Tout le XIXe siècle

Les rôles d’un cocher, palefrenier et garçon d’écurie

J’achève bientôt ma série d’articles passant en revue chacun des différents types de domestiques (d’après la hiérarchie que j’avais montrée ici).

Parlons aujourd’hui des écuries et des gens qui y travaillaient. Mais-qu’est-ce-qu’ils-faisaient-donc-de-leurs-journées-dites-moi ? Et quelle était la différence entre un cocher et un valet ou un garçon d’écurie ? Hé bien, c’est ce qu’on va voir… 🙂

PRÉCISION : je vais prendre ci-dessous l’exemple des cochers/palefreniers/garçons d’écurie travaillant comme domestiques. Mais il y avait également des employés de relais de poste et autres transports publics, ou bien des conducteurs de fiacres indépendants qui travaillaient pour leur propre compte comme « chauffeurs de taxis hippomobiles ». Globalement, la division des tâches entre le cocher et ses assistants reste la même.


On n’a pas toujours les moyens de posséder un cheval…

Le cheval est, au XIXe comme dans les siècles précédents, la plus importante force de travail animale. On l’utilise pour les travaux des champs, tracter des charges, se déplacer, ou encore à titre de loisir (promenades, chasse, courses…). Bon, je ne vous ferai pas ici un résumé de l’histoire du cheval, on n’aurait pas fini.

Mais même s’il est excessivement répandu du fait de ses utilisations multiples, reste qu’un cheval coûte cher, en particulier si on ne compte en fait l’utiliser que pour le transport et le loisir. Le problème n’est pas tant d’acheter l’animal (les prix varient beaucoup, par exemple au début du XIXe on pouvait payer 15 à 20£ pour un cheval ordinaire et jusqu’à 70£ pour une grande race), mais c’est qu’ensuite il faut l’entretenir : il lui faut de l’espace, un abri, du fourrage, des soins, un ferrage régulier, de l’exercice et du monde pour s’en occuper… Et puis, la pauvre bête ne peut pas non plus travailler tous les jours de la semaine du matin au soir, il lui faut des périodes de repos ou elle va s’épuiser.

De plus, le XIXe amène un contexte nouveau : les villes de développent et avec elles les transports publics et en communs (diligence, fiacres, chemin de fer…), ce qui fait que les habitudes des gens changent et qu’à partir du moment où on vit en ville ou dans une zone péri-urbaine, on arrive à se déplacer autrement qu’en possédant ses propres chevaux. Ce qui fait que même pour des familles bourgeoises aisées qui a priori en auraient les moyens, il est parfois beaucoup plus avantageux de posséder seulement son propre véhicule, et de louer des chevaux en fonction des besoins. C’est sûr que dans ce cas il faut prévoir ses déplacement un peu à l’avance pour pouvoir s’organiser, mais on trouvera facilement des chevaux à louer au relais de poste ou à l’auberge du coin, et ça évitera d’avoir à payer pour leur entretien permanent, et d’avoir en plus à embaucher des domestiques pour s’occuper d’eux (sans compter que si on vit en ville, on n’a pas non plus toujours la place pour une écurie, de toute façon).

Le reste du temps, si on souhaite posséder à la fois son propre véhicule et ses propres chevaux, alors il faudra sortir le portefeuille. Pour vous donner un ordre d’idée, une famille aisée possédant quatre chevaux (avec en prime, pourquoi pas, le poney qui fait plaisir aux gamins 😉 ) aura besoin d’un cocher, d’un palefrenier et d’un garçon d’écurie. Si cette famille n’a qu’une ou deux bêtes, un seul serviteur sera suffisant pour faire un peu tout. Et si elle est au contraire richissime, elle aura peut-être de grandes écuries, des dizaines de chevaux et une ribambelle de domestiques. Comme toujours, il n’y a pas de règles.

