Sapin de Noël époque victorienne
Belle Époque,  Époque victorienne

Noël victorien (1/2) : un sapin dans le salon

Il y a deux ans, j’ai fait une série de 7 articles expliquant les festivités de Noël au tout début du XIXe, à l’époque de Jane Austen (voyez les « noëls austeniens » ici). Entre temps, en particulier sous le règne de la reine Victoria, ces fêtes se sont transformées, jusqu’à aboutir au Noël que l’on connaît aujourd’hui.

On va donc revenir (en seulement 2 articles, cette fois 😉 ) sur cette évolution.


Qu’est-ce qui a changé par rapport à Noël au tout début du XIXe ?

Globalement, le début du XIXe a été marqué par l’influence des Puritains, qui voulaient revenir à plus de religion et moins de bling-bling, ce qui avait rendu les fêtes de fin d’année plus sobres. Mais dans la deuxième moitié du siècle, ils perdent de leur influence et le monde de la grande distribution se développe de façon drastique, ce qui fait que Noël devient une fête de l’opulence.

Je vous renvoie donc d’abord aux 7 articles austeniens ici si vous ne les avez pas encore lus. En écho, voici quelques points qui changent dans les décennies suivantes :

  1. Les cadeaux : on s’offre de plus en plus de cadeaux à l’époque victorienne, notamment manufacturés et achetés dans les grands magasins. C’est désormais le jour de Noël qu’on s’offre ces cadeaux, et non plus au Nouvel An ou au Jour des Rois comme on a pu le faire avant. Autre nouveauté : on envoie des cartes de voeux (comme celles dont on a parlé ici). Il y a beaucoup d’autres choses à dire sur les cadeaux, sans parler du Père Noël, alors je vous réserve ça pour l’article de la semaine prochaine 😉
  2. Les décorations : on continue de décorer la maison avec des verdures pérennes, et le sapin prend une place centrale. Comme le XIXe est l’époque du développement des magasins, leurs vitrines aussi sont décorées pour l’occasion, et les premières vitrines spectaculaires et animées d’automates (comme celles qu’on voit aux Galeries Lafayette, par exemple) verront le jour dès 1909.
  3. Le jeu de la chasse à la pantoufle : il existe toujours, ainsi que plusieurs autres jeux de salon qui se jouent typiquement pendant les fêtes de fin d’année, quand les grandes familles se réunissent et donnent beaucoup de joueurs. Certains jeux étaient même assez dangereux, et il n’était pas rare qu’on revienne de Noël avec un oeil au beurre noir après s’être pris un coin de meuble pendant une partie de Colin Maillard animée… ou arrosée 😉
  4. Le jeu de Snapdragon : pareil, c’est toujours très populaire pendant l’époque victorienne, dans toutes les classes sociales
  5. Les repas de fête : au Royaume-Uni, on continue de fêter Noël autour de tartelettes mincemeat et de plum pudding, et la dinde s’impose comme plat principal, probablement parce que c’est une grosse volaille qui peut nourrir beaucoup de monde tout en restant à un prix relativement abordable. Elle s’impose tellement qu’elle devient le plat de Noël traditionnel dans de nombreux autres pays. Les huîtres aussi se font une belle place, mais pas pour les raisons qu’on pense : à l’époque victorienne, elles sont très bon marché, au point qu’on les appelait « la protéine du pauvre ». Ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter une dinde se rabattent alors sur les huîtres.
  6. Le Nouvel An : rien de nouveau ici, on continue de fêter le Nouvel An comme avant, avec danses et baisers sous le gui
  7. La Nuit des Rois : la tradition du wassail se perd peu à peu (les paysans ne vont plus danser dans les verger ou cogner à la porte de leur maître pour lui chanter des chansons), en revanche le punch lui-même reste une boisson servie habituellement en période de Noël et les carols – souvent des chants religieux, plus appropriés à cette époque puritaine – remplacent les anciens chants du wassail. Le gâteau des Rois avec une fève à l’intérieur se poursuit aussi.

Un premier sapin grâce au prince Albert ?

