C’était quoi, les relevailles ?
Comme certains d’entre vous le savent, mon roman La renaissance de Pemberley est un très gros remaniement d’une première fanfiction que j’avais commencé à écrire en 2008. À l’époque, j’avais intitulé mes deux premiers chapitres « Les accordailles » et « Les épousailles », juste parce que c’étaient des mots joliment désuets qui me plaisaient beaucoup. J’avais prévu un autre chapitre qui se serait appelé « Les relevailles »… sauf que je n’ai jamais terminé cette fanfiction (mais bon, ça va, je me suis rattrapée en la réécrivant sous la forme d’un roman de 400 pages, je pense qu’on est quittes ! 😉 ).
Tout ça pour dire que ce mot de « relevailles » me trottait dans la tête, mais sans que je sache vraiment à quoi ça correspondait, à part que c’était lié aux suites d’un accouchement. J’ai donc fouillé un peu, et voici le résultat.
La mise en quarantaine des accouchées
C’est Dieu qui l’a dit
Sans trop de surprise, la sphère obstétrique est considérée de la même façon que tout ce qui touche aux menstruations (ici) ou à la sexualité de la femme : c’est sale, c’est louche, ça la rend différente de d’habitude, donc il faut contrôler, mettre à l’écart, purifier, jusqu’à ce que la femme soit redevenue « normale » et qu’elle puisse réintégrer sa place au sein de la société. C’est un point de vue partagé par de nombreuses cultures à travers le monde, et ce, depuis des siècles. C’est pourquoi, dans la Torah (qui deviendra l’Ancien Testament), on trouve dès le Ve siècle avant J.C. :
L’Éternel parla à Moïse, et dit:
Ancien Testament, livre du Lévitique 12 : 1-8
« Parle aux enfants d’Israël, et dis: Lorsqu’une femme deviendra enceinte, et qu’elle enfantera un mâle, elle sera impure pendant sept jours; elle sera impure comme au temps de son indisposition menstruelle.
Le huitième jour, l’enfant sera circoncis.
Elle restera encore trente-trois jours à se purifier de son sang; elle ne touchera aucune chose sainte, et elle n’ira point au sanctuaire, jusqu’à ce que les jours de sa purification soient accomplis.
Si elle enfante une fille, elle sera impure pendant deux semaines, comme au temps de son indisposition menstruelle; elle restera soixante-six jours à se purifier de son sang.
Lorsque les jours de sa purification seront accomplis, pour un fils ou pour une fille, elle apportera au sacrificateur, à l’entrée de la tente d’assignation, un agneau d’un an pour l’holocauste, et un jeune pigeon ou une tourterelle pour le sacrifice d’expiation.
Le sacrificateur les sacrifiera devant l’Éternel, et fera pour elle l’expiation; et elle sera purifiée du flux de son sang. Telle est la loi pour la femme qui enfante un fils ou une fille.
Si elle n’a pas de quoi se procurer un agneau, elle prendra deux tourterelles ou deux jeunes pigeons, l’un pour l’holocauste, l’autre pour le sacrifice d’expiation. Le sacrificateur fera pour elle l’expiation, et elle sera pure. »
On considère qu’une femme qui vient d’accoucher doit se retirer temporairement du monde et s’éloigner de la religion, en attendant qu’elle soit redevenue assez « pure » pour en faire de nouveau partie.
Quand on lit tout ce vocabulaire parlant de purification, ça renvoie à l’idée de souillure ou de saleté, mais il faut quand même nuancer : l’accouchée n’est pas une pécheresse – elle est d’ailleurs tout à fait respectable dans le sens où elle fait correctement son boulot de femme qui est de mettre des enfants au monde, tout va bien de ce côté-là -, il ne s’agit donc pas de la dénigrer ou de la rabaisser, mais de la signaler comme ayant un état différent et de la mettre à l’écart, à la fois pour son bien à elle (afin qu’elle se repose et se remette de son accouchement), et surtout pour le bien de la société qui ne voudrait pas avoir dans ses rangs quelqu’un susceptible d’entacher les lieux sacrés et de porter préjudice à la relation spirituelle entre Dieu et la communauté (parce que ça voulait bien dire que pendant toute cette période, la femme ne pouvait plus s’approcher de Dieu, elle n’était « pas assez bien pour ça »).
