Jardins de Vauxhall, Londres
Époque georgienne,  Époque Régence anglaise,  Époque victorienne

Vauxhall, le jardin des plaisirs

Chez moi, à Montréal, l’été est toujours une période chargée en festivals. Ils s’enchaînent les uns derrière les autres comme des perles, on en trouve dans tous les coins de la ville, dans les rues, dans les parcs, dans les salles de spectacle… Des festivals de musiques de musique, de cinéma, de théâtre, d’humour, de cirque, de feux d’artifice, de cultures étrangères, en voici, en voilà !

Justement, aujourd’hui c’est le début de la Virée Classique (le festival de musique classique), et je trippe comme jamais car je vais participer ce soir au grand concert d’ouverture en chantant… le Requiem de Verdi ! J’adooooore cette oeuvre ! (et je vous renvoie à la musique de la semaine, dans la colonne de droite, pour écouter un extrait).

La soucoupe volante, en haut à droite, c’est le stade olympique de Montréal. À ses pieds, une tente blanche qui a l’air minuscule, mais ne l’est pas : dedans, l’orchestre, à gauche et à droite les 400 choristes. Le reste, c’est une esplanade et un parc assez grands pour accueillir plusieurs dizaines de milliers de spectateurs (avec le son retransmis par hauts parleurs, bien sûr).

Ça m’a fait songer qu’au XIXème siècle, il y en avait aussi, des festivals d’une ampleur monstrueuse, avec des milliers et des milliers de spectateurs. Faut pas croire : les moyens ne manquaient pas !

Quand j’écrivais La cantatrice, j’ai par exemple appris qu’Emma Albani avait chanté ce même Requiem de Verdi au Crystal Palace de Londres, accompagnée de… 4.000 choristes ! Photo à l’appui ! J’avais du mal à imaginer ça, et pourtant, il y a quelques années j’ai participé à un autre concert avec le même orchestre, où nous étions 1.500 chanteurs, alors maintenant je vois très bien ce que ça devait être. Surtout pour Emma, qui était la soprano soliste, autrement dit la tête d’affiche ! J’aurais une pensée pour elle, ce soir, c’est certain !

En attendant, quand je pense à des festivals en plein air, à Londres, au XIXème siècle, il y en a un qui sort clairement du lot : Vauxhall Gardens.


Des jardins de plaisirs

Passer le printemps à Londres

Dans l’Angleterre de Jane Austen, si on vivait à la campagne (et c’est le cas de la très grande majorité de la population), la vie devait être bien lente. Les distractions ne sont pas si courantes et se résument vite aux soupers ou aux bals privés organisés entre voisins, à des pique-nique ou des sorties à la chasse, au bord de l’eau, etc. C’est plaisant, mais pas si palpitant non plus, surtout si on y rencontre tout le temps les mêmes personnes.

C’est pourquoi la saison de Londres est aussi courue (j’ai expliqué ici ce que c’est et comment ça fonctionne). C’est la promesse d’accéder pendant quelques semaines à tout ce qui se fait de mieux en matière de divertissements et de spectacles.

Comme la saison se déroule au printemps et au début de l’été, on profite des beaux jours pour passer du temps dehors. Ça tombe bien : sur la rive sud de la Tamise, on a aménagé depuis 1661 un grand parc, appelé New Spring Gardens (les Nouveaux Jardins du Printemps). C’est l’époque de notre Roi Soleil et visiblement il n’y a pas qu’à Versailles que les grandes fêtes dans les jardins sont à la mode…

De New Spring Gardens à Vauxhall Gardens

En anglais, on parle de pleasure gardens, littéralement des jardins de plaisirs. Ce sont des espaces extérieurs paysagés et aménagés pour la promenade, mais aussi – et surtout ! – le divertissement. On y trouve par exemple des scènes de concert ou des kiosques de musique, des zoos ou des ménageries, des cirques, des carrousels, des manèges, des glissades, etc. Ni plus ni moins qu’un ancêtre de nos festivals et nos parcs d’attraction actuels !

