Quelques objets de vertu
Vous connaissez mon goût pour les jolis objets du passé, surtout s’ils sont en argent et surtout s’ils sont un peu curieux et qu’on ne sait pas trop à quoi ils servaient.
Je vous fait donc ici un petit article à saveur « antiquaire »…
C’est quoi, un objet de vertu ?
Tentons une définition
Déjà, clarifions une chose : il n’est pas du tout question de vertu, mais plutôt de… virtuosité ! Ah, tout de suite, ça change la donne, non ? 😉
Il est possible qu’avec une sonorité assez proche – vertueux, virtuose – ce mot français ait été mal traduit (on le retrouve d’ailleurs tel quel en anglais, où on parle de object of vertu ou object of virtue. Mais il est possible aussi que ce drôle de nom vienne des protestants français qui, lorsque Louis XIV a révoqué l’édit de Nantes en 1681 pour imposer la foi catholique, ont préféré émigrer en Angleterre et aux Pays-Bas : on les appelait les Vertueux, et beaucoup d’entre eux étaient des orfèvres et artisans réputés. Ceci explique donc peut-être cela.
Toujours est-il que lorsqu’on parle d’objets de vertu, on parle vraiment de virtuosité, plus précisément d’objets richement décorés, remarquables par la richesse des matériaux et la qualité d’exécution, bref : des chefs-d’oeuvres d’artisanat et d’orfèvrerie. On a produit beaucoup du XVIIe au XIXe siècle, avec un « âge d’or » de 1730 à 1830 environ, une époque où, en plus des métaux précieux et des pierreries, les artisans travaillaient merveilleusement bien la pâte de verre, la nacre, l’émail ou la laque, et où leurs affaires prospéraient grâce à la classe montante des commerçants/bourgeois qui avait de plus en plus les moyens de s’offrir ce genre de petits luxes.
Il s’agissait en général d’objets de taille réduite, d’un usage courant et personnel, à glisser dans une poche ou à poser sur un bureau ou une table de toilette, comme par exemple des :
- tabatières ou étuis à cigarettes
- briquets ou boîtes d’allumettes
- flacons de parfum ou vinaigrettes
- petites boîtes en tous genres (bonbonnières, boîtes à mouches, boîtes à fards, boîtes à bijoux…)
- accessoires à suspendre à une châtelaine
- épingles à chapeaux
- miroirs ou poudriers de poche
- montres de poche ou de bureau
- lorgnettes d’opéra
- flacons de « sels de pâmoison »
- nécessaire de couture
- nécessaire d’écriture (porte-plume, encrier, coupe-papier…)
- boîtes à musique, oiseaux chanteurs
- objets décoratifs en verre, porcelaine, argent (statuettes, peintures miniatures…)
- … et la liste continue !
Objets de vertu ou objet de curiosité ?
Les deux termes sont assez semblables puisqu’ils désignent tout deux des objets d’une très grande qualité, mais on pourrait tenter de faire une distinction en disant que :
- les objets de vertu se distinguent par leur raffinement, qui démontre le savoir-faire et la virtuosité de l’artisan qui les a réalisés
- les objets de curiosité sont spécifiquement pensés pour créer l’émerveillement, avec une recherche d’originalité et d’imaginaire, et en incluant souvent une dimension exotique (en utilisant par exemple des matériaux venus de loin, comme de l’écaille de tortue, de l’ivoire, un oeuf d’autruche, un coquillage ou une coquille de noix tropicale…)
Il y aurait peut-être aussi une distinction à faire entre les objets qu’on utilise vraiment au quotidien, et ceux dont on va plutôt faire collection et exposer chez soi dans une vitrine pour mettre de l’avant leur côté esthétique plutôt que leur côté pratique.
À L’INVERSE, en faisant mes recherches, j’ai vu que le terme « objet de vertu » était parfois employé à tort et à travers pour désigner n’importe quel type d’objet très ornementé, jusqu’aux soupières, aux carafes et aux chandeliers, sans compter les statues de bronzes et autres horloges à faire trôner sur le manteau de cheminée. C’est sûr que tout cela serait à inclure dans la grande catégorie des objets d’art, mais pour ce qui est des objets de vertu, m’est avis qu’il vaut quand même mieux se limiter aux objets personnels (ou personnalisés).
Notez aussi bien que les objets de vertu soient parfois faits d’or, d’argent et de pierres précieuses, cela n’inclut pas les bijoux.
Quelques exemples d’objets de vertu
Comme j’ai déjà partagé pas mal de photos de tabatières (ici), de vinaigrettes (ici), de châtelaines (ici) et d’épingles à chapeau (ici), et comme vous savez sûrement très bien à quoi pouvaient ressembler un flacon de parfum ou une boîte à musique, j’ai vous ai trouvé ci-dessous d’autres exemples un peu moins habituels.