Mais en quoi une femme accouchée serait-elle impure ?
Beeeeeen… Le sang féminin, celui de l’accouchement ou des menstruations, les mystères de la procréation, tout ça, tout ça… On ne sait pas bien ce qu’il se passe dans ce ventre-là, on n’y voit rien, et pourtant ça arrive à fabriquer des bébés, c’est quand même un peu de la sorcellerie, non ? Et puis c’est Dieu qui l’a dit, alors pose pas de questions.
Je précise quand même que la doctrine catholique a connu quelques évolutions et réformes au fil du temps, et notamment le fait qu’après le XVIIe siècle on ne parlait plus de purifier la mère, mais seulement de la bénir, auquel cas ça devenait un devoir moral de la part de l’Église envers sa paroissienne, et non plus une pauvre femme cherchant à se faire laver d’un truc sale dont elle serait responsable. C’est tout de même une amélioration notable.
Une tradition plutôt qu’un rite obligatoire
Cette quarantaine post-accouchement est donc, au départ, une tradition juive inscrite dans la Torah. Elle sera ensuite intégrée à la religion catholique (et ses variantes anglicane, luthérienne, protestante…) et se répandra un peu partout dans les pays christianisés, surtout à partir du VIIe siècle.
Pendant cette période, l’accouchée :
- ne peut pas faire ses activités habituelles : elle doit se RE-PO-SER et s’occuper de son nourrisson, donc elle reste au lit et ne travaille pas, ne reçoit pas de visites, ne sort pas de chez elle. On appelle aussi ça du « confinement post-partum ».
- ne peut pas aller à l’église : pas de messe ou de prières, pas de contact avec des lieux ou des objets sacrés. Elle est également dispensée de jeûner les jours maigres ou au Carême.
- ne peut pas assister au baptême de son bébé : lui, on veut le baptiser au plus vite (au cas où il meure en bas-âge), donc on n’attend pas que sa mère ait fini sa quarantaine.
Mais, attention, l’Église catholique n’a jamais rendu la quarantaine et les relevailles obligatoires. Certes, c’est écrit dans l’Ancien Testament, mais ce n’est pas un précepte, encore moins un sacrement, c’est simplement une coutume pieuse. De plus, on a vu des papes qui ont parfois autorisé les mères à revenir à la messe avant 40 jours, d’autres qui considéraient qu’elles ne devaient pas être séparées de l’Église du tout, quant ils ne leur laissaient pas le soin de décider elles-mêmes quand elles voulaient y retourner. Bref : il y a vraiment eu un peu de tout.
Et ça durait combien de temps, cette quarantaine ?
Vous avez vu à quel point Dieu est précis dans ses recommandations quant au nombre de jours ? 😉
Évidemment, sexisme oblige, on voit tout de suite qu’il y a une différence de traitement selon le bébé que la femme a enfanté : 40 jours de quarantaine si c’est un garçon (parce que les garçons, on aime ça, la mère a bien travaillé et peut revenir plus vite dans les bonnes grâces de Dieu), et le double si c’est une fille (parce qu’une fille, hein… bon…). N’empêche, c’est long, 80 jours ! Ça fait plus de deux mois et demi à l’écart de la communauté !
Comment ça ? Dieu serait donc sexiste ? Mais oui ! Enfin, peut-être pas lui – j’en sais rien -, mais ceux qui ont écrit les textes sacrés en son nom, ça, c’est sûr ! 😉
Cela dit, ces durées ont beaucoup varié, parce que 40 à 80 jours de congé forcé, ça n’est vraiment pas tenable pour tout le monde. C’est bien sympa pour une grande dame qui a tout le loisir de rester couchée deux mois et demi à pouponner, ça l’est beaucoup moins pour une paysanne qui a un potager, des bêtes et toute une famille à s’occuper. Son mari et ses proches n’auront pas le loisir de se passer d’elle aussi longtemps, ça s’est sûr !
