Escalier maison victorienne
Époque victorienne

Des escaliers casse-gueule

Vous allez sûrement trouver que j’aborde un sujet incongru…

Parce qu’aujourd’hui, je vais vous parler d’escaliers. Ouaip. C’est mon petit plaisir de trouver de temps en temps des sujets auxquels, j’espère, vous ne vous attendez pas du tout ! 😉

Mais… Quel intérêt ? Quel rapport avec le XIXème ? Avec la vie délicieuse des héroïnes de Jane Austen, ou celle, plus sombre et romantique, des personnages des soeurs Brontë ?

Bougez pas. Je m’en vais vous expliquer tout ça, et ça va être un petit peu long…


Les tueurs de la maison victorienne

Il y a un an ou deux, j’ai regardé un documentaire passionnant de la BBC, intitulé Hidden killers of the Victorian home (c’est une petite série, il y a d’autres épisodes tout aussi fascinants sur sur les époques georgiennes, Tudor, etc).

Parmi les différents éléments qui rendaient dangereuses les maisons victoriennes (incluant les papiers peints à l’arsenic dont je parlais déjà ici), il y avait un passage qui m’a beaucoup surprise et qui racontait à quel point les escaliers de l’époque étaient casse-gueule.

Mais, je veux dire, VRAIMENT casse-gueule.

Au point de se tuer. Ou de rester éclopé pour la vie. Ou de perdre son emploi. Au choix…


La structure d’une maison

Les étages

Traditionnellement, les maisons unifamiliales sont construites sur plusieurs étages, chacun possédant des caractéristiques précises.

  • Au demi sous-sol, on trouve les communs, c’est à dire les espaces dédiés aux domestiques, comme les cuisines et les pièces de travail ou de stockage. Il faut bien mettre le bois, le charbon et les provisions quelque part, et en l’absence de frigo mieux vaut que la cuisine soit relativement enterrée pour une histoire de conservation (j’en ai parlé ici).
  • Au premier étage (ça peut aussi être un rez-de-chaussée ou un demi-étage), ce sont les pièces de réception : salons, salle à manger, bibliothèque, bureaux, salle de bal… Tout ça en fonction du prestige de la maison, bien entendu.
  • Au second étage, on arrive dans les parties privatives, c’est à dire les chambres, cabinets de toilette et autres espaces de rangement.
  • Enfin, sous les combles, les chambres des domestiques
Organisation des étages d'une maison victorienne anglaise, en ville. Les domestiques vivent et travaillent au sous-sol ou dans les combles, hors de la vue des maîtres
Exemple d’une maison de ville particulièrement chic :
– COMBLES : des chambres de domestiques (en décroché par rapport à la façade, pour qu’on ne voie pas leurs fenêtres depuis la rue : les domestiques, ça doit rester discret !)
– ÉTAGE 3 : des chambres d’enfants (ou peut-être d’une gouvernante)
– ÉTAGE 2 : d’autres chambres de maîtres
– ÉTAGE 1 : des chambres de maîtres
– REZ-DE-CHAUSSÉE : des pièces de réception
– SOUS-SOL : les communs

PRÉCISION : je vous parle bien de maisons unifamiliales, c’est à dire une maison pour une famille.

Les maisons de ville qui sont en réalité des blocs d’appartements, avec différentes familles de locataires à chaque étage, c’est un autre sujet (assez rigolo, lui aussi, mais je vous en reparlerai une autre fois)

Les escaliers des maîtres et ceux des domestiques

Bien entendu, pour relier les étages entre eux, il y a des escaliers. Et quand on pense à ceux de l’époque victorienne, on pense bien souvent à ça :

Exemples d'escaliers de maîtres de l'époque victorienne au XIXème siècle
Ah, je sais, ne m’en parlez pas ! Ils sont tous plus somptueux les uns que les autres !

Mais, la réalité, c’est qu’il y avait aussi beaucoup de… ça :

Exemples d'escaliers de serviteurs et domestiques au XIXème siècle
Oh, misère ! Le casse-gueule, toi !

Il faudrait une… ? Pardon ? Une RAMPE ? Mais pour quoi faire ? Et pourquoi pas aussi de la lumière pour voir où on met les pieds, tant que vous y êtes !

Les maisons étaient pleines d’escaliers dérobés permettant aux domestiques de circuler en toute discrétion. Et, comme vous le voyez ci-dessus, il arrivait bien souvent que ces escaliers soient raides, étroits, mal foutus, mal éclairés, et avec en prime des marches irrégulières…

Parce que dans une maison, aussi cossue soit-elle, on se fout pas mal de l’esthétique des communs. Ces espaces doivent être fonctionnels, mais ils n’ont pas besoin d’être soignés car on ne les voit jamais. Seuls les domestiques y évoluent, et chacun sait qu’un domestique, ça ne vaut pas grand chose !


Des escaliers déséquilibrés

Des standards de construction approximatifs

De nos jours, il y a des standards en matière de construction. Une marche d’escalier doit faire une certaine hauteur, une certaine profondeur, et lorsqu’il s’agit d’un escalier tournant il faut équilibrer les angles pour que le pied ne glisse pas et qu’on ne se retrouve pas en bas des marches beaucoup plus vite que prévu.

