Belle Époque,  Époque victorienne

Produits capillaires de l’époque victorienne

Avec l’abandon des perruques du XVIIIe (ici) au profit du style imposé par le dandy Beau Brummell (ici) et des coupes néo-classiques et romantiques (ici), les hommes de l’époque victorienne se doivent de prendre soin de leur chevelure naturelle. Pour les femmes, c’est pareil, voire pire encore, car ce sont les très longues chevelures qui sont maintenant à la mode (on ne porte pas ses cheveux détachés, mais on aime les chignons volumineux qui montrent qu’il y a beaucoup de matière, voyez ici et ici).

Tout cela implique un entretien capillaire régulier, et ça tombe bien car le XIXe est aussi le siècle où se développent les cosmétiques. Cela dit, l’eau courante n’existe pas encore, encore moins la douche et l’eau chaude, alors ils faisaient comment, les gens ?


L’hygiène capillaire au XIXe siècle

Avec quoi on se lavait les cheveux ?

Avec du savon, tout simplement. Que ce soit à la maison ou dans les mains d’un coiffeur professionnel, on diluait des copeaux de savon dans de l’eau chaude, auxquels on ajoutait parfois des herbes ou des huiles pour la brillance et le parfum. On pouvait aussi utiliser de l’eau de pluie (pour éviter les méfaits de l’eau calcaire), et utiliser diverses recettes de grand-mère, comme de se laver les cheveux avec un jaune d’oeuf ou des décoctions de plantes (romarin, patience, mauve, bourrache…), ou diluer un peu de rhum, de vinaigre ou de thé dans l’eau de rinçage. Occasionnellement, on applique des mélanges de poudres végétales, d’argile ou de farines de pois en guise de shampooing sec.

Cela dit, le vrai shampooing vient plutôt d’Inde, où, depuis des siècles, on se lave les cheveux à l’aide de végétaux qui poussent là-bas et qui contiennent de la saponine, comme le shikakai ou les fruits de l’arbre sapindus (qu’on appelle communément « noix de lavage »). En 1814, Sake Dean Mahomed, un chirurgien bengali issu de l’Empire britannique, ouvre à Brighton une sorte de hammam où il offre des soins lavants accompagnés de massages, important par la même occasion le mot shampoo, qui vient de l’hindou champo et qui signifie « masser la surface du corps pour restaurer tonus et vigueur ». Le mot dérivera ensuite et prendra le sens de « laver les cheveux » dans la seconde moitié du XIXe. Quant aux shampooings liquides, le premier a été mis au point en 1900 par le parfumeur et coiffeur suisse-allemand Josef Wilhelm Rausch, mais c’est surtout à partir de 1927 que ce produit se répand massivement grâce à la célèbre marque allemande Schwarzkopf. Au début, le shampooing est toujours assez peu différent d’un savon ordinaire, puis, après 1930, on se met à utiliser des tensioactifs de synthèse qui le transforment en un produit spécifique pour le cheveu.

À quelle fréquence on se lavait les cheveux ?

Ça varie beaucoup. Certaines sources que j’ai consultées parlent de une à deux fois par semaine, alors que d’autres recommandaient une fois tous les quinze jours pour les cheveux gras, et une fois par mois pour les cheveux normaux. Précisons qu’à l’époque, le but n’était pas tant d’éviter à tout prix d’avoir les cheveux gras, mais plutôt de faire en sorte d’avoir des cheveux épais, brillants, bien coiffés, et d’éviter les pellicules et les poux.

Je suppose donc que chacun se faisait sa petite routine perso, d’autant que l’effort n’est pas le même selon qu’on est un homme aux cheveux courts ou une femme aux cheveux longs, selon qu’on a ou pas un accès facile à un endroit pour se laver la tête (pour une grande dame avec des domestiques et une salle de bain dédiée, c’est tout de suite plus simple que pour une ouvrière avec huit enfants dans les pattes et une maison de deux pièces), ou selon qu’on mettra plus ou moins de produits coiffants/collants/cireux/poudreux/huileux/etc dans ses cheveux.

Le lavage des cheveux (artiste inconnu, 1908)

Justement, avec quels produits on se coiffait ?

Le XIXe siècle, c’est l’époque où le marché des cosmétiques explose dans les pays occidentaux, grâce aux avancées en médecine et en chimie, à l’industrialisation et au développement du commerce mondial qui donne un accès plus facile à des matières premières venues de loin. J’avais par exemple parlé du spermaceti issu de la pêche au cachalot qu’on retrouvait dans des crèmes pour le visage ou les mains (voyez ici).

