Mais pourquoi donc des perruques blanches ???
Avant d’attaquer les coiffures néoclassiques des hommes (ici), j’aimerais revenir un instant sur les perruques en vogue à la fin du XVIIIème, car il y a un truc qui me turlupine depuis bien longtemps…
Tout est dans le titre :
Mais pourquoi donc des perruques blanches ???
Le principe de porter une perruque, ça, je comprends. C’est cette couleur blanche, absolument pas naturelle sur des personnes jeunes, qui m’interroge. Alors j’ai fouillé… 🙂
Petite histoire de la perruque
Quelques faits (vite fait)
Il y a tout un tas de sites spécialisés qui vous expliqueront en long, en large et en travers d’où viennent les perruques, qui les portaient, comment, quand, etc.
Pour vous faire un gros résumé, voici quelques infos en vrac :
- on porte des perruques depuis l’Antiquité. Abandonnées pendant le Moyen-Âge, elles reviennent à partir de la Renaissance et, surtout, du XVIIème siècle
- on en porte pour deux raisons principales :
- masquer une calvitie, complète ou partielle, parce qu’à cause de leur charge symbolique (dont j’ai parlé ici), perdre ses cheveux c’est la loose…
- se débarrasser des poux en coupant ou rasant ses vrais cheveux, pour ne porter que des perruques. Pratique !
- les premières perruques de l’ère moderne sont composées de cheveux artificiels cousus sur une peau de mouton en forme de calotte, doublée de tissu. Ce n’est qu’à partir de 1660 qu’on parviendra à tresser de vrais cheveux humains sur des petites bandelettes, qui sont ensuite cousues sur une coiffe en tulle
- on utilise surtout des cheveux de femmes, réputés moins cassants que ceux des hommes. Mais, pour diminuer les coûts, on utilise également… du crin de cheval ! 😉
- les perruques sont pommadées, c’est à dire enduit d’une substance grasse et collante, à laquelle on mélange une poudre incolore, pour former une pâte qui fait tenir les boucles. Plus tard, la poudre incolore sera remplacée par de la blanche
- les perruques ne sont pas toujours des coiffes entières : parfois ce sont des perruques « à fenêtres » (des trous qui laissent passer les mèches de vrais cheveux de la personne qui la porte), ou alors simplement des postiches qu’on accroche ici et là dans la chevelure pour l’étoffer
- au début, ce sont essentiellement les nobles qui en portent, entre autres parce qu’ils sont les seuls à avoir moyens de s’en acheter… Une perruque coûte excessivement cher, au point qu’elle devient un objet de convoitise et qu’on peut se la faire voler à l’arrachée dans la rue !
PERTE DE CHEVEUX PRÉCOCE : Il y a plusieurs raisons qui pourraient expliquer que des hommes (et des femmes) perdent leurs cheveux plus tôt qu’ils ne devraient.
D’abord, il y a la génétique (on a tous un mari, un collègue, un papa ou un oncle qui cale à même pas 30 ans) (oui, au Québec, « caler » ça veut dire avoir la tête qui se dégarnit 😉 ). Ensuite, ça peut être dû à une intoxication lente à tout un tas de produits toxiques dans la nourriture, les cosmétiques, etc. Mais il y avait aussi – et on ne s’en vantait pas – la syphilis ! Un vilain petit secret dont on aimerait bien qu’il ne se voie pas à l’extérieur, ça c’est sûr ! (et pour tout savoir sur cette maladie, voyez ici)
En Angleterre et en France
En Angleterre, avant 1600, Elizabeth Ière porte des perruques rousses coiffées à la romaine. Contrairement à la croyance populaire, elle n’était pas complètement chauve, par contre ses cheveux n’étaient probablement pas assez beaux ou fournis.
À ce moment-là, porter ce genre d’artifice est encore anecdotique, et c’est une coquetterie qui va disparaître avec elle. La perruque ? Un truc de femmes, voyons !
