Boîte allumettes ancienne, vintage
Époque georgienne

Hé, t’as pas du feu ?

Dans l’article sur les bougies et les chandelles, ici, j’ai détaillé les modes d’éclairage couramment utilisés au tout début du XIXème. Mais il y a un détail important dont je n’ai pas encore parlé.

_ Et comment ils les allumaient, leurs bougies ?
_ Beeeeen… avec des allumettes, pardi !

Beeeeen… non, pas du tout.

Les allumettes n’existaient pas avant 1844. Et les briquets modernes (au gaz ou à l’essence), pas avant 1903.

Quand on réalise ça, il y a de quoi se demander comment ils faisaient, en effet ! Alors on va faire un petit détour par une célèbre comptine pour enfants, et je vous explique tout ça… 😉


Au clair de la lune, mon ami Pierrot

Il existe plusieurs histoires traditionnelles racontant la situation problématique d’un personnage n’ayant plus de feu chez lui, autrement dit rien pour se chauffer, ni s’éclairer.

Je pense à un conte russe que j’adore, Vassilissa, où l’héroïne se fait engueuler par sa belle-mère après avoir laissé le feu s’éteindre complètement dans l’âtre, et est envoyée dans la forêt à titre de punition afin de demander du feu à la terrible sorcière Baba Yaga. Je pense aussi à La petite fille aux allumettes, morte de froid après avoir consumé ses allumettes qui, pendant un court instant, l’éclairaient autant qu’elles la réchauffaient et la réconfortaient.

Plus près de nous, vous connaissez sûrement celui qui cherche sa plume au clair de la lune, et qui demande de l’aide à son ami Pierrot.

Sauf que le texte s’est déformé avec le temps : en réalité, le personnage ne cherche pas une plume, mais une « lume », autrement dit de la lumière, car sa chandelle est morte (éteinte) et qu’il n’a plus de feu (donc, pas moyen de la rallumer).

Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot
Prête moi ta plume
Pour écrire un mot
Ma chandelle est morte
Je n’ai plus de feu
Ouvre-moi ta porte
Pour l’amour de Dieu !


Au clair de la lune
Pierrot répondit
Je n’ai pas de plume,
Je suis dans mon lit
Va chez la voisine
Je crois qu’elle y est
Car dans la cuisine
On bat le briquet.

Je ne peux que vous conseiller d’aller lire cette explication, aussi drôle qu’intéressante, à propos de cette fameuse « lume » et des lourds sous-entendus sexuels du texte, qui est complètement à double sens. Cette chanson, qui date du XVIIIème siècle, n’était à l’origine pas du tout destinée aux enfants…

(Ah, c’est pénible : je l’ai dans la tête et elle ne veut plus en sortir, maintenant ! 😉 )

Bref ! Tout ça pour dire que quand on est en pleine nuit et qu’on n’a plus de flamme chez soi, hé bien on est vraiment dans la mouise… Perdre son feu pour de bon, c’est loin d’être anodin : c’est s’exposer aux ténèbres et au froid, autrement dit risquer la mort.

Alors, le feu, on en prend soin !


Plusieurs moyens de faire du feu

Transférer la flamme

Au XIXème – et avant -, le meilleur moyen d’allumer une chandelle (voyez ici…), un cigare, un wax jack (ici…) ou même un four de cuisine (ici…), c’est encore d’avoir à portée de main un feu qui brûle déjà. Bah oui, c’est logique !

Dans ce cas, il n’y a qu’à prendre dans l’âtre un petit tison enflammé, et le tour est joué. Mais, plus élégant encore, on peut aussi conserver quelques brindilles faciles à allumer, et qui ne serviront que le temps de transférer la flamme d’un endroit à un autre.

Les Anglais avaient un nom pour ça : spills.

Les "spills" sont des copeaux de bois qu'on utilisait comme de longues allumettes pour transférer une flamme d'un endroit à un autre (ex : d'un feu à une bougie)

DES COPEAUX, DES COPEAUX… Un spill (du verbe spill, qui signifie « se répandre »), c’est un copeau tout léger, qui s’enroule sur lui-même lorsque le menuisier rabote son bois.

Ça ressemble à un petit bâtonnet, c’est creux à l’intérieur et ça s’enflamme comme un rien. Bien plus efficace qu’une vraie brindille, qui, elle, s’éteint facilement si le feu n’y a pas assez bien pris.

Par extension, on s’est aussi mis à fabriquer des spills à partir de papier enroulé ou de fines languettes de carton. On en gardait une petite quantité à portée de main, dans un pot ou un vase posé sur le manteau de la cheminée, ou alors fixé au mur. Les beaux messieurs pouvaient ainsi allumer leurs cigares proprement, en enflammant le temps d’une seconde un petit spill.

Un spill vase est – sans surprise – un vase ou un récipient exclusivement destiné à contenir une poignée de spills (sur cette photo, ils sont en papier). Certains vases étaient particulièrement ornés, ou alors sous forme de petites figurines décoratives, car on les mettait sur la cheminée, au vu de tout le monde : il fallait donc qu’ils soient aussi pratiques qu’esthétiques.
Dans cette version beaucoup plus modeste, les spills sont placés dans un petit contenant en fer-blanc, fixé au mur.

