheveux ou repriser un de ses bas), de se détendre ou d’avoir une quelconque vie privée. Je ne parle même pas de l’obligation de travailler même si elle fait une poussée de fièvre, si elle a des règles douloureuses, une tendinite ou une méchante entorse à la cheville qu’elle se serait faite en se vautrant dans un de ces escaliers casse-gueule dédiés aux domestiques (voyez ici). Sans compter sa vulnérabilité face aux « appétits » du maître de maison, un sujet déjà abordé ici…
Si on schématise, une servante vivait ce genre de vie pendant une dizaine d’années, c’est à dire entre le moment où elle commençait et le moment où elle quittait le monde du travail salarié pour se marier (ici) et travailler dans son propre foyer. Perso, je me dis qu’il valait mieux être bonne dans une grande maison avec une tripotée d’autres domestiques pour travailler en équipe, ambiance Downton Abbey, que d’être bonne à tout faire, toujours seule et croulant sous le travail. Mais quelle que soit la situation, ça restait quand même une vie de bête de somme…
SOURCES : Livre - Book of household management, par Isabella Beeton (1861) Housemaids and Their Duties in the 1800s Wikipedia - Maid Life Below Stairs: Life as a Maid-of-all Work in Victorian England