
La mort de Charlotte, princesse de Galles
… pas l’adorable fillette de William et Kate, non, je vous rassure.
Je vais plutôt vous raconter ici l’histoire de Charlotte, fille du roi George IV et princesse de Galles, qui aurait dû devenir reine d’Angleterre au XIXème siècle. Comme ce sont William IV, puis Victoria qui ont finalement reçu le trône, vous comprenez bien que c’est parce qu’il y a eu un petit couac : la pauvre Charlotte est en effet morte en couches.
Mais sa mort, aussi dramatique soit-elle, est intéressante car elle a eu le mérite de remuer la médecine obstétrique de l’époque et de faire avancer la science.
Une future reine prometteuse

Nous sommes en 1817, en pleine Régence.
Charlotte a 21 ans. Elle est la fille unique de George, l’actuel Prince Régent, ce qui fait d’elle la deuxième dans l’ordre de succession au trône (son père deviendra bientôt George IV, et à sa mort ce sera elle qui sera reine d’Angleterre). Souvenez-vous, j’ai déjà expliqué ici comment fonctionnait la succession par primogéniture masculine : Charlotte n’ayant pas de frères, elle héritera de la couronne de son père.
EN PASSANT, ce n’est vraiment pas un hasard si Charlotte est fille unique. Il se trouve que ses parents, George et Caroline, mariés par obligation, ne s’entendaient absolument pas. Ils n’auraient couché ensemble que 3 fois en tout et pour tout, c’est à dire juste ce qu’il faut pour que Caroline tombe enceinte, et ils ont ensuite vécu séparément toute leur vie.
Tout va bien dans le meilleur des mondes. Même si le pauvre George III est vieux et à moitié dément, le Prince Régent régente, le Parlement dirige le pays, et on a une héritière qui prendra la relève plus tard.

Justement, Charlotte est mariée depuis un an à un beau prince allemand de 27 ans, Léopold de Saxe-Cobourg. Tous deux sont très en vue, très populaires : le public se réjouit de voir un jour ce beau petit couple sur le trône, d’autant que Charlotte est bien plus appréciée que son père. Disons qu’on a hâte qu’elle le remplace !
De plus, comme tout va bien dans le meilleur des mondes, Charlotte est enceinte, ce qui ravit toute l’Angleterre. Il s’agit là de la prochaine génération de souverains, et il était temps de s’y mettre, parce que si Charlotte n’a ni frères, ni soeurs, elle n’a pas non plus de cousins. Aucun de ses oncles (et ils sont pourtant nombreux !) n’a de descendance légitime. Un comble quand on sait que leur père, George III, avait fait 15 enfants !
Bref : il faut assurer la relève, et Charlotte et Léopold sont parfaits pour ça. Alors quand l’accouchement de la jeune princesse se profile à l’horizon, l’Angleterre retient son souffle.
Garçon ? Fille ?
La triple tragédie obstétricale
La médecine de l’époque
Pendant toute sa grossesse, la Princesse Charlotte est suivie par Sir Richard Croft. La médecine telle que nous la connaissons aujourd’hui est encore balbutiante, alors il est difficile de le qualifier de médecin au sens où nous l’entendons. Il avait bien reçu une formation médicale, mais il était plus exactement « accoucheur » et pas vraiment médecin.

Il pratiquait son art à l’ancienne (tel qu’on le lui avait enseigné, en toute bonne foi), c’est à dire en assignant Charlotte à un régime alimentaire restrictif et en lui faisant des saignées tout au long de sa grossesse. Et aussi, une fois le travail commencé, en lui interdisant de manger ou de dormir.
En gros, tout ce qu’il faut pour épuiser une future maman qui, en plus, a largement dépassé son terme et s’apprête à sortir un gros bébé…
La médecine de l’époque, quoi !
Quand les choses tournent mal
L’accouchement de la princesse a commencé. Bien. Sauf que les heures passent et que le travail n’avance pas… Et pour cause : le bébé est en position transverse.
Après plus de 24h de contractions, il semble évident qu’il est déjà mort et Charlotte n’arrive toujours pas à l’expulser. Utiliser des forceps n’est pas envisageable, car leur usage a mauvaise presse à cette époque (il faut dire qu’on ne connaît pas le concept de stérilisation, alors flanquer une septicémie à la mère, c’est pas terrible…). Et pratiquer une césarienne est impossible, car cela la condamnerait, elle, la future reine d’Angleterre.
On laisse donc la pauvre princesse se débrouiller comme elle peut, et on attend. Elle n’a pas mangé depuis 24h, pas dormi depuis 36h, mais on l’empêche toujours de faire l’un et l’autre. On finit quand même par faire envoyer chercher John Sims, un vrai médecin, lui, qui représente la nouvelle génération de scientifiques. Je vous laisse lire ici la lettre qu’il a écrite à un de ses confrères, et où il raconte les évènements. Un témoignage direct, c’est aussi touchant que précieux.
Finalement, Charlotte parvient à sortir le bébé, qui est effectivement mort-né. C’était un garçon, d’un bon 4 kilos.
Pour autant, elle n’est pas tirée d’affaire. Elle saigne abondamment et son utérus s’est contracté en forme de sablier (probablement une rupture utérine, voyez ici). On lui enlève le placenta à la main, mais elle saigne toujours. Encore consciente, elle apprend la mort de son bébé avec, semble-t-il, une certaine résignation.
Cinq heures plus tard, elle décède à son tour, sans doute d’une ou plusieurs hémorragies internes, dont une au niveau du péricarde (coeur). On ne saura jamais avec précision ce qui a causé sa mort.
Trois morts au lieu d’une naissance
Sir Richard Croft n’a pas quitté une seule minute le chevet de sa patiente. Il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour l’aider, en fonction des connaissances dont il disposait. Mais son grand tort (ou orgueil ?) a été de ne pas aller chercher d’aide alors que la situation lui échappait.
La famille royale ne lui a pas tenu rigueur de son incapacité à empêcher le drame. Pas officiellement, en tout cas. Mais cela n’a pas empêché le pauvre homme d’être rongé par le remords et la culpabilité : à peine 3 mois après la mort de la Princesse Charlotte, et alors qu’il était au chevet d’une autre femme qui avait elle aussi des difficultés à accoucher, Sir Richard Croft s’est tiré une balle dans la tête.
1 bébé + 1 princesse + 1 accoucheur = 3 décès.
Ce triste épisode est resté dans les mémoires comme the triple obstetrical tragedy.