Battre le briquet

Briquet en acier qu'on frappe sur une pierre de silex afin d'enflammer une petite quantité de fibres et produire une flamme. C'est ce qu'on appelle "battre le briquet"
Briquet en acier, avec pierre de silex et petite quantité de fibres à enflammer, le tout rangé dans une pochette en cuir. Avec ça, on devrait pouvoir se débrouiller…

Si on a été négligent comme l’ami de Pierrot, qu’on n’a plus de feu et pas de voisin/voisine pour nous en donner, il ne reste qu’à en refaire soi-même. Le moyen le plus commun ? Un briquet à silex.

Ça consiste à frapper un briquet (une pièce d’acier très riche en carbone) contre une pierre dure comme un silex, afin que le carbone, au moment du choc, fasse des étincelles. En présentant une matière sèche et inflammable (fibre d’étoupe, d’amadou ou de coton…), elle va brûler au contact des étincelles et générer une petite braise, puis une flamme.

C’est ça qu’on appelle battre le briquet (et c’est vrai qu’on lui tape bien dessus, le pauvre !). On appelle aussi ça une pierre à fusil, car il s’agit d’un système d’allumage similaire à celui d’un fusil créant une étincelle pour mettre le feu à la poudre contenue dans le canon.

La fille ci-dessus frappe son briquet sur un silex, contre lequel elle presse une petite boule de fibres traitées au salpêtre (qui est inflammable). Les fibres finissent ainsi par prendre feu.

ENCORE UN PETIT COURS D’ÉTYMOLOGIE : contrairement à ce qu’on pourrait penser, le mot briquet ne vient pas de brique, mais plutôt de l’arabe bàriq, qui signifie « étincelant, qui lance des éclairs ».

Nope, moi non plus je n’aurais pas deviné tout seule ! 😉

Les allumettes de sûreté

Ah ! On y vient enfin, à nos allumettes !

Comme je le disais en intro, au début du XIXème siècle, les allumettes telles que nous les connaissons n’existent pas encore.

En fait, on essaye depuis longtemps d’utiliser des bâtonnets de bois dont une extrémité serait enduite d’un mélange inflammable et qui pourraient s’allumer par friction, mais jusqu’ici ça n’a pas été une grande réussite… Comment composer ce fameux mélange ?

C’est une question de chimie. Ça tombe bien, elle va faire des progrès énormes tout au long du XIXème (voyez par exemple ici, quand je parlais des premiers colorants artificiels). Et dans leur quête d’une façon pratique d’obtenir une flamme, les chimistes arrivent à plusieurs solutions :

  • les allumettes qu’il faut tremper dans l’acide sulfurique (également appelé vitriol, autrement dit : gare aux éclaboussures !)
  • celles qui génèrent d’importantes étincelles (mettre le feu au tapis n’est peut-être pas une bonne idée…)
  • celles qui vous explosent à la figure au moment de les allumer pour cause de mauvais dosages (oups !)
  • celles qui s’enflamment quand on les frotte sur n’importe quelle surface rugueuse (y compris si elles se frottent entre elles, par accident… re-oups !)

En réalité, il faut attendre 1844 et l’inventeur suédois Gustav Erik Pasch pour obtenir enfin les allumettes modernes, que l’on appelle « allumettes suédoises » ou encore « allumettes de sûreté ». Celles-là, au moins, sont stables et efficaces, et on peut les utiliser sans risque !

LA SÉCURITÉ AVANT TOUT : ce qui garantit que ces allumettes ne s’enflammeront pas par accident, c’est l’indispensable grattoir (la surface brune, sur la boîte).

Les produits chimiques sont ainsi bien séparés (les uns sur la tête de l’allumette, les autres sur le grattoir), alors sans un grattage volontaire des deux ensemble, il n’y a aucun risque que le feu prenne tout seul.


En conclusion

Faire du feu, à l’époque de Jane Austen, c’était décidément un poil plus compliqué qu’il n’y paraît…

Ceci dit, nos ancêtres ne sont pas stupides non plus : même si nous avons aujourd’hui le confort inouï de n’avoir qu’à appuyer sur un bouton pour obtenir de la lumière ou du feu, eux avaient tout un tas d’astuces pour contourner les difficultés pratico-pratiques qu’ils rencontraient. Et puis, quand on n’a jamais rien connu d’autre comme mode de vie, utiliser un spill ou battre le briquet n’est ni plus ni moins qu’un geste du quotidien qui n’a rien d’extraordinaire.

L’arrivée des allumettes de sûreté va quand même grandement leur simplifier la vie, et comme les gens du XIXème adoooooorent fabriquer de ravissants objets à usage unique, je vais juste conclure en vous laissant sur cette somptueuse… boîte d’allumette.

Avec nos vulgaires petits étuis en carton, on peut aller se rhabiller… 😉

Boîte d'allumettes du XIXème siècle, en argent émaillé (Froment-Meurice, Paris, vers 1848)
Boîte verticale « porte-allumettes » en argent émaillé (Froment-Meurice, Paris, vers 1848)
SOURCES :
Wikipédia - "Au clair de la lune"
Regency: how to light candles
Spills: let there be light
Wikipédia - Allumette
Wikipédia - Briquet
Wiktionary - Briquet (étymologie)
Wikipedia - Spill vase
Pinterest - Regency era spill vases
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