Tout le XIXe siècle

Le traitement réservé aux dépouilles de certains condamnés à mort

Tiens ! Et si on lançait un petit sujet glauque, aujourd’hui ?

Au XIXe, la science fait des bonds de géant, et notamment dans le domaine de l’anatomie. On dissèque et on dépiaute autant que possible pour mieux comprendre le fonctionnement du corps humain, et on cherche des compromis avec la morale et la religion qui interdisent que l’on porte atteinte à la dignité et l’intégrité du corps.

Mais parfois, la pure curiosité scientifique semble pencher vers un certain voyeurisme, notamment avec les corps de certains criminels. Donner un cours d’anatomie, c’est une chose, mais découper en petits bouts un tueur célèbre qui aurait fait les manchettes de la presse pendant des semaines, ce n’est plus de la science, ça devient du spectacle, une fascination morbide pour les « monstres ».

Je vais donc vous présenter quelques cas où les corps (ou des parties de corps) de condamnés ont été conservés pour devenir des sujets d’études, mais où je vous laisse vous faire votre propre idée sur ce qu’il pouvait y avoir de vraiment scientifique ou pas dans cette démarche-là…


La crucifixion anatomique de James Legg

En 1801, le sculpteur Thomas Banks et les peintres Benjamin West et Richard Cosway, tous trois membres de l’Académie Royale des Arts britannique, se sont mis en tête de réaliser une crucifixion anatomiquement réaliste. Ouaip, parce qu’il semblerait que les représentations artistiques de Jésus en croix ne soient pas assez à leur goût (à chacun ses tracas, n’est-ce pas !).

Crucifixion anatomique, en version « écorchée », par Thomas Banks (1801).

Désireux, donc, de réaliser une sculpture digne d’un véritable Christ supplicié, les trois artistes approchent l’éminent chirurgien Joseph Constantine Carpue (le premier à avoir réalisé avec succès une rhinoplastie en Angleterre)(ça n’a rien à voir avec ce que je veux vous raconter, mais c’est un détail qui me fait marrer). Le problème, c’est qu’on ne peut pas disséquer le premier défunt venu : à cette époque, les seuls corps que les anatomistes ont le droit d’utiliser sont ceux de condamnés à mort. Coup de chance, Carpue entend rapidement parler d’un homme qui vient de se faire tirer dessus par un colocataire plutôt chafouin. La victime est morte sur le coup et le colocataire coupable, un vieil irlandais du nom de James Legg, est traduit devant la justice, où il est condamné à la pendaison malgré son âge avancé et des troubles mentaux évidents. Carpue en profite pour obtenir l’autorisation de récupérer le corps afin de le disséquer.

Au jour de l’exécution, nos artistes et leur pote chirurgien vont chercher le corps encore chaud et ils le… ben… ils le clouent sur une croix, pour laisser la pesanteur et le réalisme faire leur effet (oui, j’ai dit prévenu que cet article allait être un peu glauque ! 😉 ). Une fois le corps refroidi et raidi dans sa position finale, Banks réalise un premier moulage, puis Carpue entreprend d’écorcher la peau pour mettre les muscles à nu, et Banks réalise un second moulage. C’est bon ! Ils l’ont, leur crucifié réalistico-artistique !

Par la suite, les deux sculptures seront présentées ensemble à diverses occasions, soit dans le monde des arts, soit auprès d’étudiants en anatomie. De nos jours, la version « entière » a disparu, mais la version « écorchée » existe toujours et se trouve à l’Académie Royale des Arts, à Londres.

ON POURRAIT S’ÉTONNER que le sculpteur ait produit un écorché vif. Après tout, le Christ n’a pas été écorché, alors pour quoi faire ? Pour moi, cette démarche s’apparente beaucoup aux vénus anatomiques dont j’avais parlé ici. On retrouve la même volonté de réalisme, mais aussi d’esthétique, tout autant que l’exposition de connaissances anatomiques et la fascination pour l’intérieur du corps humain.


William Burke, puni par où il a péché

Vous vous souvenez des résurrectionistes, ces voleurs qui pillaient les cimetières du début du XIXe siècle pour fournir en cadavres frais (et illégaux) les cours d’anatomie ? Carpue, ci-dessus, était peut-être trop honnête pour ne pas faire affaire avec eux, mais d’autres anatomistes étaient moins regardants. Je vous renvoie à cet article, ici, si vous ne l’avez pas encore lu.