Sauf si on est un homme, qu’on commence à se dégarnir sérieusement alors qu’on n’a pas 30 ans, et qu’en plus on est roi…
En France, c’est Louis XIII qui fut le premier à se couvrir d’une perruque, dès 1620, pour résoudre un gros problème de calvitie. Et puisqu’il donne l’exemple, les autres hommes de la noblesse se sentent de plus en plus décomplexés et se mettent à en porter à leur tour. Son fils, Louis XIV, fera de même, car il perd une partie de ses cheveux dès l’âge de 20 ans, à la suite d’une maladie. Sauf que lui fait tout plus grand, plus gros, plus tape-à-l’oeil que les autres, alors sous son règne ce sera le début des énormes perruques brunes de l’époque baroque.
En quelques dizaines d’années, c’est toute une mode qui évolue : désormais, on ne porte plus la perruque pour cacher une calvitie, mais bien pour montrer son appartenance à la classe sociale supérieure. Tout noble ou haut personnage DOIT en avoir, c’est devenu incontournable !
Ce que j’aime bien, dans tout ça, c’est que c’est nous autres, les Français, qui avons refilé ces horribles cascades de bouclettes à tout le monde en Europe (dire qu’ils trouvaient ça élégant et viril…). C’était l’époque où les splendeurs de Versailles et de la Cour de Louis XIV impressionnaient beaucoup les pays voisins, ce qui fait qu’ils se sont mis à imiter la mode française.
En Angleterre, la perruque refait donc son apparition vers 1650, durant le règne de Charles II. Je ne sais pas s’il perdait ses cheveux, lui aussi, mais rendu là ça n’a plus aucune importance !
PENDANT CE TEMPS-LÀ, LES FEMMES… ne portent pas de perruques. Des postiches, ici et là, pour agrémenter une coiffure, oui, mais pas de perruques entières comme le faisait Elizabeth Ière.
L’arrivée des perruques blanches et poudrées
Depuis les années 1620, l’usage des perruques par les grands de ce monde est ininterrompu. Par contre leur taille et leur style évolue. Et heureusement, vu qu’une grosse perruque à la Louis XIV pesait un certain poids et devait faire transpirer comme un boeuf ! En hiver, c’est bien, ça garde au chaud, mais imaginez en été ! Sans compter toutes les gratouilles et les démangeaisons, là-dessous…
Dans les années 1730-1740, c’est toujours la France qui donne le ton de la mode européenne, et il se trouve que la mode change : les perruques raccourcies, allégées et complètement blanches font leur apparition. En France, ça correspond au règne de Louis XV, et en Angleterre ça arrive un peu après, sous le règne de George III.
Elles sont toujours soigneusement pommadées et bouclées, puis poudrées de blanc, ce qui permet de changer leur couleur (bah oui, c’est tout bête, mais à cette époque on ne sait pas encore décolorer ni colorer directement les cheveux, alors on les couvre de poudre…).
Comme le style de coiffure recherché a enfin repris des proportions plus raisonnables et réalistes, on peut aussi choisir de ne pas utiliser de perruque, mais de coiffer directement les cheveux de Monsieur, pour ensuite les enfariner de blanc.
Car, cette poudre, c’est tout simplement de la farine ! Ou alors, encore mieux, de la fécule de pomme de terre, qui est plus fine et légère.
Le détail pas très classe, c’est que la farine vaporisée ne collait pas toujours très bien sur la pommade et finissait par tomber sur les épaules… 😉 Et on se plaint de nos pellicules !
Le choix de la couleur
Bon, c’est bien beau, tout ça, mais ça ne nous dit toujours pas pourquoi les perruques de la fin du XVIIIème sont blanches ! Pourquoi cette couleur saugrenue ?
Au départ, les perruques correspondent à la teinte naturelle des cheveux de la personne. Comme vous l’avez vu plus haut, celles d’Elizabeth Ière étaient rousses. Celles de Louis XIII, noires. Louis XIV et James II, brunes. Charles Ier, châtain clair… On en faisait aussi des grises ou des blanches, lorsque c’était approprié pour refléter un âge avancé.
Dans ce cas, est-ce qu’on a voulu faire des perruques blanches pour singer la vieillesse avant l’heure ? Pour faire l’éloge de la sagesse que l’âge est supposé apporter ? Ou, au contraire, pour noyer dans la masse les vrais cheveux blancs, quand ils commencent à apparaître ?