J’en avais déjà parlé ici, alors désolée si je me répète.

Le sapin de Noël est une tradition importée des pays germaniques (Allemagne et Scandinavie). Cela remonterait à l’époque de la Renaissance et on dit souvent que c’est Martin Luther – l’initiateur du protestantisme – qui en serait à l’origine. C’est discutable, mais toujours est-il qu’on trouve la première trace écrite d’un sapin de Noël à son époque, dès 1521, en Alsace (car quand on parle d’Allemagne, il ne faut pas oublier d’y inclure le nord-est de l’actuelle France).

Au Royaume-Uni, en 1800, la reine Charlotte organise une fête de Noël pour les enfants de la Cour et fait décorer un sapin, vu qu’elle est allemande et que c’est une tradition de son enfance. Quelques uns l’imitent, mais la sauce ne prend pas encore vraiment.

Quarante ans plus tard, en 1841, le prince Albert, lui aussi allemand, fait à son tour ériger un sapin de Noël pour ses enfants, puis continuera à le faire année après année. Or, la famille de la reine Victoria est présentée comme un exemple pour la nation, on parle d’eux constamment dans les journaux. Et surtout, on les montre. Et chacun sait qu’une image vaut mille mots, n’est-ce pas ! C’est ce qui fait qu’assez rapidement, pour le sapin comme pour beaucoup d’autres traditions dont on a déjà parlé (bal des domestiques ici, robe de mariée de couleur blanche ici, etc), Victoria et Albert sont imités par le reste de la population, puis – par extension – par les pays voisins.

Le sapin de Noël trouve alors sa place dans tous les salons…

Victoria, Albert, leurs enfants et leur sapin décoré, gravure tirée du magazine Illustrated London News (1848)

Les décorations du sapin

Des décos alimentaires

Typiquement, tout ce qui concerne l’intérieur du foyer concerne les femmes. La mise en place des décorations de Noël est donc avant tout un travail de femmes (et d’enfants, ça les occupe… 😉 ).

Au début, on fabriquait tout soi-même puisqu’il n’y avait pas encore d’usines et de grands magasins pour vendre en grandes quantités et à bas prix, c’est pourquoi on utilisait des matériaux basiques, qu’on avait sous la main (ficelle, papier, paille, rubans, etc). On utilisait aussi beaucoup de décorations alimentaires : fruits frais, rondelles d’agrumes séchés, pains d’épice, figurines en sucre, faciles à confectionner en cuisine.

BONHOMME EN PAIN D’ÉPICES : on a parlé ici des maisons en pain d’épices, apparues au XIXe siècle. L’artisanat du pain d’épices, lui, est très ancien. Et on sait que pendant la Renaissance, la reine Elizabeth I a fait réaliser des biscuits en forme de personnages, supposés représenter les hauts dignitaires de sa Cour. De là serait restée cette habitude…

Les pommes boules de noël

Kissing bough du Nouvel An, pour s’embrasser sous le gui

Au départ, ce sont de véritables pommes que l’on accrochait dans le sapin (ou dans le kissing bough, une déco du Nouvel An), tout simplement parce que c’était le fruit de saison qu’on avait sous la main, en plus d’être un symbole d’abondance.

Dans les années 1830, on commence à remplacer les pommes par des boules en verre, doublées à l’intérieur d’une couche de mercure ou de nitrate d’argent pour les rendre bien brillantes. À Lauscha, en Allemagne, une entreprise se lance en 1847 dans la production massive de boules en verre, d’abord soufflées par des artisans verriers, puis produites à la chaîne. Et puis, en 1858, en Moselle, c’est une grosse pénurie de pommes (suite à une sécheresse ayant provoqué de mauvaises récoltes) qui pousse aussi à la production de boules en verre pour les remplacer.

Un peu plus tard suivront des décorations en papier mâché, et c’est comme ça que, peu à peu, les décorations de Noël sont devenues pérennes : on les achète une fois et on les réutilise d’une année sur l’autre.

Une déco en forme de… quoi ?… de cornichon ???