Élevage de chevaux pour la chasse, par John Frederick Herring (1845)

Le cocher

C’est le big boss de l’écurie. Évidemment, son rôle principal est de conduire les chevaux pour transporter ses maîtres là où ils ont envie d’aller, mais au-delà de ça, il devait aussi :

  • acheter le fourrage
  • s’assurer que les chevaux sont bien nourris, entretenus, ferrés. Ce n’est pas lui qui fait tout ça, mais il supervise car il en est le responsable
  • surveiller leur état de santé général, appliquer des remèdes simples pour soigner les petits bobos (ça pourrait être lui ou la still-room maid, ici, qui fabrique le remède en question). Si c’est hors de sa compétence, à lui de signaler le problème au maître, puis de faire venir le vétérinaire ou le maréchal-ferrant.
  • atteler et dételer les chevaux, généralement avec l’aide du valet ou du garçon d’écurie. Après quoi, il n’a plus de raison de descendre de son siège, dans le sens où c’est un valet de pied (ici) qui aidera les maîtres à monter ou descendre de voiture.
  • nettoyer et entretenir lui-même la voiture, ou bien veiller à ce que le garçon d’écurie le fasse correctement. Le cocher doit avoir assez de connaissances mécaniques pour pouvoir prévenir ou réparer les bris mineurs, savoir comment placer les bagages et les charges pour répartir le poids sur les roues afin d’économiser de l’effort aux chevaux, et bien sûr connaître assez bien son véhicule pour savoir sur quelles routes ou dans quelles ornières il risquerait d’abîmer quelque chose.

Le cocher est toujours vêtu chaudement et équipé de couvertures, car il est à la merci des intempéries, mais en tant que domestique « visible », il est en représentation publique pour le compte de son maître et doit faire attention à être toujours correctement vêtu (il porte parfois une livrée, comme les valets de pied, mais ce n’est pas systématique).

Dès qu’on a quitté la maison et qu’on est sur la route, il a toute autorité, car il est responsable du bon déroulement du trajet ou du voyage. Il donne les instructions pour le départ, décide de l’itinéraire, juge de l’état de fatigue des chevaux (qui doivent se reposer régulièrement, ce ne sont pas des machines), décide des temps de pause, n’hésite pas à faire descendre les voyageurs de voiture pour soulager les bêtes dans une grosse montée, et veille à ce que gens et bagages arrivent tous à bon port.

Cocher, par Samuel De Wilde (1811). Un fouet à la main, une couverture sur l’épaule.

LE FOUET est son signe distinctif, au point qu’en anglais un cocher s’appelle parfois un whip (fouet). Le but n’est bien sûr pas de maltraiter les bêtes, mais de leur donner des directives ou des encouragements, d’autant plus quand le cocher est placé à l’arrière du véhicule ou bien que l’attelage se compose de plusieurs bêtes et qu’il doit pouvoir communiquer avec les chevaux à l’avant.

Bottes de postillon (fin XVIIIe)

UN POSTILLON est un autre genre de cocher qui conduit une diligence ou une chaise de poste, et effectue des trajets entre deux relais de poste, d’où son nom. Il n’est pas assis sur le siège de la voiture, mais directement à califourchon sur un des chevaux, c’est pourquoi, en France, entre 1770 et 1840 environ, il portait de très grosses bottes renforcées de bois et de métal afin de ne pas se faire écraser une jambe si jamais les deux chevaux se collent d’un peu trop près. Le postillon ne marchait pas avec (elles pesaient chacune 3 à 4 kg !), elles étaient souvent attachées directement aux flans du cheval et il les enfilait en gardant dedans ses propres chaussures.

Pour la petite anecdote, ces énormes bottes ont frappé la mémoire collective, beaucoup fait marrer les Britanniques qui se moquaient de ces drôles de trucs, et inspiré Charles Perreault qui en a fait ses célèbres « bottes de 7 lieues » pour son Chat Botté (7 lieues était plus ou moins la distance habituelle entre deux relais de poste, soit une trentaine de kilomètres).


Le palefrenier, ou valet d’écurie

Lui ne s’occupe pas du véhicule. Son boulot, c’est de prendre soin des chevaux.

Chaque jour, dès cinq ou six heures du matin, il ouvre et aère l’écurie, nettoie les auges et leur donne du fourrage frais, de l’avoine et de l’eau, puis il les brosse, les peigne, cure leurs sabots, et enfin les sort pour leur faire faire de l’exercice (on recommande deux heures par jour pour un cheval au repos)… À ce titre, il est celui qui connaît le mieux les animaux puisqu’il est en contact direct avec eux tous les jours : il peut déceler leur humeur, leurs bobos, et en référer au cocher si besoin.

