La petite vie ordinaire selon Jane Austen
À une époque où les romans pour dames se composaient surtout de brigands qui enlèvent des jeunes filles et de fiers héros combattant farouchement pour les sauver, Jane Austen a été l’une des premières à écrire des histoires qui ne racontaient rien d’autre que la vie quotidienne.
Dans ses romans à elle, pas de rocambolesque, pas de bouleversement dramatique, pas de suspense insoutenable, pas de poésie : écrivain réaliste dans un monde de fictions romanesques, elle a tracé un chemin à contre-courant de son époque.
Des amours plutôt tranquilles
C’est ce que j’aime dans son oeuvre : ce côté petite vie pépère de gentry de campagne, où l’évènement le plus grave qui puisse arriver, c’est une greluche de 15 ans qui se sauve avec un bellâtre (c’est vrai qu’à l’époque georgienne ce genre de situation avait vraiment des conséquences graves, mais enfin on est loin de la demoiselle en détresse retenue prisonnière dans une grotte lugubre par un maraudeur ténébreux !).
Pour cette raison, j’ai copieusement détesté la scène finale du Pride and prejudice de 2005 (oui, oui, celui-là même qui est devenu mon adaptation favorite de l’oeuvre, pour les raisons que j’ai expliquées ici).
Cette rencontre inopinée d’Elizabeth en chemise de nuit et de Darcy en version débraillée dans la brume du petit matin reprenait tous les codes classiques d’une scène romantique, et ça sonnait faux avec le reste du film qui insistait justement sur le côté terre-à-terre de l’époque. Heureusement que Joe Wright a évité le coup du baiser langoureux dans le rayon de soleil, car le rayon de soleil à lui tout seul était déjà limite…
BON, OK… Aujourd’hui, je ne la déteste plus autant, cette scène. Elle est vraiment belle esthétiquement parlant, pleine de tendresse, et Darcy est très touchant dans ses aveux. Mais selon moi ça reste quand même tout à fait à côté de la plaque.
La très raisonnable demande en mariage de Darcy
En comparaison, nous avons la scène originale du roman dans ce qu’elle a de plus frustrant, à savoir : il ne se passe vraiment pas grand chose !
Ça commençait bien, pourtant, avec l’une des célèbres répliques de Darcy :
_ Vous êtes trop généreuse pour vous jouer de mes sentiments. Si les vôtres sont les mêmes qu’au printemps dernier, dites-le moi tout de suite. Les miens n’ont pas varié, non plus que le rêve que j’avais formé alors. Mais un mot de vous suffira pour m’imposer silence à jamais
(ça sonne mieux en anglais)
On crève d’impatience de savoir la suite : enfin ils vont s’expliquer, se parler à coeur ouvert, ça va être beau, émouvant et grandiloquent !
Mais non. À la place, on a droit à un très sage :
Désireuse de mettre un terme à son anxiété, Elizabeth retrouva enfin assez d’empire sur elle-même pour lui répondre, et sans tarder, bien qu’en phrases entrecoupées, elle lui fit entendre que depuis l’époque à laquelle il faisait allusion, ses sentiments avaient subi un changement assez profond pour qu’elle pût accueillir maintenant avec joie le nouvel aveu des siens.
Cette réponse causa à Darcy un bonheur tel que sans doute il n’en avait point encore éprouvé un semblable, et il l’exprima en des termes où l’on sentait toute l’ardeur et la tendresse d’un coeur passionnément épris.
« … et il l’exprima en des termes où l’on sentait toute l’ardeur et la tendresse d’un coeur passionnément épris. » Arrange-toi avec ça, car tu ne sauras jamais ce qu’ils se sont vraiment dit ! 😉 Rhâââââ ! C’est à la fois le bonheur et la frustration totale pour le lecteur !
Surtout pas trop d’emportement !
Avec tout ça, si tu espérais un baiser fougueux et passionné, tu peux aller te brosser. On n’est pas dans Autant en emporte le vent, ici ! On est dans Orgueil et préjugés, alors quand on exprime le fol amour qu’on ressent pour l’autre, c’est en marchant paisiblement le long d’un chemin, sans se toucher, sans se tenir la main, sans même se regarder avec des yeux larmoyant de bonheur, mais juste avec « une expression de joie profonde qui embellit [le] visage ».
Bon, bon, bon, je me plains encore, mais je sais bien qu’à l’époque de Jane Austen, les romans (même romanesques) restaient extrêmement pudiques, elle ne pouvait pas trop s’avancer dans ses descriptions des transports amoureux. Il faudra attendre l’arrivée du scandaleux Les hauts de Hurlevent en 1847 pour avoir un peu plus de tension amoureuse et sexuelle entre deux protagonistes (j’en parle ici, d’ailleurs).
N’empêche, le manque de dialogues reste une grande frustration dans ces romans d’époque. Peut-être que nous sommes trop influencés par les films et les série télé, qui s’articulent autour des répliques croustillantes des personnages. Je sais que quand j’écris mes propres romans j’ai un plaisir fou à décrire visuellement des scènes et à y mettre beaucoup de dialogues, comme si j’assistais à travers la lecture à une scène de film, mais en tant que lectrice je ne retrouve pas toujours le même plaisir !
En conclusion
C’est assez fou de réaliser le succès rencontré par l’oeuvre de Jane Austen (essentiellement après sa mort, la pauvre ne mesurera donc jamais l’influence qu’elle a eue), alors que ses romans racontent des histoires, sommes toutes, assez plan-plan. Son talent se trouve ailleurs, dans sa façon de dépeindre ses personnage et la société de son époque, avec ses sous-entendus et son humour, teinté d’une réserve toute britannique.
Dans le même ordre d’idée, si vous vous attendez à trouver dans La renaissance de Pemberley de grands ressorts dramatiques, des cliffhangers, des bouleversements et des retournements de situation pas possibles, vous serez sans doute déçus, car j’ai poursuivi l’histoire dans la lignée de la petite vie ordinaire que Jane Austen décrivait.
Et mon roman se termine comme il commence : par de simples scènes du quotidien.