Tout le XIXe siècle

Comment déterminer qui sera l’héritier d’un titre de noblesse

Voilà une question que vous me posez souvent dans les commentaires :

Si le comte Machin est mort, est-ce que TrucBidule pourra hériter de son titre ? Et si ceci… ? Et si cela… ?

Ça ne m’embête pas de vous répondre au cas par cas, mais je me suis dit que j’allais résumer tout ça sous forme de schéma : ce sera sûrement plus facile à comprendre, et surtout à retrouver dans les archives du blog (vu que les commentaires sont bien plus difficiles à retracer). Comme ça, la prochaine fois que quelqu’un me posera la question, je le renverrai sur cette page, ça sera pratique pour tout le monde.


Désigner un héritier selon la primogéniture agnatique

Rappel

J’en ai déjà parlé ici : le porteur d’un titre de noblesse ne décide pas lui-même de qui héritera de son titre après sa mort. Les règles de succession sont inscrites dans ses lettres patentes (c’est à dire le document officiel rédigé lors de la création du titre) et elles ne peuvent pas être contournées selon le bon plaisir des gens. Il n’y a que le Parlement, ou bien le souverain en personne qui pourrait décider d’outrepasser ces règles en rédigeant exprès de nouvelles lettres patentes, mais c’est excessivement rare.

Ensuite, rappelons que la majorité des titres de noblesse obéissent à la primogéniture agnatique, autrement dit c’est obligatoirement un homme qui hérite. Là aussi, il y a des exceptions, comme les rares titres portés en leur nom propre par des femmes, ou bien certains titres de noblesse anciens qui obéissent parfois à d’autres types de primogénitures : je vous renvoie fouiller ici ou ici, ou encore ici pour plus de détails.

Maintenant, voilà la question :

Comment sait-on qui sera l’héritier ?

Quand il y a un fils aîné, c’est facile à deviner : ce sera lui. Mais si ce fils est mort ou bien s’il n’y a pas de fils du tout, comment on fait ? Comment on décide quel petit-fils, quel neveu ou quel cousin héritera ?

PRÉCISION : on parle toujours d’un « héritier présomptif », c’est à dire « celui dont on suppose qu’il va hériter quand le porteur du titre décèdera ». Mais la vie étant ce qu’elle est, il est possible que ça change, notamment si l’héritier présomptif décède avant l’actuel porteur du titre, ou bien si ce dernier fait un nouvel enfant qui serait un héritier plus direct que le présomptif désigné jusque-là.

C’est le principe de l’ordre de succession. On identifie qui est l’héritier présomptif (le n°1), puis le second sur la liste au cas où le n°1 disparaîtrait, puis le troisième au cas où le second disparaîtrait, et ainsi de suite… Cet ordre change dès que l’une des personnes sur cette liste décède ou fait un enfant susceptible d’être lui-même un héritier potentiel. Bref : jusqu’à ce que le porteur du titre décède et que la succession ait lieu, tout peut encore changer.

Un p’tit schéma, avec ça ?

Je vous présente Albert, un noble britannique fictif et quelconque, qui vient de trépasser – paix à son âme.

Comme le titre de ce cher Albert a été prévu pour se transmettre par primogéniture agnatique, on cherche qui est le premier héritier mâle disponible vivant, par ordre d’aînesse. On regarde d’abord parmi les descendants d’Albert, c’est à dire ses fils ou les fils de ses fils. Si on ne trouve personne, on cherche dans la génération d’Albert lui-même (ses frères ou leurs fils) et si on ne trouve toujours personne, on remonte et on cherche dans la génération précédente (les frères de son père, et leurs fils), et ainsi de suite.

Quelques précisions

  • On ne parle évidemment que d’enfants légitimes. Aucun fils né en dehors d’un mariage légal ne peut hériter (on en avait parlé ici à propos des comtes Berkeley, où le fils aîné n’a pas réussi à faire valider la date légale du mariage de ses parents, si bien que c’est son frère cadet – le seul reconnu comme étant le premier garçon né légitimement dans le cadre de ce mariage – qui a hérité du titre paternel).
  • Si l’héritier désigné est encore un enfant, il devra bien sûr attendre l’âge de la majorité pour hériter de son titre de noblesse. Pendant ce temps, le titre est en dormance, personne ne le porte (et par conséquent, personne sous ce titre ne siège à la Chambre des Lords).
  • Si, au moment de la succession, l’héritier présomptif est décédé alors que son épouse est enceinte, on attend qu’elle ait accouché pour savoir si son enfant est un garçon, auquel cas ce sera lui le nouvel héritier. En général, on attend un peu avant d’exécuter une succession pour s’assurer que l’épouse n’est pas enceinte, puisque ça changerait la donne (on en avait parlé ici à propos de la période de deuil de plusieurs mois imposée aux veuves).
  • Dans de rares cas, même en remontant loin dans l’arbre généalogique, il peut arriver qu’on ne trouve absolument aucun héritier. Un titre de noblesse n’est pas toujours vieux de cinq siècles non plus : si c’est un titre récent, peut-être que seulement 3 ou 4 générations l’auront porté, on n’aura donc que ces 3 ou 4 générations-là à explorer et, en effet, si on n’y trouve aucun héritier mâle disponible, alors c’est un cul-de-sac et le titre va s’éteindre.