On ne peut pas évoquer les résurrectionistes sans mentionner les incontournables William Burke et William Hare, qui, à Édimbourg, ont fait bien plus que de voler des cadavres : ils les ont littéralement « fabriqués » en assassinant une quinzaine de leurs locataires afin de vendre les dépouilles à un certain Dr. Knox qui enseignait à l’université de médecine. Lors du procès des deux tueurs, Hare a été le plus chanceux : en échange de son témoignage et de preuves incriminantes contre son ancien complice, il a bénéficié d’une immunité qui lui a évité l’exécution, il a fait 1 an de prison (hum ! c’est tout ?), puis il a été libéré et a disparu dans la nature sans qu’on sache jamais ce qu’il est devenu ensuite. C’est Burke qui a endossé seul toute la responsabilité des meurtres, avec pour conséquence d’être pendu lors d’une exécution publique qui rameuté des milliers spectateurs (possiblement jusqu’à 25.000 ! Oui, cette affaire avait fait grand bruit !).

Reconstruction faciale de William Burke sur la base de son crâne conservé à Édimbourg

L’ironie, c’est que le corps de Burke a subi le même sort que ceux de ses victimes, c’est à dire qu’il a à son tour été disséqué par un médecin de l’université. Je vous vois venir… Non, ce n’était pas le Dr. Knox (ça aurait été un comble, quand même ! Et puis Knox était dans l’eau chaude, de toute façon, suite au procès, mieux valait pour lui se faire discret), mais le Dr. Monro. Le tout a eu lieu devant les étudiants de l’université d’Édimbourg qui, là aussi, se sont bousculés comme des débiles pour assister à cet évènement sensationnel. Pendant la dissection, le Dr. Monro a même poussé le fétichisme (il n’y a pas d’autre mot) jusqu’à tremper une plume dans le sang de Burke pour écrire les mots suivants :

Ceci a été écrit dans le sang de William Burke, qui fut pendu à Édimbourg le 28 janvier 1829 pour le meurtre de Mrs. Campbell ou Docherty. Ce sang a été prélevé dans sa tête le 1er février 1829.

Après la dissection, cette note manuscrite ainsi que le squelette de Burke ont été conservés à l’université de médecine d’Édimbourg. Ils y sont toujours aujourd’hui, et sont parfois exposés publiquement.


La tête du tueur en série Diogo Alves

Parlons d’une autre université, celle de Lisbonne, qui conserve elle aussi le corps – ou plutôt la tête – d’un tueur célèbre.

Diogo Alves (artiste inconnu, 1840)

Diogo Alves a sévi à Lisbonne entre 1836 à 1839 sous le nom de « Tueur de l’aqueduc ». Il dévalisait et assassinait des passants, puis il faisait basculer leurs corps depuis un aqueduc haut de 65 mètres, à la fois pour abîmer les dépouilles et éviter qu’on les reconnaisse, et pour faire passer leurs morts pour des suicides. Cette tactique semble lui avoir réussi un certain temps, car il aurait tué comme ça jusqu’à 70 personnes, mais il a fini par se faire prendre après avoir assassiné toute la famille d’un médecin chez qui il s’était introduit pour les cambrioler. Condamné à mort, il fut pendu en février 1841.

Visiblement intrigués par le personnage, des scientifiques de la faculté de médecine et de chirurgie demandèrent à récupérer sa tête pour l’étudier. Ils pensaient peut-être trouver une explication à son comportement criminel en découpant son cerveau ou en mesurant son crâne, mais finalement l’étude elle-même n’eut jamais lieu et on se contenta de conserver la tête dans un bocal de formol.

J’AI DES SCRUPULES à vous partager la photo de cette tête, car elle peut être assez choquante à regarder avec sa préservation parfaite, son air paisible et ses yeux grands ouverts comme si l’homme était en train de vous dévisager. J’aimerais ne pas tomber à mon tour dans le pur sensationnalisme, alors je vous laisse aller voir par vous-mêmes si vous le souhaitez.


La collection de criminels de Cesare Lombroso

Si vous n’avez jamais entendu parler de Cesare Lombroso, rectifions tout de suite : il ne s’agit pas d’un criminel célèbre, mais plutôt d’un criminologue qui s’est fait une belle réputation à la fin du XIXe avec ses théories sur la criminalité. En son temps on ne parlait pas encore de génétique, mais on cherchait déjà à savoir si on naissait avec un état prédestiné de criminel, et quelles différences physiques pouvaient distinguer un homme normal d’un criminel (et une femme normale d’une prostituée, vu qu’on considérait que la prostituée était l’équivalent féminin des criminels masculins)(comment ça, vous trouvez que ça n’a rien à voir ? beeeeen… c’était la perception de l’époque, que voulez-vous…).