Jonathan Tyers

New Springs Gardens est donc lui aussi un jardin de plaisirs. Au début de son existence, il ne s’agit encore que d’un parc paysagé, fait pour la promenade.

Mais en 1729, un certain Jonathan Tyers en prend la direction. C’est un gestionnaire de poigne et un visionnaire, et c’est lui qui va, pendant pas loin de 40 ans, développer l’endroit pour en faire le lieu à la mode de toute l’époque georgienne. Au passage, l’endroit est rebaptisé Vauxhall Gardens.

DÉTAIL : Le nom Vauxhall viendrait d’un chevalier arrivé de Normandie vers 1220. Il s’appelait Foulques de Bréauté et il aurait acquis à cet endroit un domaine qui a gardé son nom. Sauf que tout ça s’est déformé avec le temps : Foulques’ Hall est devenu Faulke’s Hall, puis Fox Hall ou Faux Hall, et enfin Vaux Hall.

AUTRE DÉTAIL : Vauxhall Gardens est devenu tellement populaire que le nom est passé dans le langage courant. Ou plus exactement : face à son succès, d’autres établissements similaires ont fleuri un peu partout en Angleterre et ont conservé ce nom. Un vauxhall est donc, au sens large, un lieu de divertissement.


Les lieux

Le parc se trouve sur la rive sud de la Tamise, au coeur du faubourg qui porte le même nom, et près du pont… qui porte le même nom aussi.

Ce pont a été construit pendant la Régence, entre 1809 et 1816, et s’appelait Regent Bridge avant d’être renommé Vauxhall Bridge. Avant ça, les visiteurs devaient traverser le fleuve en bateau, alors autant dire que la construction du pont a permis de multiplier considérablement l’affluence dans les jardins !

Carte montrant le parc d'attractions de Vauxhall, populaire à Londres au XIXème siècle
Le parc d’attractions est la zone en vert, en forme de L renversé
Carte montrant le parc d'attractions de Vauxhall, populaire à Londres au XIXème siècle
Plan détaillé de la partie ouest, où se trouvaient les installations de spectacle. Le reste du site se composait d’un grand parc arboré, fait pour la promenade et les pique-nique.

Les installations comptaient plusieurs kiosques, coupoles, rotondes, scènes diverses où on pouvait placer un orchestre ou des artistes pour divertir et faire danser la foule. Il y avait même une cascade artificielle où se déroulaient des spectacles et des mises en scène, et des décors artificiels (du genre fausses ruines de temple romain, tente turque, etc).

Vauxhall Gardens s’annonçait comme ouvert à toute la famille. Cela dit, certaines allées étaient peu ou pas du tout éclairées, afin de laisser le champ libre aux prostituées. Bah oui. Les lieux étaient accessibles en journée, mais le gros des spectacles se tenait le soir, alors à la faveur de la nuit il devait se trafiquer tout un tas de choses en arrière-plan…


Au programme

Les activités de Vauxhall

Décollage de montgolfière à Vauxhall Gardens, 1842

Au fil du temps, on assiste à :

  • des concerts
  • des bals
  • des soupers
  • des ballets
  • des feux d’artifice et effets pyrotechniques en tous genres
  • des décollages de montgolfières
  • des pièces de théâtre
  • des mimes
  • des performance de cirque (surtout équestre)
  • des expositions de curiosités (personnages, objets ou animaux exotiques)
Illustration montrant les fêtes qui avaient lieu au parc d'attractions de Vauxhall, à Londres, au début du XIXème
Tom, Jerry, and Logic Making the Most of an Evening in Vauxhall (par Robert and George Cruikshank, 1821).

Programme du 8 septembre 1842

Programme des jardins de Vauxhall, un parc d'attractions populaire au XIXème siècle, à Londres

Soirée costumée ! Tous les visiteurs sont priés de porter un déguisement et un masque, parce que c’est bien plus marrant comme ça… 😉 Et s’ils n’en ont pas, ils pourront s’en procurer à l’entrée du parc !

