Peinture monter en amazone, portrait
Tout le XIXe siècle

Monter en amazone (avec ses deux seins)

Vous vous demandez sûrement dans quoi je vais vous embarquer avec un titre pareil…

On va parler d’amazones et on va parler d’Amazones.

Et aussi de nichons. Oui, oui ! 😉


Monter en amazone

Si vous pensez que je vais vous décrire en détails comment les femmes montaient à cheval au XIXème siècle, vous allez peut-être être déçus car on va faire ça super vite…

En gros :

  • Si vous n’avez jamais vu un cheval de votre vie, apprenez que monter en amazone consiste à se tenir assise sur sa monture avec les deux jambes du même côté, à gauche (et pourquoi pas à droite ? il semblerait que ce soit lié aux militaires, qui avaient besoin de monter à cheval toujours par la gauche pour ne pas être gênés par leur épée. Le monde de l’équitation aurait gardé cette habitude)).
  • Cette posture est réservée aux femmes, en particulier aux femmes aisées, qui ont les moyens de se payer un cheval de loisir. Ça leur permet de pouvoir chevaucher avec leur longue jupe, sans montrer leurs jambes (ce serait trop choquant), et surtout sans écarter les jambes (ce serait encore plus choquant !).
Avec une sambue, la femme est assise perpendiculairement au dos du cheval.
  • Au Moyen-Âge, les dames s’asseyaient sur une sorte de petit fauteuil moyennement stable, avec une planchette pour poser leurs pieds. Ça s’appelait une sambue, et on n’allait pas bien vite, avec ça, sous peine de se casser la figure. Là aussi, les jambes étaient toujours du côté gauche, et la dame ne maîtrisait pas elle-même le cheval, qui était conduit par quelqu’un d’autre.
Position d’une amazone
  • À partir du XVIème siècle, on commence à utiliser une selle spéciale : elle comporte une fourche sur laquelle la cavalière appuie ses cuisses pour se maintenir, ainsi qu’un étrier pour y mettre un pied (ce qui va la rendre plus stable et lui permettre de trotter et galoper).
  • Le mot « amazone » désigne la monte, la cavalière elle-même, ainsi que le costume porté pour chevaucher. Il faut en effet que la jupe soit taillée d’une certaine façon pour ne pas rester bloquée dans la selle en cas de chute, et il faut une cravache pour pouvoir donner des petits coups au cheval sur le flanc droit, vu qu’on ne peut pas le faire avec le pied.
  • Typiquement, au XIXème, une femme ne peut pas monter ou descendre seule de son cheval (en particulier en raison de son costume, avec sa jupe encombrante) : elle doit faire appel à un ou deux hommes pour l’aider. Pour galoper, c’est possible mais pas si facile : il faut être bonne cavalière, bien maîtriser sa bête et la technique pour ça. Beaucoup d’amazones ne font que chevaucher au pas ou au petit trot, avec parfois un homme qui contrôle leur monture pour elles (par exemple, un domestique qui marche en avant).

À l’origine : les Amazones

Une légende grecque

Les Amazones sont un peuple composé exclusivement de femmes guerrières redoutables, qui montent à cheval, combattent avec des lances ou des haches, et se coupent le sein droit pour ne pas être gênées lorsqu’elles tirent à l’arc. Elles sont fortes et courageuses au combat, mais elles sont aussi sauvages et débridées dans leur sexualité, sans aucune forme de mariage, et en étant globalement hostiles aux hommes, dont elles n’ont pas besoin pour vivre. Et lorsqu’elles mettent au monde des enfants, elles gardent les petites filles, mais elles tuent les petits garçons ou bien elles les rendent handicapés afin d’en faire de simples serviteurs soumis.

Oooooh… Mais quel charmant portrait ! Ça sent bon le gros jugement et la censure patriarcale, tout ça, dites donc !

Les Amazones telles que décrites par Homère dans son Iliade – et telles qu’on les a représentées par la suite – ne sont qu’une légende. En revanche, elles ont été inspirées par le peuple nomade scythe, originaire des steppes du nord de la Turquie et du Kazakhstan, dont les femmes étaient étaient d’excellentes cavalières et archères, se battaient autant que les hommes, et avaient des moeurs différentes – comme celle de choisir librement leurs partenaires sexuels.