Les effigies de cire (en fait, un vrai crâne recouvert de cire) sont identifiées en fonction du crime qui a été commis et qui définit la personne. Ici, il s’agit d’un faussaire. D’autres masques indiquent : homicide, féminicide, etc.

Bref. Pour Lombroso, tout s’expliquait par le crâne. Sa taille et ses formes indiquaient, selon lui, des traits de caractère bien précis, dont la propension à la violence et au crime, et c’est ainsi qu’il a mis au point sa théorie pseudo-scientifique : la phrénologie. Il partait du principe que les criminels avaient un crâne plus primitif, comme s’ils étaient sous-évolués et moins intelligents que l’Homme Blanc civilisé moderne (ce qui, par ailleurs, confortait aussi très bien les théories racistes qui avaient cours en ce temps-là).

Au moins, Lombroso n’a pas sorti des telles théories uniquement de son imagination. Pour en arriver là, il a étudié et mesuré des milliers de crânes humains : soldats, civils, malades mentaux, criminels divers et variés… Perso, ça fait longtemps que j’ai entendu parler de lui et de la phrénologie (depuis que j’ai écris Les filles de joie, puisque, comme je le disais plus haut, il considérait aussi que certaines femmes étaient forcément destinées à devenir prostituées du fait de la forme de leur crâne), mais je n’avais pas réalisé que dans le cadre de son travail il avait aussi constitué une énorme collection de crânes, de squelettes, de cerveaux, de masques mortuaires et d’effigies de cires. Cette collection existe toujours, elle est exposée au Musée d’Anthropologie Criminelle Cesare Lombroso de Turin.

Le petit détail qui va bien ? Lombroso a demandé à ce qu’après sa mort ses collègues étudient son propre crâne. Sa tête a donc elle aussi été conservée dans un bocal, au Centre de Psychiatrie et de Criminologie de Turin…

Collection de Cesar Lombroso, commencée à partir de 1866

JUSTE AU CAS OÙ… je précise quand même qu’on ne naît pas criminel, on n’y est jamais prédestiné, la violence et la criminalité chez les individus ne s’expliquent pas plus par la forme du crâne que par une quelconque transmission génétique. Les préjugés du style « C’est dans son ADN » ou alors « Le père était un criminel, le fils aura donc forcément une propension à le devenir également », c’est de la foutaise.

Voilà, voilà… Fallait-il vraiment le préciser ?


En conclusion

J’aurais encore d’autres cas à vous proposer, mais j’en garde quelques-uns sous le coude pour d’autres occasions… 😉

Décidément, entre la fascination bizarre pour un homme qui aurait commis des actes atroces et la volonté de l’ouvrir en deux pour voir si quelque chose, en lui, pourrait expliquer scientifiquement son comportement, la frontière est assez floue. En plus, au XIXe, on ne manque pas de matière pour tomber dans le sensationnalisme et le tourisme macabre : les faits divers sont devenus une sorte de divertissement populaire, avec le développement de la presse qui leur donnait une plus grande couverture médiatique et qui pouvait montrer par des illustrations les horreurs qui s’étaient produites ou le visage (forcément effrayant) du tueur. Non seulement les journaux en faisaient leurs choux gras, mais les meurtres les plus sordides étaient re-racontés dans des penny dreadful (voyez ici) ou des mises en scène macabres comme celles du musée de cire de Madame Tussaud, qui exposait des reconstitutions de meurtres ou d’exécutions de condamnés, ou qui alignait sur des étagères les masques mortuaires de tueurs célèbres. On aimait s’horrifier, quitte à tomber parfois dans le voyeurisme ou le fétichisme, et on continue de le faire aujourd’hui (même si on dissèque plutôt sur un plan psychologique, maintenant), car, au fond, c’est un comportement très humain : le fait de rendre l’autre monstrueux, de le mettre à part, de l’observer et le disséquer comme un sujet d’étude, nous permet de nous distancer de lui et de nous sentir d’autant plus humains, convenablement intégrés, et surtout « pas comme lui ».

Les émissions de type Faites entrer l’accusé ont encore de beaux jours devant elles… 🙂

SOURCES :
Article - Consuming criminal corpses: Fascination with the dead criminal body, par Ruth Penfold-Mounce (2010)
Wikipedia - William Burke - Aftermath, including execution and dissection
The note written in the blood of a 19th century serial killer
Why The University of Lisbon Has The Nearly 200-Year-Old Severed Head Of A Serial Killer Named Diogo Alves
Give back the heads of our criminal ancestors: Families of 19th century thieves and murderers whose skulls were covered in wax demand body parts are returned
Wikipedia - Cesare Lombroso
Anatomical Crucifixion (James Legg), 1801
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