On pourra assister aux démonstrations de Mademoiselle Caroline, une dresseuse de chevaux française, et aux chevauchées folles de Signor Boltari, un acrobate équestre italien. On verra danser La Petite Taglioni, il y aura des concerts de chant et d’orchestre, encore des voltiges et des numéros de cirque équestre par le célèbre Ducrow, une reprise d’un numéro de ballet donné lors d’un bal costumé chez la Reine, et pour finir en apothéose : des feux d’artifice.

Et on n’est même pas en pleine saison londonienne, mais début septembre, c’est à dire plutôt dans la « petite saison ». Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en une seule soirée on en avait pour son argent !

7 shillings pour les messieurs, 6 pour les dames !
Souvenez-vous, j’en avais touché un mot ici : du temps de Tyers et jusque vers 1800, l’entrée du parc était à 1 shilling. Mais 40 ans plus tard, c’est passé à 7 shillings ! Ouch ! L’inflation est passée par là, la surenchère dans les spectacles présentés aussi… C’est que ça coûte des sous à produire, tout ça !


Un divertissement ouvert à tous

Les codes sociaux s’assouplissent

Dans un jardin de plaisirs, on était là pour en avoir, justement, du plaisir. On boit, on mange, on danse, on fait la fête, on s’amuse entre amis, et les codes de conduite d’ordinaire plutôt stricts prennent un peu le bord…

Vauxhall Gardens est un endroit ouvert à tous types de publics : toutes les classes sociales sont bienvenues, pour autant que chacun ait les moyens de payer son billet d’entrée. Les artisans ou commerçants vont ainsi côtoyer la gentry ou la noblesse au sein des mêmes activités festives et sociales. Je ne dis pas qu’ils se « fréquentaient », mais au moins ils assistaient aux mêmes évènement, ce qui, en soi, est déjà tout un progrès !

De plus, ça permettait au petit peuple d’accéder enfin aux spectacles chics (théâtre, ballets, etc) autrefois réservés à la crème de la société. La culture et le divertissement se démocratisent !

Un jardin pour les amoureux

L’autre conséquence de cet assouplissement des moeurs, c’est que ce parc devient un endroit privilégié pour compter fleurette… Souvenez-vous : on y vient en grand nombre pendant la saison et on peut y rencontrer spontanément des étrangers sans avoir à passer par toute une série de mise en relations, alors ça facilite grandement les choses.

Les demoiselles célibataires n’auront pas à patienter bien longtemps avant qu’on se mette à leur tourner autour. Vauxhall Gardens était un lieu de choix pour la chasse au mari !

Illustration du début du XIXème siècle montrant les fêtes organisées dans le parc d'attractions de Vauxhall, à Londres

En conclusion

Au sommet de sa gloire, l’endroit pouvait attirer jusqu’à 12.000 visiteurs en une soirée (en particulier après la construction du pont).

En tout, Vauxhall Gardens est resté en activité près de 200 ans. Mais les affaires ont périclité et les propriétaires ont fini par faire faillite. La popularité du lieu a dégringolé autour de 1840 et il a définitivement fermé ses portes le 25 juin 1859.

Aujourd’hui, l’ensemble du site a été construit et réorganisé, mais une petite partie est restée un parc public arboré où les promeneurs peuvent toujours se balader.

Ça me donnerait bien envie d’aller y faire un concert en plein air, tiens ! Comme au bon vieux temps !

Pas vous ? 🙂

SOURCES :
Wikipedia - Vauxhall Gardens
A visit to Vauxhall Gardens
The cascade at Vauxhall Gardens
Vauxhall Gardens 1661-1859
Wikipédia - Définition d'un vauxhall
Wikipedia - Pleasure garden
Festive fun and games and British ways to make merry
Vauxhall, the Oval and Kennington (cartes)
Vauxhall Gardesn, Final Masquerade
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