Étui de cire à cacheter
On glissait dans ce bel étui en métal précieux un bâtonnet de cire à cacheter (je vous renvoie ici pour voir comment on scellait ses enveloppes). Parfois, l’étui possédait à son extrémité le sceau que le propriétaire pouvait ensuite appliquer directement dans la cire.
Jouet pour bébé
On accrochait parfois un sifflet parmi les accessoires d’une châtelaine (j’imagine qu’une intendante ou une épouse à la tête d’une grande maisonnée pouvait trouver ça pratique plutôt que de s’égosiller), mais j’ai aussi trouvé cette version, qui est un jouet pour bébé : à la fois un sifflet, un hochet et un anneau de dentition, car l’extrémité en corail est faite pour être mâchouillée par l’enfant.
Porte-bouquet
Lors des bals et autres grands évènements, les femmes du XIXe portaient des fleurs dans leurs cheveux et sur leurs vêtements, par exemple épinglées sur leur corsage. Pour conserver les fleurs fraîches toute la soirée, elles les glissaient dans un porte-bouquet (attention, on parle d’un petit bouquet, pas d’un truc énorme), qui contenait un petit récipient conique avec un peu d’eau au fond ou bien une éponge imbibée pour garder les tiges humides, ainsi qu’une aiguille qu’on glissait à travers le bouquet pour le maintenir fixé au porte-bouquet. Certains se fixaient à la robe comme une broche, d’autres avaient une petite chaînette avec un anneau qu’on passe au doigt ce qui permettait de garder le bouquet à la main sans le perdre.
PSSSST… En anglais, on appelle ce genre de petit bouquet un nosegay, littéralement « qui rend le nez gai ». Car le but était aussi de permettre à une jeune dame élégante de respirer ses fleurs à tout instant pour éviter de s’exposer aux odeurs nauséabondes qu’on trouvait dans les grandes villes.
APARTÉ MUSICAL : tout ça me fait penser au Spectre de la rose, un air de Berlioz que j’aime beaucoup et qui raconte l’histoire d’une rose qu’une jeune fille a portée sur sa robe pour aller au bal. La rose n’avait visiblement pas de porte-bouquet pour rester hydratée, car elle meurt à la fin de la soirée, toute enivrée de fête, de danse et d’amour, en exhalant un dernier parfum et en revenant hanter les rêves de la jeune fille. De la pure poésie romantique du XIXe que je vous partage dans cette version chantée par Anne Sofie von Otter. 🙂
Je suis le spectre d’une rose que tu portais hier au bal… Mon destin fut digne d’envie, et pour avoir un sort si beau, plus d’un aurait donné sa vie. Car sur ton sein j’ai mon tombeau, et sur l’albâtre où je repose, un poète, avec un baiser, écrivit : « Ci-gît une rose que tous les rois vont jalouser »
En conclusion
Comme ces objets de vertu sont à la fois précieux et destinés à un usage personnel (qu’il s’agisse de les admirer/collection ou de les utiliser réellement au quotidien), ils étaient parfaits comme cadeaux à offrir. À ce titre, on pourrait considérer que le top du top, c’étaient les célèbres oeufs de Fabergé que les tsars Alexandre III et son fils Nicolas II offraient chaque année à leur épouse et à leur mère en guise de cadeau de Pâques, à la fin du XIXe siècle. Non seulement ces oeufs étaient le témoignage du savoir-faire époustouflant de l’orfèvre Fabergé, mais ils étaient inspirés de l’histoire privée de la famille impériale, ce qui en faisait des objets uniques et personnalisés.
Pour ce qui est du XXe siècle, on ne parle plus d’objets de vertu, mais le principe n’a pas disparu pour autant puisqu’on continue de fabriquer des accessoires personnalisés luxueux pour ceux qui en ont les moyens. Dans les années 1930, par exemple, les maisons Cartier et Boucheron réalisaient des minaudières en métaux précieux qui rentreraient tout à fait dans cette catégorie. Pareil pour les milliardaires d’aujourd’hui qui font sertir de diamants la coque de leur iPhone dernier cri, bien que ça ne demande plus la même démonstration de talent et de la part de l’orfèvre… Les temps changent, ma bonne dame ! 😉
SOURCES : Objects of Vertu Les objets de vertu Paris Musées - Boîtes en or et objets de vertu au XVIIIe siècle Au Vieux Paris (antiquaire) - Objets de vertu 1st Dibs (antiquaire) - 19th Century Sterling Silver Baby Rattle and Whistle Coral Birmingham, 1852 Proantic (antiquaire) - Porte-bouquet de bal, époque Napoleon III Proantic (antiquaire) - Porte-bouquet en argent ciselé et filigrané, XIXe siècle Curiosity du Jour: The Talking Victorian Bouquet Christie's (antiquaire) - A collection of various objects of vertu, 18th and 19th century Christie's (antiquaire) - A collection of objets de vertu Carter's (antiquaire) - A collection of objet de vertu, 18th century, and later… AnticStore (antiquaire) - Etui à cire en or émaillé rose, seconde partie du XVIIIe siècle Loveispeed - Bouquet holders