De plus, toutes les marches doivent faire exactement la même hauteur. Le cerveau humain s’ajuste : qu’on soit en train de grimper ou descendre un escalier, on anticipe sans même y prêter attention que la prochaine marche sera à la même hauteur, de sorte que le mouvement des jambes devient automatique. Or, si toutes les marches sont égales sauf une, c’est la chute quasi assurée car on va s’enfarger (c’est du québécois, c’est cadeau 😉 ), autrement dit se prendre les pieds dedans bien comme il faut.

Le hic, c’est qu’à cette époque, les standards de construction, hé bien… c’était comme ci, comme ça.

Avec la migration massive des gens, la démographie des villes a explosé, alors pour loger tout ce monde les maisons se sont faites plus étroites. Par conséquent les escaliers aussi. Ils s’adaptaient à l’espace disponible, et pas l’inverse, raison pour laquelle ça donnait parfois n’importe quoi !

Escalier de service à Gorsline House (une maison de 1837, située en Ontario, au Canada). C’est méchamment raide, ça tourne, et on ne peut se tenir nulle part ! Un escalier qui ne passerait pas le contrôle d’un assureur, de nos jours, c’est certain !

Un vrai danger domestique

Les bras (très) chargés

Imaginez-vous maintenant en train de transporter de lourds plateaux chargés de boissons, de bouffe, d’argenterie (c’est pesant, ça !), ou de tout un tas de choses fragiles qui requièrent toute votre concentration pour ne pas les renverser. Ou alors, vous transportez le contenu des pots de chambre de l’étage, que vous avez transvidés dans un énorme récipient en céramique qui pèse une tonne. Ou bien c’est du bois pour alimenter les cheminées. Ou des seaux d’eau chaude pour le bain de Madame. Ou des piles de draps. Et puis vous êtes pressé(e), parce que le majordome ou l’intendante n’arrête pas de vous houspiller pour que vous soyez plus efficace ! Sans compter que c’est le soir et que vous n’avez plus assez de mains pour porter la pauvre chandelle qui éclairerait vaguement votre chemin.

Vous êtes une fille de cuisine maigrichonne d’à peine 14 ans, debout depuis l’aube. Ou bien un jeune valet de 20 ans qui a travaillé comme un forçat toute la journée et qui tombe de fatigue. Ou encore une femme de chambre d’une quarantaine d’années, avec le dos cassé par une vie de labeur.

Et maintenant, imaginez-vous en train de crapahuter, les bras chargés, dans des escaliers qui ressemblent à ceci :

L’inévitable chute

Ah oui, tiens ! J’ai oublié de mentionner le coup du chat qui décide de se foutre dans tes jambes pile poil quand tu descends, les bras chargés. Juste au cas où tu ne te serais pas encore vautrée en marchant sur ta jupe…

Tôt ou tard, vous allez vous casser la gueule.

Soit parce que vous venez de débuter comme domestique dans cette maison et que vous n’êtes pas encore habitué(e) aux lieux. Soit parce qu’au contraire vous êtes trop habitué(e) et qu’un jour vous ne ferez pas attention où vous posez le pied.

Et patatras…

On va vous souhaiter de ne pas dégringoler sur toute la hauteur de l’escalier, histoire de ne pas vous tuer en vous brisant la nuque ou en vous frappant la tête. Et aussi, s’il n’y a pas de rampe, de réussir à vous rattraper aux murs, quitte à laisser tomber votre chargement (mieux vaut se faire engueuler par votre supérieur, mais rester en vie). Et, bien sûr, de n’avoir qu’une légère entorse, qui ne vous empêchera pas de continuer votre travail.

La position ingrate des domestiques

J’ai lu ou entendu je ne sais plus où (désolée, je ne retrouve plus ma source 😉 ) le cas d’une jeune bonne qui, après s’est cassé la figure dans les escaliers et s’être fracturé la cheville, a tout simplement été renvoyée car elle n’était plus en mesure de travailler.

Il aurait fallu qu’elle prenne un congé de quelques semaines pour se remettre de sa blessure, bien sûr, mais son maître n’avait pas la patience d’attendre. Elle a donc perdu son poste.

C’était ça, aussi, le risque d’une mauvaise chute dans les escaliers.

Être domestique, c’était un poste ingrat. Les tâches étaient pénibles, on avait des horaires de travail à rallonge et très peu de congés, et en plus les postes étaient précaires. L’assurance maladie pour les travailleurs, ça n’existait pas, alors non seulement l’employé travaillait parfois dans de mauvaises conditions, mais en plus ça retombait sur sa pomme s’il y avait un accident.

Triste sort, vraiment…


En conclusion

Les chutes dans les escaliers n’étaient pas rares, et elles faisaient régulièrement la une des journaux. Les accidents de ce genre pouvaient avoir des conséquences terribles ! Si on ne mourait pas sur le coup en se fracassant le crâne, on pouvait aussi se faire une fracture ouverte et mourir plus tard d’une septicémie, après avoir souffert le martyre pendant des semaines. Ou alors, on s’en sortait, mais on restait éclopé jusqu’à la fin de sa vie (parce que, la médecine de l’époque, hein…).

Quand j’y pense, j’ai une compassion immense pour tous ces gens qui entraient au service d’une famille pour essayer de se sortir de la misère. C’est vrai qu’ils étaient nourris et logés, mais en échange de quels sacrifices !

Décidément, je suis contente d’être née au XXème siècle… Pas vous ?

SOURCES :
YouTube - New Hidden killers of the Victorian home
Victorian domestic dangers - Stairs
Upstairs downton
Gorsline House - Stairs
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