Pour ce qui est des cheveux, comme je le disais, on veut des crinières luxuriantes, brillantes et épaisses, et pour ça on a recours à un certain nombre d’huiles végétales, comme celles d’amande douce, d’olive, de noisette ou de ricin, auxquelles on ajoutait des huiles essentielles et parfois d’autres ingrédients comme du miel et de la cire d’abeille.

Antimacassars sur les fauteuils d’une maison de Chicago (1875)

Cela a donné quelques grands succès commerciaux, comme l’huile de Macassar – un mélange parfumé avec de la bergamote, du citron, de l’orange, de l’ylang-ylang, de la fleur d’oranger, du jasmin, de la rose et du benjoin (entre autres, car les recettes semblent multiples !). Mais, qu’il s’agisse d’huile de macassar ou d’autres huiles semblables, leur utilisation est devenue si courante que ça a créé un petit problème : à force de s’en appliquer, les gens graissaient le haut des fauteuils sur lesquels ils appuyaient leur tête, ce qui a donné le nom d’antimacassar aux napperons de dentelle qu’on disposait sur les fauteuils pour les protéger (si vous ne saviez pas comment ça s’appelait, hé bien, maintenant, vous savez ! 😉 ).

Publicité pour l’huile de macassar Naquet (1877)

On trouvait aussi des produits comme la brillantine, une huile très liquide mise au point en France en 1901 et servant uniquement à donner un max de brillance, ou des pommades de consistance plus visqueuse/cireuse/graisseuse, parfois à base de graisse animale (type moelle de boeuf, suif ou lard… oh là là, ça devait être sympa, les odeurs ! 😉 ), qui servaient à donner de la texture et de la tenue aux cheveux.

ET POUR CE QUI EST DE LA PILOSITÉ FACIALE, j’ai déjà parlé de l’importance sociale de la moustache, des cires qu’on utilisait pour la mettre en forme, et des tasses et cuillères qu’on inventait pour que les élégants messieurs ne retrouvent pas la cire de leur moustache flottant dans leur thé ou leur soupe. Je vous renvoie donc à cet article, ici.

Les 100 coups de peigne quotidiens

C’est du XIXe que nous vient cette vieille idée selon laquelle, pour avoir de beaux cheveux, il faut leur donner 100 coups de brosse/peigne tous les soirs (ou les brosser pendant 5 minutes). Encore une fois, on ne se préoccupe pas tant d’avoir les cheveux gras, en revanche on veut du volume et de la brillance, donc le brossage va aider à lisser le cheveu et le débarrasser de la poussière et autres débris accumulés en journée.

On veut aussi masser le cuir chevelu avec les doigts et, surtout, bien aérer les cheveux, d’où le fait de les brosser tête en bas, de ne pas les tresser trop serrés la nuit et de les étaler au grand air en été. C’est probablement très bon pour le cuir chevelu, je ne dis pas le contraire, mais disons que cette volonté de tout ventiler vient aussi de la pensée hygiéniste de l’époque, qui associait « aération » avec « bonne santé ».


Cachez ces cheveux blancs que je ne saurais voir

La chimie a beau faire de gros progrès au XIXe, on tâtonne encore pour ce qui est des colorations capillaires. On ne sait pas encore décolorer les cheveux autrement qu’avec du jus de citron (pour un résultat un peu bof), mais on tente d’ajouter de la couleur par-dessus, notamment pour cacher les cheveux blancs. Le défi, c’est de réussir à faire tenir la teinture, pour que la couleur ne disparaisse pas au prochain lavage, ni sous la prochaine averse de pluie. Ça aurait fait tache…

Bon nombre de teintures étaient faites à base de plantes, avec plus ou moins de succès. On utilisait aussi le henné (autrement plus efficace, celui-là, mais les résultats se limitent à ce qu’on sait fait avec du henné naturel, soit des reflets roux, à moins qu’on ne le mélange avec de l’indigo pour obtenir des reflets plus foncés) (sachant que le henné noir est une couleur synthétique qui n’existe pas encore). Sinon, chacun y allait de sa petite recette, comme dans l’exemple ci-dessous :

Un vieux médecin et chimiste de Lisbonne a donné à une charmante dame parisienne de ma connaissance, dont la chevelure grisonnait d’un côté de la tête à la suite d’une grave maladie, une recette pour teindre les cheveux. Cette recette a réussi admirablement à colorer en un beau noir luisant la partie affectée. En voici la composition :

– Acide gallique : 6,4 gr.
– Acide acétique : 50 gr.
– Teinture de sesquichlorure de fer : 50 gr.