ÇA ME FAIT PENSER au retour de couches, c’est à dire la réapparition des menstruations après un accouchement. Figurez-vous qu’il se produit lui aussi en moyenne dans les 40 à 80 jours après la naissance. Pure coïncidence ? Personnellement, j’ai tendance à penser que non, les auteurs des textes sacrés ont sûrement fait des associations entre leur vision religieuse et ce qui se passait physiologiquement chez les femmes. D’ailleurs, une mère dont le nouveau-né décède doit quand même poursuivre sa quarantaine jusqu’au bout, comme quoi c’est peut-être bien associé au « retour à la normale » du corps après l’accouchement.
Reste que la durée totale de la quarantaine est imposée à la femme par son Église, en fonction des coutumes locales. Ce n’est pas calculé sur la base de son cycle menstruel à elle.
Les relevailles
Après une quarantaine plus ou moins longue, voilà enfin le retour à la vie normale avec les relevailles, c’est à dire le rite par lequel la mère est autorisée à reprendre sa place au sein de l’Église et de la communauté, à sortir, retourner à la messe, retrouver ses activités habituelles.
Le mot lui-même est assez parlant, puisqu’il s’agit pour la mère de se relever de sa période post-natale où elle était allongée dans son lit en train de se reposer de son accouchement. On peut aussi utiliser le mot amessement, qui montre que la mère pourra désormais retourner à la messe (c’est d’ailleurs la même signification en anglais, où on dit churching, qu’on pourrait traduire par « aller à l’église »).
Là aussi, selon les époques et les régions, les relevailles ont pu prendre différentes formes. Ça pouvait être par exemple :
- une messe dite publiquement en l’honneur de la mère
- une messe à laquelle la mère assiste seule
- une bénédiction par un prêtre (ex : la mère s’habille de blanc, porte un cierge allumé, embrasse l’étole du prêtre, est aspergée d’eau bénite, mange un peu de pain béni…). Cela se passe dans l’intimité : la mère se présente à la porte de l’église ou dans une sacristie annexe (elle n’entre pas en plein coeur de l’église tant qu’elle n’a pas eu ses relevailles), elle est accompagnée uniquement de la marraine de l’enfant et/ou de la safe-femme et/ou de quelques femmes proches.
- des réjouissances publiques allant de l’humble petite fête à l’échelle d’un village jusqu’au banquet fastueux pour souligner le retour d’une grande aristocrate
Une fois la bénédiction des relevailles obtenue, la mère redevient une paroissienne comme les autres. En tout cas, jusqu’au prochain bébé.
En conclusion
On a célébré des relevailles depuis l’Antiquité jusqu’au début du XXe siècle, où cette tradition a commencé à s’essouffler. Elle a ensuite complètement disparu des pratiques catholiques à partir de 1962 (supprimer les relevailles faisait partie des réformes amenées par le concile Vatican II). Mais, les années 1960, c’était il n’y a pas si longtemps encore, alors peut-être trouverez-vous dans votre famille une grand-mère qui a dû, elle aussi, en son temps, respecter une quarantaine religieuse après la naissance de ses enfants.
Pour clore ce sujet bigrement intéressant, j’ai parlé plus haut du cas où une mère perdait son nouveau-né, mais j’ai aussi vu le cas où c’est la mère qui décède à l’accouchement ou peu après, et à qui on organisait quand même des relevailles à titre posthume, comme si c’était une façon de la purifier/bénir pour que son âme puisse reposer en paix auprès de Dieu. J’ai donc une question pour vous : je serais très curieuse de savoir si l’accouchée mise en quarantaine pouvait quand même avoir la visite d’un prêtre et recevoir les sacrements. Était-elle jugée trop impure pour ça aussi ? Par exemple, refusait-on l’extrême-onction à une accouchée en train de mourir sous prétexte qu’elle n’avait pas eu ses relevailles et n’était pas encore réintégrée à l’Église ? Je n’ai pas trouvé de réponse claire, alors si vous vous y connaissez, discutons-en dans les commentaires !
SOURCES : Wikipédia - Relevailles Geneawiki - La naissance autrefois - Les relevailles Les relevailles d'autrefois La cérémonie des relevailles Why women stayed away from church after a birth The Church of England - The Churching of Women