Oui, oui, vous avez bien lu ! 😉 Dans le monde anglo-saxon, on trouve un sujet un peu débile pour une déco de Noël : le pickle (cornichon).

Une vieille légende dit que ça viendrait d’Allemagne et que le but est de cacher le pickle dans le sapin pour porter chance au premier qui le trouvera. Le problème, c’est que quand on demande aux Allemands d’où leur vient cette tradition rigolote, ils répondent qu’ils n’en ont jamais entendu parler et que ça ne vient pas de chez eux !

Le mystère reste entier… 😉


Le premier sapin artificiel

Ben oui, il fallait s’y attendre : maintenant que les décos sont devenues plus durables, pourquoi ne pas chercher des solutions pour faire de même avec le sapin ? Histoire qu’il ne perde pas ses aiguilles au bout de six jours…

À partir des années 1880-1890, on voit se répandre les premiers sapins artificiels, fabriqués à base de plumes d’oie. Mais attention, il ne s’agit pas de prendre de longues plumes, de les teindre en vert et de les planter dans un support vertical, en espérant que ça ressemble vaguement à des branches. C’est quand même plus élaboré que ça !

Sapin en plumes d’oie (probablement début XXe). Pas mal, comme résultat, non ?

En fait, chaque longue plume est fendue en deux, de façon à conserver un seul rang de barbes (les filaments qui composent la plume). Ensuite, cette demi-plume est enroulée en spirale autour d’une tige (qui, elle, sera la structure de la branche et sera plantée dans le « tronc »), ce qui fait que les barbes vont naturellement se décoller les uns des autres et se répartir tout autour de la tige, pour constituer des picots assez semblables aux aiguilles d’un sapin. Astucieux, non ?

Ci-dessous, quelques photos tirées d’une vidéo de la chaîne YouTube Dianne Farmer, où elle montre comment elle s’y prend pour fabriquer son sapin en plumes (en version rose).

N’hésitez pas à aller voir sa vidéo, c’est super intéressant ! 🙂

Ces arbres artificiels, eux aussi originaires d’Allemagne, ont connu un beau succès aux États-Unis, vendus sur catalogue en pièce détachées, à monter soi-même. À dénicher aujourd’hui chez des antiquaires !


En conclusion

L’évolution des traditions de Noël est progressive tout au long du siècle, donc il est difficile de dater avec prévision quel élément est apparu quand. On s’inspire des familles royales ou des personnes à la mode, on emprunte aux pays voisins, on imite un peu, puis beaucoup, puis l’industrie suit en commençant à produire en grande quantité ce qui fait que les prix baissent et les produits deviennent plus accessibles, sans compter que l’on commence à offrir aux ouvriers et travailleurs divers quelques jours de congé pour rentrer festoyer avec leurs proches. À force, tout cela devient de nouvelles traditions, adoptées par toutes les couches sociales.

À la fin du XIXe, la période de Noël ressemble donc à ce que nous connaissons aujourd’hui : très orientée autour de la famille et des enfants, avec cadeaux, Père Noël, sapin décoré, dinde, chants… tout le tralala.

Reste un truc qui me tracasse et à propos duquel je n’ai trouvé aucune info intéressante :

Dites… personne n’avait peur de foutre le feu au sapin et à toute la maison, en y allumant de vraies bougies ???

Je me doute bien qu’on ne devait pas le laisser allumé bien longtemps, mais quand même ! 😉

SOURCES :
Vitrines de Noël : la petite histoire d’un gros business
O' Christmas Tree: Is the Christmas Tree a Pagan or Christian Symbol?
The German Way & More: Christmas Tree
Queen Charlotte's Christmas Tree
Victorian Christmas Traditions
10 Strange Christmas Traditions From The Victorian Era
Oh Christmas Tree: The Story of a Holiday Tradition
Wikipédia - Sapin de Noël
Wikipédia - Boule de Noël
L’origine des boules du sapin de Noël : les pommes
Wikipedia - Gingerbread Man
History, tales and success of gingerbread men
The German Way & More: The Christmas Pickle Ornament
Wikipedia - Feather Christmas Tree
The History & Tradition of Feather Trees Starts in Germany!
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