Pas exactement la civilisation bien rangée des Grecs, qui ont dû considérer ces femmes comme de sacrées barbares, tout en étant impressionnés par leurs talents équestre et guerriers…

ET PARCE QUE VOUS VOUS POSEZ SÛREMENT LA QUESTION… lorsque les explorateurs portugais ont découvert les côtes d’Amérique du Sud, ils ont rencontré une tribu de femmes qui se battaient, elles aussi, comme des lionnes. Ils ont donc pensé avoir avoir découvert les vraies Amazones, et c’est pourquoi ils ont baptisé ce territoire l’Amazonie.

Avec 1 ou 2 seins ?

Vous me connaissez : j’adore l’étymologie. Or, je suis tombée de ma chaise en découvrant que le mot d’origine grecque a-mazon, qui signifie « sans mamelle » (rapport au sein coupé pour tirer à l’arc) pourrait en fait vouloir dire exactement le contraire ! Le « a » considéré comme privatif, pourrait en fait être un « a » intensif, qui, au contraire, augmente encore la puissance du mot qui suit.

Dans ce cas, Amazone ne voudrait pas dire « sans sein », mais plutôt « aux seins forts, robustes, puissants »… Des vraies nanas, quoi !

D’ailleurs, les représentations visuelles des Amazones sur les vases ou les bas-reliefs antiques ne montrent pas du tout des femmes avec un sein amputé, c’est une caractéristique qui est arrivée plus tard. Et c’est complètement con, d’ailleurs, parce que toutes les archères vous diront que le fait d’avoir une poitrine, même volumineuse, ne gêne absolument pas, car on tient l’arc bien assez éloigné du corps.

Des cavalières viriles

L’image des Amazones qui nous a été transmise depuis l’Antiquité est donc celle de guerrières qui se conduisent comme des mecs.

On admire leur force et leur courage, mais on fait surtout d’elles des ersatzs masculins, des garçons manqués, des femmes « bonhommes ». On leur enlève un sein – attribut féminin par excellence -, on nie leur rôle maternel en faisant d’elles des mères infanticides, et bien entendu on en fait des chaudasses à la sexualité intense et malsaine.

En gros, comme elles ne sont pas dans le rôle traditionnel de l’épouse fidèle, avec une sexualité tempérée uniquement destinée à produire des enfants, et qui reste à la maison en attendant que son mari revienne, hé bien on en fait des faux-hommes.

Et ça, c’est un truc qui me rend folle de rage… Dans la culture occidentale, tous les attributs valorisants (du genre force, courage, audace, liberté, action, découverte, etc), ainsi que tout ce qui relève d’une sexualité libre et active, sont décrits comme appartenant exclusivement au monde masculin. Et lorsque ce sont des femmes qui démontrent ces attributs, alors on les masculinise, elles.

Pourtant, moi, j’aime bien l’idée d’une cavalière farouche qui part à la guerre, ses deux seins robustes en avant, pour défendre sa terre et son peuple. Pas besoin d’être un mec pour ça, merci.


La position à califourchon

Des Amazones à l’amazone

Comme je le disais au début, c’est au XVIème siècle que les femmes ont laissé tomber la sambue pour commencer à monter en amazone. La Renaissance est une période de redécouverte des oeuvres de l’Antiquité, et c’est ainsi qu’on s’est approprié le nom des Amazones, parfait exemple de cavalières féminines.

Le monde de l’équitation, qui est depuis toujours un univers d’hommes allant à la guerre ou à la chasse, s’ouvre alors progressivement aux femmes.

Or, vous savez quoi ? Les Amazones ne montaient pas en amazone. Elles montaient à califourchon, bien solidement ancrées sur le dos de leur monture.

Normal, me direz-vous : comme pourrait-on guerroyer avec une longue jupe encombrante et les deux jambes à gauche d’un cheval lancé au galop ?