Le combat entre deux médecines
Le témoignage de John Sims
Dans la lettre que je vous cite plus haut, John Sims regrette qu’on ne l’ait pas envoyé chercher plus tôt (il est arrivé après la sortie du bébé ! soit plus de 36h après le début du travail !). Il aurait dû être appelé auprès de la Princesse dès le début, et pas après coup.
Il est discret dans ses propos, mais on devine qu’il y avait une sorte de compétition entre lui et Croft, et que ce dernier n’a pas jugé bon de faire appel à ses services, se pensant capable de gérer la situation. La bonne vieille gué-guerre entre l’ancienne et la nouvelle médecine…
Je vous en traduis un extrait :


Attention spoiler ! Si vous n’avez jamais vu Downton Abbey, sautez ce paragraphe !
Ça ne vous rappelle pas furieusement l’histoire de Lady Sybil, tout ça ? Avec à ses côtés deux médecins, dont l’un pratique « à l’ancienne », et c’est lui qu’on écoute, et l’autre qui représente la médecine moderne, mais dont on refuse de le laisser faire ? Je ne serais pas surprise que les scénaristes se soient inspirés de la triste histoire de la Princesse Charlotte pour illustrer ce clash entre l’ancien et le moderne, qui est un des thèmes de la série.
Un coup de fouet pour la médecine obstétricale
Perdre d’un seul coup deux générations de souverains anglais, voilà qui a flanqué un sacré coup à la médecine de l’époque. Et pas seulement en Angleterre, mais partout en Europe. Les vieilles techniques dépassées sont pointées du doigt par les nouveaux médecins, on prône une meilleure prise en charge des accouchées…
Plus jamais ça !
Par la suite, l’obstétrique va s’améliorer peu à peu. On cesse (enfin !) les saignées et le régime alimentaire contraignant qu’on imposait aux femmes enceintes, on reprend l’usage des forceps (pas toujours dans de bonnes conditions, c’est sûr, mais il y a du progrès !). Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, un Dr. Leopold met au point les manoeuvres qui permettent d’identifier clairement la position d’un foetus dans le ventre, afin de déterminer si la césarienne est absolument nécessaire ou pas.
En conclusion
La suite de l’histoire ? Trois ans après la mort de Charlotte, son grand-père, le roi George III décède, et son père le Prince Régent devient George IV, ce qui signe la fin de la Régence. Quant à son mari, le beau Léopold, il finit par quitter l’Angleterre : il deviendra plus tard Léopold Ier, roi de Belgique, et se remariera.
Il faut réaliser à quel point, à cette époque, la mort de la Princesse Charlotte a secoué la nation toute entière. On peut tout à fait la comparer à Lady Diana et affirmer que sa mort a eu le même impact émotionnel sur le peuple. On perdait subitement une princesse aimée de tous, la fille de l’Angleterre, sans que personne ne s’y attende puisqu’elle était jeune et en bonne santé. Pire encore : on perdait toute la lignée de souverains à venir ! Un sacré choc !
Le Prince Régent n’avait pas d’autre enfants (et à 55 ans, c’était fini pour lui), alors à la suite de ce drame, plusieurs de ses frères se sont dépêchés de se marier afin de produire des héritiers pour assurer la suite.

C’est notamment ce qui est arrivé au Prince Edward, qui, à peine 2 ans plus tard, devint papa pour la première fois d’une petite… Victoria. Oui, oui, celle-la même ! J’en ai déjà parlé ici et ici.
Si l’accouchement de la pauvre princesse de Galles s’était bien déroulé, la monarchie européenne aurait été toute différente. Le XIXème siècle tout entier aussi.
Ça s’est joué à peu de choses.
SOURCES : Wikipedia - Princesse Charlotte of Wales Wikipedia - Leopold I of Belgium Wikipedia - Sir Richard Croft Obstetrics: the science and the art (lettre du Dr. Sims) The triple obstetrical tragedy : Sir Richard Croft Charlotte of Wales : the triple obstetrical tragedy The funeral of Princess Charlotte Augusta of Wales