Même s’il ne conduit pas, il suit parfois le cocher lors d’un voyage pour l’assister, ou bien il accompagne son maître ou sa maîtresse à la chasse ou à une promenade (souvenez-vous, on a parlé ici de la monte en amazone qui créait souvent le besoin d’avoir un homme pour maîtriser le cheval à la place de sa cavalière). Étant donné qu’il s’occupe des chevaux au quotidien, le palefrenier est directement concerné par tout ce qui tourne autour de la monte, alors que le cocher est plutôt concerné par ce qui touche aux véhicules.

Exemple d’un cocher (avec son fouet) et de son palefrenier, tout beaux dans leurs livrées.

Avec tout ça, il peut aussi arriver qu’on demande au valet d’écurie de se transformer en valet de pied et de servir à table, par exemple pour un soir où on a des invités et qu’il faut plus de domestiques que d’habitude. Auquel cas il enfilera des vêtements propres ou une livrée, qu’il aura soin de tenir loin de l’écurie pour ne pas amener des odeurs de crottin à table… Dans le même ordre d’idée, il peut se transformer en homme à tout faire dans la maison, pour réparer ou transporter des choses, filer un coup de main au potager, etc (chose qu’on ne demanderait pas au cocher, dont le rôle est plus prestigieux et lui donne des prérogatives).


Le garçon d’écurie

Il est l’équivalent de la fille de cuisine (ici). C’est un jeune sans compétences particulières (je rappelle qu’on embauchait souvent les petits domestiques dès l’âge de 13 ou 14 ans), à qui on refile le boulot ingrat en attendant qu’il grandisse, se forme et puisse prétendre à un meilleur poste.

Il est là pour nettoyer : il nettoie le crottin des boxes et met de la paille fraîche, lave à grande eau le sol de l’écurie, de la cour, des allées, astique les attelages pour enlever la boue et les traces des voyages, graisse les cuirs, les sangles, etc. C’est également lui, sous la supervision du cocher, qui range, nettoie et entretient les harnais et toute la sellerie.


Et les femmes, alors ?

On a vu la semaine dernière, à propos du travail des femmes, qu’elles bossaient parfois dans des domaines traditionnellement réservés aux hommes, y compris des domaines très durs physiquement comme les mines ou le chemin de fer (je vous renvoie ici à ce sujet).

Pour ce qui est du monde équestre, c’est pareil. Ce sont uniquement des hommes qui occupent les postes de cocher, valet ou garçon d’écurie, mais à partir de 1907 on voit apparaître à Paris les toutes premières cochères, conduisant leurs fiacres (je rappelle que le mot fiacre ne désigne pas un type de voiture en particulier, mais l’usage qu’on en fait, c’est à dire celui de taxi). Ça ne durera pas bien longtemps, puisque les voitures à cheval sont déjà en train de disparaître au profit de celles à moteur, mais c’est intéressant de voir qu’elles se faisaient leur place.

Je vous recommande ce site pour voir toutes une série de cartes postales de cochères, et je vous en partage quelques-unes ci-dessous :

Clémentine Dufaut fut l’une des deux premières cochères professionnelles parisiennes, après avoir passé et obtenu son examen de cocher en 1907.
Notez que celle-ci a embarqué son petit chien avec elle 😉

Ce qui n’empêche pas au passage un peu de sexisme (c’était l’époque…) :


En conclusion

À la fin du XVIIIe et tout au long du XIXe, on a vu apparaître des voitures de plus en plus légères qu’un passager pouvait conduire lui-même (je vous renvoie ici pour voir différents modèles), ce qui fait que la présence d’un cocher se faisait moins indispensable. Mais d’un autre côté, avec le développement des villes et le fait que nombre de citadins préfèrent les transports en commun ou bien louer une voiture au cas par cas, les cochers ont eu largement de quoi s’adapter.

Jusqu’à ce que les voitures à moteurs les fassent disparaître pour de bon… Je ne suis pas certaine qu’ils aient pu si facilement se recycler en chauffeurs, par contre !

SOURCES :
Livre - Mrs. Beeton's book of house management - The Coachman, groom and stable boy (1866)
Regency Servants ~ Stable Staff
Wikipedia - Coachman
Wikipédia - Cocher
Histoire de relais : les bottes du postillon
Les Femmes Cocher – The Coachwomen of Paris
Fifteen Things a Good Georgian Coachman Would Not Do
S’abonner
Notifier de
guest
13 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments