Les coiffures des femmes pendant la Régence anglaise (partie 1/2)
Suite à un commentaire d’une lectrice du blog, qui se demandait pourquoi j’expliquais que les femmes de la Régence avaient forcément les cheveux relevés, voir ici (et ici aussi), je vais développer le sujet. Pour de ne pas écrire tout un roman en un seul article, je partage ça en deux parties :
- La symbolique des cheveux féminins
- Les coiffures néo-classiques
Je vous parlerai donc néo-classissisme, mode et styles de coiffures dans le prochain article. Aujourd’hui, on va plutôt parler de symboles, de conformisme capillaire et du Pérou.
Ouaip. Parce que, comme vous le savez, j’aime bien varier mes sujets… 😉
Anecdote personnelle à propos de cheveux
Tu as vendu tes cheveux ???
En 2016, je suis partie en voyage au Pérou, et notamment au coeur de la jungle amazonienne.
C’était un voyage de type « aventure-et-confort-rudimentaire », alors pour l’aspect pratique, les finances, et aussi par défi personnel, j’ai décidé, pour l’occasion, de me débarrasser de mes cheveux hyper longs.
Je les ai rasés d’un seul coup (j’avais envie d’essayer ça depuis longtemps !) et je les ai vendus. Parce que, oui, ça se vend aux enchères, et ça m’a payé mon billet d’avion… Un bénévole me les a achetés pour les porter chez un perruquier, qui en a fait une perruque sur mesures, qui a ensuite été offerte en cadeau à une ado malade.
Dans mon entourage, les réactions ont été diverses : il y a ceux qui se sont inquiétés en pensant que j’étais atteinte d’un cancer, ceux qui trouvaient admirable d’avoir donné mes cheveux à une bonne cause (ce qui n’était pas le cas, je les ai bêtement vendus pour des raisons mercantiles, même si j’étais bien heureuse que ça puisse aussi profiter à quelqu’un qui en avait besoin), il y a ceux qui m’ont prise pour une folle, ceux qui ont été épatés que j’ai osé le faire… Bref ! Ça n’a laissé personne indifférent !
Le poids des clichés
Me voilà donc partie affronter l’humidité et la boue de la jungle, peinarde, sans avoir besoin de me préoccuper que mes cheveux soient sales, collés, emmêlés, ou qu’ils me tiennent trop chaud. Le pied ! J’étais ravie !
Or, au Pérou comme dans tous les pays d’Amérique Latine que j’ai visités, mon constat est le même : les rôles sont encore très genrés, et ça passe aussi par l’apparence. Les hommes ont tous forcément les cheveux courts, et les femmes ont toutes forcément les cheveux longs (et du maquillage, des bijoux, du vernis à ongles… toute la panoplie !). Pour moi qui suis habituée, à Montréal, à voir des looks très mélangés et originaux, je trouve ça assez caricatural.
Alors autant vous dire qu’avec ma tête rasée, je me faisais regarder de travers dans la rue ! (en plus de me faire appeler « Monsieur » à quelques reprises… 😉 ).
Ça passait parce que les gens voyaient bien que j’étais une touriste. Mais je n’ose pas imaginer si j’avais été péruvienne… Le clash et le scandale que ça aurait fait !
Un geste de défi
De nos jours, se raser la tête quand on est une femme (ou juste se débarrasser brutalement de ses longueurs, comme l’ont fait les garçonnes dans les années 1920), c’est un geste de défi, et c’est aussi carrément libérateur.
Ça remue beaucoup de choses au sujet de l’apparence physique agréable qu’on exige de nous en permanence, ça montre une volonté de reprendre le contrôle, de faire ce qui nous plaît et pas ce qui plaît aux autres. Mais le tabou reste très fort, et les gens imaginent mal qu’on puisse vouloir se tondre par simple envie (c’est pourquoi on me demandait souvent si j’avais participé à un défi contre le cancer ou si j’étais personnellement malade !).
On ne se choque plus d’une femme qui se fait tatouer, alors que c’est définitif, mais toucher à ses cheveux… Ouh là là ! Quelle horreur !
Cela dit, je vous recommande d’essayer au moins une fois dans votre vie. Quand à moi, j’ai tellement aimé ça que je le referai, c’est sûr !
La symbolique des cheveux féminins
Un attribut physique lourd de sens
En tant que femme, ne pas avoir de cheveux est tabou (encore aujourd’hui, comme j’en témoigne ci-dessus). Cela dit, en avoir ne signifie pas pour autant qu’on faire ce qu’on veut avec, loin de là !
Je ne pense pas vous apprendre quelque chose si je vous dis que dans à peu près toutes les cultures, les cheveux sont lourdement chargés de sens. Qu’on les porte courts ou longs, teints ou pas, bouclés ou pas, attachés, libres, couverts d’un voile, d’un bonnet ou d’un chapeau, tout ça n’est pas anodin… Nous sommes tous soumis à ces codes, consciemment ou non, des codes qui varient selon les époques et selon qu’on est un homme ou une femme (mais je vous parlerai une autre fois de ceux des hommes, justement).
Bienvenue dans le monde merveilleux des symboles et des stéréotypes ! 😉
De multiples dimensions
Depuis des millénaires, la chevelure des femmes est considérée comme une représentation de sa sensualité, de sa sexualité, de sa féminité. Le cheveu est érotique.
C’est la raison pour laquelle de nombreuses religions et cultures interdisent, limitent ou encadrent la possibilité pour elles de montrer leurs cheveux, dans une tentative de contrôler leur sexualité (et donc, la reproduction de l’espèce humaine). Je pense au voile des musulmanes, bien sûr, mais aussi au voile des religieuses ou aux perruques dont se couvrent certaines femmes juives : montrer ses cheveux au naturel, c’est comme montrer son intimité sexuelle. Ça ne se fait pas devant des hommes, ou pas en public, ou pas n’importe comment.
Au XIXème siècle (et à bien d’autres époques également), il est indécent pour une femme d’exposer ses cheveux détachés, ou de sortir à l’extérieur de chez elle sans chapeau, foulard ou bonnet. Même si on le fait parfois avec beaucoup d’élégance et de panache, se couvrir la tête est d’abord un geste de pudeur et de modestie, encouragé par la religion et la société toute entière.
TÊTE RASÉE EN SIGNE DE PUNITION ET D’HUMILIATION : Si on veut punir une femme pour avoir mal utilisé son pouvoir de séduction, on va lui retirer cette séduction en lui rasant la tête.
Ce fut le triste sort des femmes ayant couché avec des Allemands durant la Seconde Guerre Mondiale, et sur qui la foule s’est déchaînée après la guerre. Mais tondre les femmes en signe d’humiliation publique a aussi existé à d’autres époques.
Longs…
Je le disais plus haut : le stéréotype général, c’est encore beaucoup cheveux-courts-pour-les-garçons et cheveux-longs-pour-les-filles.
C’est tellement ancré loin dans notre culture, que certaines d’entre nous se rendent malades à l’idée d’aller chez le coiffeur pour faire couper 2 cm, que beaucoup de petites filles veulent avoir des « cheveux longs de princesse », que les hommes continuent de dire spontanément qu’ils préfèrent les cheveux longs, ou alors qu’une femme est attirante « en dépit de ses cheveux courts »…
Une femme aux cheveux courts sera perçue plus facilement comme une fonceuse, une dominante, quelqu’un qui s’affirme, et ce sont autant de valeurs qui sont habituellement attribuées aux hommes. La considérer comme plus masculine peut être vu dans un sens positif… mais aussi dans le sens de moins féminine, car moins séduisante. Et là ça devient péjoratif.
SOUPIR… On ne se sort toujours pas de ce foutu cliché qui veut qu’une femme n’a qu’un seul but dans la vie, c’est d’être attirante pour les hommes…
À notre époque et dans le monde occidental, les mentalités évoluent un peu (Dieu merci !) et ça ne choque personne, désormais, de voir une fille avec une coupe ultra courte, quels que soient les préjugés que nous puissions avoir par la suite. Mais au XIXème siècle, ça aurait été perçu comme un abominable scandale…
La vision des cheveux pendant la Régence
Le classissisme de l’Antiquité gréco-romaine
Les Occidentaux se sont là peu près toujours définis en s’opposant aux autres peuples dans le monde, généralement considérés comme moins élaborés, moins développés, moins… civilisés. Dommage pour le raffinement extraordinaire des civilisations chinoises ou arabes, par exemple, vite reléguées au rang de coutumes exotiques. Mais bon… La supériorité auto-proclamée de l’Homme Blanc sur le reste du monde, hein… c’est tout un sujet !
Il y en a qui étaient très forts, à ce petit jeu : les Romains. Avec l’expansion constante de leur empire, ils ont passé leur temps à se frotter à des peuples qu’ils considéraient ni plus ni moins que comme des barbares, des sous-évolués, des hommes plus proches des bêtes que des êtres humains.