Désigner un(e) héritier(ère) selon la primogéniture masculine

Rappel

La primogéniture masculine consiste à désigner comme héritier le premier fils disponible, mais si on n’en trouve pas alors on prend la première fille.

Au Royaume-Uni, il n’y a que les titres de noblesse écossais et certains titres de barons qui sont régis par la primogéniture masculine et peuvent donc, en l’absence d’un mâle, être hérités par des femmes. C’était aussi le cas de la Couronne qui pouvait ainsi passer sur la tête d’une fille de roi, ce qui a donné des reines régnantes comme Mary I, Elizabeth I, Anne, Victoria et Elizabeth II (ça a changé, car depuis 2013 la Couronne se transmet par primogéniture absolue, c’est à dire qu’on prend l’aîné de la fratrie, qu’il soit garçon ou fille).

De George III à Victoria

Pour illustrer ça, reprenons mon exemple favori, celui du passage de flambeau depuis George III jusqu’à sa petite-fille Victoria, en passant d’abord par ses deux oncles, George IV et William IV. Voyez plutôt :

  • À la mort de George III :
    • la Couronne passe à son fils aîné George IV (ça, c’est facile !)
  • À la mort de George IV :
    • sa fille Charlotte aurait dû devenir reine car elle était fille unique. Problème : elle est décédée.
    • le fils de Charlotte aurait également pu devenir roi en succédant à sa mère… s’il avait vécu lui aussi (or, les deux sont décédés à l’accouchement, j’ai raconté ça ici)
    • on cherche donc le prochain héritier mâle vivant, avant de voir s’il y a des filles. Comme le second fils Frederick est mort sans enfants, c’est le troisième fils, William IV, qui devient roi.
  • À la mort de William IV :
    • William n’avait que des enfants illégitimes, on cherche donc à nouveau le prochain héritier parmi ses frères
    • on ignore l’autre Charlotte, car dans cette fratrie il reste encore plusieurs frères vivants ou avec descendance, donc ils sont prioritaires par rapport à elle (il aurait fallu qu’ils soient tous morts et sans enfants pour qu’elle devienne reine)
    • on regarde du côté du quatrième fils, Edward, qui est décédé. Il ne peut donc pas succéder lui-même à son frère William, mais il peut passer cette succession à sa propre descendance. En l’occurence, il en a une, et c’est une fille unique. C’est donc Victoria qui devient reine, grâce à son père qui était le prochain mâle (mort mais avec descendance) et grâce au fait qu’elle-même n’avait aucun frère.

En conclusion

On me pose parfois la question :

Si le comte Chose a une fille mais aucun fils, est-ce qu’il peut passer son titre de noblesse directement à son petit-fils né de sa fille ?

Si je me suis correctement expliquée à travers ces schémas, vous devriez avoir compris que personne ne peut servir à juste « transférer » un titre. Si un homme qui devait hériter est mort en laissant un descendant vivant, alors ce descendant n’hérite que parce que son père aurait en réalité dû hériter avant lui. Si Victoria est devenue reine, c’est parce qu’Edward aurait dû être roi avant elle, et il l’aurait bel et bien été s’il n’était pas mort.

De la même façon, dans l’exemple ci-dessus, la fille du comte Chose ne peut transmettre à son fils qu’un titre dont elle aurait elle-même hérité de plein droit, qu’elle aurait porté et qu’elle transmettra à sa mort (encore une fois, je vous renvoie ici pour ce qui est des titres de noblesse portés par des femmes). Elle ne peut pas servir simplement de trait d’union pour transférer un titre du grand-père vers le petit-fils, ce n’est pas comme ça que ça marche. Quand au grand-père, le comte Chose, je suis désolée pour lui, mais en l’absence de fils, son titre ira forcément à un de ses frères, neveux, oncles ou cousins… 😉

SOURCES :
Wikipedia - Primogeniture
Wikipedia - Hereditary peer
Women, hereditary peerages and gender inequality in the line of succession
Quelles sont les règles de succession aux trônes européens ?

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