
Petite histoire du rond de serviette
Tiens ! Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas extasiée sur un de ces jolis objets en argent du XIXe…
Et si on parlait de ronds de serviette ? Je ne peux vraiment pas classer ça dans ma catégorie des objets étonnants, mais je vous assure qu’il y a quand même des trucs intéressants à en dire !
Les origines de la serviette de table
Chronologie
- ANTIQUITÉ GRÉCO-ROMAINE : les premières références datent d’environ 1400 avant J.C. et montrent qu’on utilise à l’époque une mappa, soit un carré de tissu blanc et individuel, plus grand qu’un mouchoir. Chaque convive apporte le sien, ce qui lui permet de repartir ensuite en y enveloppant quelques restes du repas (les premiers doggy bags, en somme !). Cet usage disparaît toutefois avec la chute de l’empire romain.
- HAUT MOYEN-ÂGE : on s’essuie la bouche et les mains directement sur la nappe, ou parfois sur une longueur de tissu disposée tout le long de la table et destinée à cet effet.
- XVIIIe : on suspend de grands torchons qui servent à la fois à s’essuyer les doigts et à recouvrir les restes du repas.

- XVe : en France, à la cour de Charles VII (époque de Jeanne d’Arc), on mange toujours avec les doigts mais on utilise des serviettes à table, qui sont renouvelées régulièrement pendant le repas.
- RENAISSANCE : la mode vestimentaire est aux collerettes, que l’on protège pendant qu’on mange en nouant une large serviette carrée ou rectangulaire autour de son cou (jusqu’à 1 mètre de large !). C’est à cette époque que les Italiens commencent à faire de jolis pliages avec, pour décorer.
- XVIIIe : la serviette est non seulement décorative sur la table, mais elle est aussi un accessoire qui exprime le statut social : elle peut être très grande et très richement ornée et brodée pour ceux qui en ont les moyens.

- XIXe : les serviettes de table sont désormais d’une taille plus réduite, probablement parce que l’usage quasi exclusif des couverts fait qu’on se salit moins les mains (voyez ici l’étiquette à propos des rares aliments qu’on pouvait encore manger avec les doigts à l’époque victorienne). Elles sont un incontournable du linge de maison, et font partie – avec les draps, les nappes et les mouchoirs – du trousseau que composaient les jeunes filles en prévision de leur mariage.
LITEAU, c’est le nom donné à la serviette que les valets de pieds (ici) et serveurs de cafés ou restaurants portent sur le bras gauche quand ils servent à table. Elle les protège des brûlures quand ils portent des plats chauds, et leur permet d’essuyer une goutte de vin ou le rebord d’une assiette. Elle est généralement blanche et surtout elle est toujours bien propre, elle peut donc être changée plusieurs fois au cours du service.
Exemples de pliages de serviettes
Je disais plus haut que c’est à la Renaissance que les Italiens commencent à plier joliment les serviettes. L’idée se répand très vite dans le reste de l’Europe et on trouve, en 1650, dans un livre français, les formes de pliages suivants :
- carrée, torsadée, en bandes, double coquille torsadée, simple coquille, double melon, coq, poule, poule et poulets, deux poulets, pigeon dans un panier, perdrix, faisan, deux chapons dans un pâté, lièvre, deux lapins, cochon de lait, chien avec un collier , le brochet, la carpe, le turbot, la mitre, la dinde, la tortue, la Sainte Croix et la croix de Lorraine.
Désolée, le site que j’ai consulté ne précise pas sa source exacte, mais je trouve la liste plutôt marrante quand même et ça donne une petite idée du raffinement extrême des grandes tables du XVIIe siècle.