Bas-relief d'une amazone au combat, période antique
Bas relief d’une Amazone, avec ses deux seins et ses deux jambes, tous placés à des endroits logiques et naturels (j’ai un doute sur la capacité de son dos à se contorsionner autant, par contre… 😉 )

Mais alors pourquoi les femmes du XVIème et des siècles suivants n’ont-elles pas, elles aussi, monté à califourchon ? Ne me dites pas que c’est une question de ne pas vouloir montrer ses jambes : si on a été capables de coudre des jupes spéciales qui ne se prennent pas dans la selle, on aurait très bien pu trouver pleeeeeeeein de solutions vestimentaires, du genre jupe-culotte, pour que Madame puisse monter à califourchon tout en restant bien couverte.

Garder le contrôle sur les femmes

En fait, depuis des lustres, on se sort pas de cette idée stupide selon laquelle il faut surveiller ce qui se passe entre les jambes des femmes (on n’y est pas encore parvenus au XXIème siècle, alors imaginez donc au XIXème ou au XVIème…)

Contrôler leur sexualité, c’est contrôler les bébés qu’elles mettent au monde : la filiation, le nombre d’enfants, le moment des grossesses… Les hommes maîtrisent ainsi l’avenir de leur propre lignée et, de façon plus générale, de la société.

Or, permettre aux femmes de monter à cheval, c’est « dangereux » pour le patriarcat, car elles gagneraient en liberté, pourraient se déplacer seules, et deviendraient plus difficiles à surveiller. Allez donc savoir ce qu’elles pourraient faire, les chipies ! Avoir des activités sociales et intellectuelles avec d’autres personnes ? Se trouver un autre homme ? Voyager ? S’intéresser au monde extérieur ? À la politique ?

Allons donc ! La place des femmes, c’est au foyer ! Quand Monsieur sort, Madame reste à la maison pour attendre son retour, c’est dans l’ordre des choses…

Ouiiiiiii, je sais, je caricature. N’empêche que derrière cette monte en amazone très élégante, mais pas pratique et pas naturelle du tout, que l’on réserve aux femmes, je ne peux pas m’empêcher d’y voir quelque chose qui dirait :

Mais oui, bien sûr que tu peux chevaucher ! Mais pas trop. Ne va pas trop loin, pas trop vite. Ne te montre pas trop. Ne te donne pas en spectacle. Ne fais pas comme les hommes, car toi, tu es une femme. C’est pas pareil. Tu es plus délicate, tu as besoin d’être plus entourée. C’est difficile, l’équitation, tu sais ! Il faut un cheval, une tenue et une selle spéciales, quelqu’un pour t’aider à monter, pour t’accompagner… C’est pas vraiment pour toi, tout ça… C’est beaucoup de tracas… Ça ne serait pas mieux si tu restais tranquillement à la maison ?

Les idées reçues sur l’équitation pour les femmes

La position « cuisses ouvertes » ou « cuisses fermées » : voilà un symbole super fort.

Les hommes font exprès d’écarter largement les jambes pour mettre en valeur la bosse de leur pantalon (on en parle de tous ces gars qui ne comprennent pas le concept de un fauteuil par personne, dans le métro ou les salles d’attente, et qui s’étalent en largeur ?), tandis que pour les femmes c’est exactement le contraire : avoir le malheur d’écarter un peu les jambes, c’est donner le signal qu’elles acceptent de recevoir tous les pénis de la Terre.

C’est pourquoi une dame de qualité, respectable, honorable, éduquée, supposée représenter ce qui se fait de meilleur en matière d’être humain féminin, doit IMPÉRATIVEMENT garder ses jambes couvertes et ses cuisses serrées en toutes circonstances. Il ne faudrait surtout pas sous-entendre une quelconque liberté sexuelle de la part de ladite dame, car ça serait une perte de contrôle du patriarcat sur son corps.

Dans ce contexte, on prétend depuis le XVIème siècle, que la position à califourchon est nuisible pour les cavalières. Ça va, paraît-il :

  • déchirer l’hymen des jeunes vierges (groooos sujet, ça, la virginité des filles et cet hymen de malheur ! j’en ferai sûrement un article, un jour)
  • provoquer des fausses couches (on dira la même chose du vélo quand il deviendra populaire à la fin du XIXème)(tiens, tiens, encore un moyen de transport permettant aux femmes de gagner en liberté, et comme par hasard on lui flanque une mauvaise réputation !)
  • agiter les pensées coquines (ok, se masturber en public sur une selle de cheval, je comprends que ce ne soit pas très recommandable… mais le problème n’est pas de le faire dans un lieu inapproprié, le problème est de le faire tout court ! Les femmes ne sont pas supposées avoir de désirs sexuels, donc il ne faut surtout pas encourager ça)
  • provoquer l’excitation des hommes en montrant ses jambes sous sa jupe relevée (et là, je m’excuse, mais le problème ce ne sont pas les jambes des femmes, ce sont les hommes qui sont autorisés à ne pas retenir leurs pulsions dès qu’ils voient un bout de chair)

