Gonfler ou bien écrémer son histoire ?
En écrivant La renaissance de Pemberley, j’ai découvert un très grand plaisir : celui de couper dans le gras.
Quand on produit une histoire, la façon la plus logique et efficace de procéder c’est d’aller du plus grossier vers le plus détaillé. On établit d’abord la structure globale (qui sont les personnages, quelle est l’intrigue, quelles sont les étapes cruciales, comment ça va se terminer…) puis on rentre dans le vif du sujet et on écrit les scènes dans le détail.
Avoir une structure, c’est avoir une colonne vertébrale et des points de repères : on sait à peu près où on s’en va avec ça.
Mais ça signifie aussi qu’au moment de l’écriture détaillée, un élément de notre structure pourrait se révéler bien plus maigrichon que ce qu’on avait imaginé. Or, si on a établi un certain rythme et qu’on veut le conserver, on ne peut peut-être pas se permettre d’avoir au milieu une scène trop courte qui va déséquilibrer le tout. Il va falloir se résoudre à étoffer un peu. Faire prendre des stéroïdes à notre récit, en quelque sorte !
Gonfler artificiellement son histoire
Quand j’écrivais mes fanfictions, j’ai vite constaté qu’avoir une structure pré-établie solide était une condition sine qua none pour achever une histoire. Le cas de La renaissance de Pemberley (version fanfiction d’il y a 10 ans) est parlant. J’avais une idée approximative de ce que je voulais raconter, mais je me suis lancée dans l’écriture sans prendre la peine de préciser tout ça. Résultat : à l’époque, après seulement quelques mois, le récit s’est essoufflé et je l’ai finalement abandonné. Des fanfictions inachevées par manque de structure préliminaire, j’en ai d’autres dans mes tiroirs, mais j’ai appris la leçon au passage.
Lorsque l’occasion d’écrire La cantatrice s’est présentée, j’avais déjà bien compris qu’il fallait faire ce travail un peu plus sérieusement. Il se trouve que j’ai écrit ce roman non pas de ma propre initiative, mais à la demande de mon éditeur qui me proposait un contrat. Contrat que j’ai signé avant de commencer à écrire, et dans lequel je m’engageais à livre un roman d’un certain nombre de mots et qui respecterait le plan de travail que j’avais proposé (c’est à dire une description sommaire de ce qui allait se dérouler chapitre par chapitre). Je n’étais pas tenue de tout respecter absolument à la lettre, il y avait quand même une certaine souplesse, mais mon éditeur voulait avoir une bonne idée de ce que mon roman allait contenir. Ma colonne vertébrale était là.
Toute guillerette, j’ai écris une bonne grosse partie du roman sans me poser de question. Puis sont arrivés les premiers écueils : mes chapitres étaient tous de taille à peu près égale, et je tenais à poursuivre de la même manière, or mon histoire, par moments, ne me portait plus assez. Alors j’ai grossi artificiellement certains passages. Ce n’était pas indispensable pour raconter la vie d’Emma Albani, par contre c’était nécessaire pour conserver le rythme et aussi m’assurer qu’à la fin le roman ferait à peu près le nombre de mots convenu.
Pour étoffer, je ne me suis pas contentée de mettre des adverbes de cinq syllabes partout (ça, je le fais déjà naturellement, c’est un tic d’écriture que j’ai depuis longtemps !) ni d’utiliser des formules plus ampoulées juste pour rajouter des mots. Le but n’est pas non plus que mes lecteurs s’ennuient avec des passages sans intérêt et des phrases interminables. J’ai plutôt cherché des anecdotes, je me suis attardée sur des personnages secondaires et sur des détails qui, si ils n’étaient pas utiles au déroulement de mon récit, permettaient au moins de mieux décrire le contexte. Et petit à petit, j’ai produis les pages supplémentaires qui m’ont fait atteindre mon objectif sans me sentir trop comme une imposteure. 😉 (oui, ce mot est moche, mais impostrice est pire !)
D’ailleurs, j’ai recommencé la même chose avec Les filles de joie quelques années plus tard. Comme quoi, l’angoisse de la page blanche, c’est pas juste de ne pas savoir quoi écrire, c’est aussi de ne pas savoir si on va écrire suffisamment !
Écrémer, écrémer, écrémer…
Dans La renaissance de Pemberley (version roman d’aujourd’hui), c’était tout l’inverse. Il faut croire que ça a porté ses fruits de ruminer ce projet pendant 10 ans, parce que du jour où j’ai commencé à écrire, je n’ai pas décollé pendant des mois. Les premières semaines, j’écrivais même parfois jusqu’à 11 heures par jour non-stop ! Une vraie furie ! J’avais tellement de choses à raconter que ça sortait tout seul.
Alors, quand sont arrivées les premières relectures, j’ai réalisé que je n’avais aucun besoin d’étoffer : au contraire, je pouvais couper joyeusement dans tout un tas de choses !
J’ai vraiment pris cette habitude de faire des chapitres de taille équivalente les uns aux autres. Ça me permet notamment de mieux visualiser mon histoire à venir, ça me donne des repères pour savoir quand je devrai prévoir des effets/révélation/retournements de situation qui vont tomber pile poil à la fin d’un chapitre, pour tenir mon lecteur en haleine.
Mais là, j’avais tellement écrit comme une folle que j’avais du stock à ne plus savoir qu’en faire ! Il y a eu plusieurs paragraphes, parfois des scènes entières, que je retournais, je réécrivais, je relisais, je retravaillais encore et je n’étais toujours pas satisfaite, et finalement je me disais : « Rhââââ, c’est lourd, ça sert pas à grand chose… Allez hop ! Poubelle ! ». J’ai parfois jeté plusieurs précieuses pages d’un seul coup, et sans le moindre remords, et croyez-moi c’était tout un exploit ! 😉
L’autre objectif rigolo, c’est qu’au lieu de me donner un nombre de mots à atteindre pour faire un livre de bonne taille, j’ai au contraire réalisé qu’il valait mieux pour moi ne pas écrire un bouquin trop gros parce que ça allait coûter trop cher en frais d’imprimerie !
Hé oui ! C’est ça aussi, l’autoédition ! Alors, j’avais encore moins de scrupules à écumer et c’était super satisfaisant !
En conclusion
Et au final, même après un généreux dégraissage, mon roman contient toujours un bon 147.000 mots, ce qui est nettement plus qu’un tome de La cantatrice ou un tome des Filles de joie.
Mine de rien, il y a de l’expérience qui rentre ! 🙂