Les bonnes manières avec la serviette de table
Hé oui, qui dit « accessoire de table » dit forcément « règles de bon usage diverses et variées » pour montrer qu’on est une personne qui a de l’éducation, de la tenue et du savoir-vivre. À la cour de Louis XV, par exemple, tout cela était très codifié :
La cour française a imposé des codes d’étiquette élaborés à l’aristocratie, parmi lesquels la manière d’utiliser une serviette, quand l’utiliser et jusqu’où la déplier sur les genoux.
Un traité français datant de 1729 déclare : « C’est une inconvenance d’utiliser une serviette pour s’essuyer le visage ou pour se gratter les dents, et une erreur des plus vulgaires de s’essuyer le nez avec ».
Et une règle de bienséance de la même année énonce le protocole : « La personne la plus haut placée dans le groupe doit d’abord déplier sa serviette, toutes les autres attendant qu’elle l’ait fait avant de déplier la leur. Lorsque toutes les personnes présentes sont socialement égales, toutes déplient leur serviette ensemble, sans cérémonie.
À cette époque, les hommes élégants portaient des cols à volants raides et empesés, protégés pendant le dîner par une serviette nouée autour du cou. Lorsque les chemises à devant en dentelle sont devenues à la mode, les serviettes étaient rentrées dans le cou ou à la boutonnière ou étaient attachées avec une épingle. En 1774, un traité français déclarait que « la serviette couvrait le devant du corps jusqu’aux genoux, en partant du dessous du col et non rentrée dans ledit col. »
The Rituals Of Dinner: The Origins, Evolution, Eccentricities, and Meaning of Table Manners, par Margaret Visser (1992)
Au XIXe siècle, les moeurs évoluent quand à ce qu’on doit faire de sa serviette. On conseille tantôt de la nouer autour du cou, ou bien au contraire de la placer exclusivement sur ses genoux et de ne la mettre au cou que dans le cas – extrême ! 😉 – où on mangerait des fruits de mer. Il y aussi la règle selon laquelle on ne s’essuie pas le visage et on ne se mouche pas avec sa serviette, on ne la repose pas sur la table avant que tout le monde ait fini de manger, on la poser sur sa chaise si on doit s’absenter un moment, et, une fois le repas terminé, on la pose sur la table en vrac et sans la replier… Sans en faire une règle, un manuel de bonnes manières conseille tout de même aux femmes qui se rendent à un dîner mondain dans leur belle robe d’emporter avec elles une épingle ou une aiguille : elles pourront alors étendre leur serviette sur leurs genoux et la fixer discrètement à leur taille pour que la serviette ne puisse pas glisser par terre, au risque de tacher ladite belle robe.
Le rond de serviette
Anecdote
L’un des ducs de Devonshire achetait un jour de l’argent à Asprey, lorsqu’il remarqua des anneaux circulaires en argent. Il se tourna vers son intendant et lui demanda ce que c’était.
Mad Toffs, The British Upper Classes At Their Best And Worst, par Patrick Scrivenor (2016)
_ Ce sont, Votre Grâce, des ronds de serviette.
_ Des ronds de serviette ?
_ Votre Grâce, quand les bourgeois déjeunent, ils prennent une serviette fraîche, et quand ils ont fini, ils la plient, la roulent et la placent à travers l’anneau. Ils l’utilisent à nouveau pour le déjeuner, le thé et le dîner. Ce n’est qu’à la fin de la journée qu’elle est envoyée pour être lavée.
Le duc était choqué.
_ Ils utilisent la même serviette tout au long de la journée ?
_ Ils le font, Votre Grâce.
_ Mon Dieu, dit le duc, je n’avais aucune idée de l’existence d’une telle pauvreté.
Vous aussi, vous trouvez la réaction du duc pour le moins disproportionnée ? 😉 Cela illustre assez bien le décalage ahurissant des grands aristocrates de la fin du XIXe, vivant dans leur bulle, complètement déconnectés des choses de la vie courante (ça me fait penser à l’autre anecdote que j’avais rapportée ici, à propos d’un marquis n’hésitant pas à briser une vitre simplement parce qu’il ne savait pas comment utiliser la poignée pour l’ouvrir, trop habitué qu’il était à ce qu’un domestique le fasse pour lui…)

Le rond de serviette, un accessoire de bourgeois
C’est à l’époque napoléonienne qu’apparaissent les ronds de serviettes, d’abord en France, avant de se répandre rapidement dans les autres pays occidentaux. Ils auraient été a inventés par la bourgeoisie qui, certes, s’enrichit beaucoup, mais pas encore au point de « consommer » une serviette de table propre à chacun des repas de la journée. Il faudrait une quantité folle de serviettes propres et ça surchargerait inutilement le travail de la buanderie (on avait parlé de la corvée de lessive ici), il est bien plus raisonnable de chercher à les réutiliser d’une fois sur l’autre.
On trouve d’abord plutôt des ronds en argent, plus ou moins ornés, et parfois gravés au nom ou aux initiales de leur propriétaire, ou identifiés par un chiffre. Avec le temps, les classes moins aisées se mettent elles aussi à en utiliser, fabriqués dans des matériaux moins nobles comme l’ivoire, l’étain, la porcelaine, le verre, la corne ou le bois. Si la famille peut se le permettre, elle changera de serviette chaque jour, ou sinon elle utilisera la même toute une semaine, c’est à dire jusqu’au prochain jour de lavage.
Mais comme le déclare le duc de Devonshire ci-dessus, c’est un truc « de pauvre ». En tout cas, de « pas aristocratique », car si les bourgeois offrent évidemment de belles serviettes propres et sans ronds à leurs invités lors de leurs dîners mondains, les aristocrates, eux, n’utilisent JAMAIS de ronds de serviette, même dans leur quotidien le plus ordinaire : ils ont les moyens d’envoyer au linge sale une serviette blanche par repas et de laisser leurs nombreux domestiques se coltiner la montagne de lessive…

En conclusion

Le rond de serviette étant un objet personnel et personnalisable, il était tout désigné pour faire le parfait cadeau de Noël ou de mariage. On le trouvait aussi dans les ensembles timbale/coquetier/cuillère/rond qu’on offrait au baptême d’un enfant (j’en avais un peu parlé à la fin de l’article sur le pap boat, ici). On en achetait aussi en guise de souvenirs lors de voyages touristiques.
De nos jours, l’usage se perd de plus en plus, mais au Fouquet’s, le célèbre restaurant parisien, environ 200 clients réguliers possèdent toujours leur rond de serviette en argent gravé à leur nom. Un petit luxe très « bourgeoisie du XIXe », je trouve ! 😉
Et vous ? Est-ce que vous possédez – ou avez déjà possédé – un rond de serviette à votre nom ? Avez-vous encore, quelque part chez vous, de jolis ronds en argent venus de vos grands-parents et qui datent de la fin du XIXe ou du début XXe ?
SOURCES : Wikipédia - Serviette de table Wikipédia - Rond de serviette La serviette de table : histoire d'une invention Etiquette and Napkin History Antique napkin rings: how to collect and where to buy The linen closet - Tablecloths and napkins Folding napkins