Pour décourager les femmes, on fait donc courir tout un tas de rumeurs et de croyances. On va aussi les critiquer, les pointer du doigt ou les ridiculiser, afin qu’il soit bien acquis pour tout le monde qu’une femme honnête NE MONTE PAS à califourchon.

Elle le fait en amazone, ou alors elle ne le fait pas du tout.

C’est mieux, ça : « pas du tout ». Comme ça, elle reste à la maison, là où est sa place.

Femme à califourchon sur son cheval, caricature du XIXème siècle
Caricature des années 1800 se moquant d’une femme à califourchon, en faisant un jeu de mot sur une ville imaginaire du nom de Stretchit (stretch it = étire-les, écarte-les). La femme demande innocemment son chemin, mais à cause de sa position et du jeu de mot, l’homme interprète ça comme une avance sexuelle.
Wilhelmine de Prusse, par Philipp Haag (1789). Femme montant à califourchon, au lieu de le faire en amazone
Wilhelmine de Prusse, par Philipp Haag (1789)

JAMAIS À CALIFOURCHON, ALORS ? JAMAIS, JAMAIS ? Il arrivait que certaines femmes de haut rang montent à califourchon malgré tout, comme l’ont fait Diane de Poitiers ou Marie-Antoinette. Leur statut leur permettait ce genre d’excentricité, mais ça restait un geste provocateur susceptible de faire jaser sur leur compte.

Catherine II de Russie s’est également fait peindre à califourchon sur son cheval. Dans son cas, le but était d’être représentée en chef de guerre, elle porte d’ailleurs un costume d’homme pour affirmer son rôle politique (j’en avais parlé ici).

NE ME FAITES PAS DIRE CE QUE JE N’AI PAS DIT… Je décris là le discours global de la société, la tendance générale entretenue par l’éducation et la mentalité des gens au fil des siècles. Je ne suis pas en train de dire que tous les hommes sont des salauds. Bien entendu, il y avait tout un tas de maris et de pères pour qui ça ne posait aucun problème que leurs femmes ou leurs filles chevauchent comme elles le souhaitent. J’ai peut-être des idées féministes mais je ne suis absolument pas « anti-hommes » (d’ailleurs, je reparlerai de leurs contraintes à eux, car ils en subissaient un paquet aussi), je suis plutôt « anti-obligation-de-se-limiter-à-un-rôle-genré ».


En conclusion

En dépit de leur nom commun, les amazones du XIXème n’ont décidément pas grand chose à voir avec les Amazones de la légende antique.

Les premières sont confinées dans un monde typiquement féminin, tenues d’aller doucement, de ne pas en faire trop, de maîtriser leur attitude et de contrôler leur sexualité en serrant les cuisses, bref : de rester dans les clous de la bonne morale.

Tandis que les secondes, même si elles sont imaginaires et mêmes si leur image a été déformée dans le temps, sont des femmes fortes, autonomes et libres de leurs vies et de leurs corps, capables de faire les mêmes choses que les hommes.

C’est vraiment très beau, une amazone du XIXème. C’est très chic et élégant. Mais je n’arrive plus à regarder ce type d’image sans arrière-pensée, maintenant.

Impératrice Eugénie, par Charles Edouard Boutibonne (1857). L'impératrice monte en amazone, comme toute femme "respectable" doit le faire
Impératrice Eugénie, par Charles Edouard Boutibonne (1857)
SOURCES :
Wikipédia - Les Amazones
Dictionnaire Littré - Définition de "amazone"
La monte en amazone, introduction
Ladies Riding in Regency era
The practicalities of wearing riding habits, and riding ‘en cavalier’
Wikipedia - Riding habit
Wikipedia - Sidesaddle
“A Woman Never Looks Better than on Horseback”
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