Or, plusieurs de ces peuples avaient des préoccupations capillaires bien différentes. Ils avaient leur propre symbolique, dictant par exemple aux guerriers de porter leurs barbes et leurs cheveux longs, en signe de virilité et de force (la Gaule était appelée la Gaule Chevelue, figurez-vous…). Chose que les Romains – et plus largement les Gréco-Romains – réprouvaient : porter eux aussi des cheveux longs reviendrait à s’assimiler à ces peuples barbares, alors qu’au contraire ils voulaient s’en détacher pour mieux se montrer supérieurs.
DES CHEVEUX LONGS POUR LES RANGS ÉLEVÉS : On sait de source sûre que les Gaulois portaient les cheveux longs et libres dans le dos.
Il semblerait également que les Francs, ce peuple germanique dirigé par Clovis (sacré tout premier roi de France en l’an 481), portaient eux aussi les cheveux très longs, et que c’était une distinction entre l’élite et le peuple. Les haut-rangs avaient les cheveux longs, symbole de force et de pouvoir, tandis que le petit peuple avait les cheveux courts. Couper les cheveux d’une personne de haut-rang revenait d’ailleurs à la faire dégringoler dans l’échelle sociale…
Alors que les Romains (et, plus tard les néo-classiques) dédaignaient ces longues crinières, à l’époque de Louis XIV, au contraire, on les admirait ! On portait des perruques bouclées immenses pour les mêmes raisons symboliques : afficher sa haute naissance et son pouvoir (voyez ici, j’y parle encore de perruques et de symbolique des cheveux).
Cheveux libres contre cheveux coiffés
Pour les Gréco-Romains, donc, le cheveu était considéré comme un attribut bestial, qu’il fallait dompter et discipliner pour montrer la supériorité de l’Homme sur sa nature animale, afin de se prétendre civilisé. Surtout pas trop longs, et surtout pas laissés libres ou ébouriffés.
D’où leurs styles à eux, où les hommes étaient souvent glabres et coiffés court (ah, mais ça suffit ! j’ai dit que je ne parlerais pas des coiffures des hommes ici ! ce sera le sujet d’un autre article 😉 ) et où les femmes portaient des coiffures compliquées, relevées sur la tête, parfois maintenues par des bandeaux, des rubans, des peignes, et autres accessoires. La coiffure servait également à démontrer le statut social, par exemple qu’on était mariée ou non, d’une haute naissance, etc…
À l’inverse, une Gréco-Romaine avec des cheveux non coiffés, libres dans le dos, sera perçue comme une femme qui ne se contrôle pas, qui se laisse aller à ses (bas) instincts animaux, et qui provoque en faisant étalage de sa sensualité. Pas exactement la chose à faire, donc, si elle veut conserver une réputation honorable, être respectée et intégrée dans la société…
Le néo-classissisme
Pendant la Régence, le style néo-classique bat son plein (j’en ai parlé ici). On se délecte de toute l’esthétique de l’Antiquité, que ce soit dans les arts, l’architecture, le mobilier, les vêtements… et par conséquent, les coiffures.
Les Anglaises (tout comme le reste de l’Europe) ont abandonné les larges perruques poudrées du XVIIIème siècle pour revenir à leurs cheveux naturels. Mais comme la religion est toujours très influente (les Puritains prônent plus que jamais un retour à la sobriété, la modestie et l’humilité du corps, pour mieux élever l’âme), il serait impensable de montrer ses vrais cheveux détachés. Ce serait bien trop indécent !
C’est pourquoi, les coiffures de l’époque Régence ressemblent furieusement à celles des statues gréco-romaines, à base de chignons et de bouclettes savamment agencées.
J’ai décris ça dans la partie 2/2 de cet article, ici !
En conclusion
Tout ça pour dire que pendant la Régence (et le reste du XIXème siècle), les femmes portent leurs cheveux attachés et se couvrent pudiquement la tête d’un chapeau lorsqu’elles sortent à l’extérieur.
Les avoir longs dans le dos, comme c’est le cas d’Elizabeth dans le Orgueil et préjugés de 2005, et se présenter ainsi, nue-tête, à Netherfield, est donc une invraisemblance totale.
J’adore ce film, mais cette scène-là m’a vraiment fait rouler de gros yeux… 😉
SOURCES :
La chevelure féminine, tout un symbole
Symbolique du cheveux
Wikipédia - La valeur symbolique des cheveux
Wikipédia - Cheveux longs
Wikipédia - Néo-classissisme
Le cheveu au XVIIIème siècle
Le cheveu au XIXème siècle