Faites dissoudre l’acide gallique dans la teinture de sesquichlorure de fer, puis ajoutez l’acide acétique. Avant de se servir de cette préparation, il faut soigneusement laver la tête avec du savon et de l’eau. Une grande et précieuse particularité de cette teinture, c’est qu’on peut l’appliquer pour colorer la chevelure en voir ou même en brun très clair. Désirez-vous le noir, appliquez la préparation quand la chevelure est humide; souhaitez-vous le brun, n’appliquez la préparation que quand la chevelure est parfaitement sèche. Pour l’appliquer, on trempe dans la composition les pointes d’un peigne à cheveux fin, jusqu’à ce que les interstices soient remplis du fluide; puis on passe doucement le peigne dans les cheveux, en commençant à la racine, et on continue jusqu’à ce qu’on s’aperçoive que la teinture a produit son effet. Quand la chevelure est entièrement sèche, huilez et brossez comme à l’ordinaire.

Extrait de L’art de la beauté, par Lola Montez (1878)
Publicité pour la teinture pour cheveux « Circassienne » de John A. Jones (1843), « pour changer des cheveux blonds, roux ou gris en un beau brun ou noir ».

Et pour tout le reste…

À Londres, le parfumeur James Atkinson vend de la graisse d’ours comme pommade capillaire depuis 1799

Côté calvitie, on utilisait de la graisse d’ours, aussi bien en Europe qu’en Amérique du Nord. Ça n’avait rien de nouveau, on faisait ça depuis déjà le Moyen-Âge, probablement parce que l’ours est un animal au poil épais et dru, et qu’on faisait une association symbolique avec la calvitie.

Mais on soignait rarement juste la calvitie. Le XIXe est l’âge d’or des remèdes miracles qui servaient à tout en même temps, avec des brevets d’inventions déposés à tire-larigot, aucun contrôle sanitaire (ça n’existait pas encore) et des promesses marketing en veux-tu, en voilà. Alors, côté produits capillaires, c’était pareil, on en trouvait une foultitude qui prétendaient tout guérir en même temps. Un exemple parmi tant d’autres similaires, voici les promesses de l’huile Lyon’s Kathairon, vers 1855 :

Empêche les cheveux de tomber ou de devenir gris
Promeut efficacement la pousse luxuriante et la beauté des cheveux
Empêche les pellicules, apaise les irritations, rafraîchit le cuir chevelu
Apporte une vive brillance aux cheveux de toutes les teintes

J’adore cette pub, entre la chevelure luxuriante de la femme à gauche, et le chauve en train de faire repousser ses cheveux à droite… Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne faisaient pas dans la subtilité ! 😉
Publicité pour le « Rénovateur de Cheveux Hall’s » (vers 1880-1890). « Procure une repousse épaisse, prévient la calvitie, guérit les pellicules et rend aux cheveux blancs leur beauté et leur couleur d’origine ».

En conclusion

Ça fait pas mal de produits à disposition, tout ça, finalement ! Qui a dit que les gens n’avaient aucune hygiène, avant ?

Mais attention : contrairement aux visages très maquillés et aux perruques très travaillées qu’on avait pu voir dans les siècles précédents, le XIXe siècle est une période de retour au naturel. On utilise donc les cosmétiques avec parcimonie, que ce soit en maquillage ou en soins et teintures capillaires : il ne faut pas que ça se voie, sous peine d’avoir l’air vulgaire !

SOURCES :
Wikipedia - Shampoo
History today - Shampoo empire
Une routine capillaire authentique de 1828
La mystérieuse huile de macassar
Livre - L'art de la beauté, par Lola Montez (1879)
Qui a inventé le shampoing ?
Victorian and Edwardian Hair Care - Night-Time Hair Routine
Victorian And Edwardian Hair Care - How Often To Wash The Hair
Victorian And Edwardian Hair Care - Pomade and Hairspray
Victorian Shampoo Alternatives
Smithsonian Institute - Hair Care
Wikipedia - Dean Mahomed
Wikipedia - Macassar oil
Lyon's Kathairon Hair Product Bottle
Hair raising stories - Lyon's Kathairon
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