C’est ça, le genre de questions qui me turlupine. Le hic, c’est que j’ai cherché longtemps sans trouver de réponse vraiment très claire. Ce qu’on dit généralement, c’est : « La mode a évolué », « C’était la mode de porter des perruques blanches ».
Je ne sais pas vous, mais moi ça ne me satisfait pas du tout !
Je maintiens mon point : ce n’est vraiment pas anodin de porter des cheveux blancs, surtout à une époque où on s’emplâtre le visage avec du blanc de Céruse pour estomper les rides, et où on fait porter des perruques blanches même à des enfants (on a tous en tête une image du petit Mozart, tout gamin et tout endimanché avec sa perruque).
Le cheveu blanc n’est donc clairement pas une référence à la vieillesse.
Alors, quoi ? Ça ne peut pas être juste pour faire joli ! Pourquoi, soudain, absolument TOUT le monde (dans les classes sociales supérieures) a voulu passer au blanc ?
PENDANT CE TEMPS-LÀ, LES FEMMES… ne portent toujours pas de perruques.
En revanche, elles aussi poudrent leurs cheveux, non pas en blanc pur, mais plutôt en gris, voire un gris tirant sur le bleu ou le mauve. Et elles usent abondamment de postiches et de stratagèmes pour se créer des coiffures très volumineuses.
La symbolique du blanc
La meilleure réponse à mes questions, c’est Secrets d’Histoire qui me l’a apportée, dans cet épisode sur l’hygiène à Versailles.
J’avais déjà expliqué ici à quel point c’est compliqué de porter quotidiennement des vêtements blancs, car c’est un enfer à nettoyer. La moindre tache, beeeen… ça fait tache, justement !
Or, dans la culture occidentale, qui est bâtie sur la religion chrétienne, le blanc est le symbole de la pureté, de l’excellence, de ce qui est propre, beau, parfait, admirable, désirable, etc. Tout comme les corsets qui forcent à se tenir droite (et qui représentent la droiture morale des femmes, voyez ici), la blancheur de l’apparence extérieure est un moyen de représenter la blancheur de l’âme intérieure.
Je rappelle que les membres de la noblesse sont globalement convaincus d’appartenir à une sorte de race supérieure, le summum de l’humain civilisé, la crème de la société qui s’élève loin au-dessus du vulgaire petit peuple (j’en avais parlé ici, à propos de la Lady Catherine de Jane Austen). Pour eux, avoir l’air le plus blanc possible, c’est donc montrer à quel point son âme est noble, pure, sans tache.
Cette recherche de la blancheur s’applique dans le linge de corps (les sous-vêtements, vus comme une seconde peau), dans les tenues d’apparat (je vous renvoie de nouveau ici, à propos des robes de mariées), dans le teint qu’on maquille au blanc de Céruse, et maintenant… ben… ça s’applique aussi aux cheveux !
Avoir une tête blanche, c’est le signe qu’on appartient à cette race d’humains supposés être supérieurs et moralement irréprochables, propres et purs en dehors comme en dedans.
Mouais, enfin… C’est aussi surtout un moyen de montrer à tous qu’on est bien né, qu’on est riche et qu’on fait partie du haut du panier…
C’est ni plus ni moins que du bling-bling ! 😉
En conclusion
Par extension, la perruque blanche comme symbole de pureté a été adoptée par plusieurs corps de métiers : juges, avocats, notaires, hommes d’église, officiers militaires, tous des notables tenus de faire preuve d’une droiture morale irréprochable. Comme symbole de richesse et d’appartenance sociale, elle a aussi été copiée par tous ceux essayant de se prétendre un peu plus riches ou un peu mieux nés qu’ils ne l’étaient réellement, comme les bourgeois ou la gentry.
Mais ce que nos chères têtes blanches n’avaient pas prévu, c’est que la Révolution française allait leur rentrer dedans bien comme il faut…
En ce temps-là, sortir de chez soi avec une perruque de noble sur la tête revenait à crier partout : « Youhouuuuu ! Je suis làààà ! Coupez-moi la tête ! Coupez-moi la tête ! ». Autant vous dire que les nobles français se sont grouillés de faire disparaître leurs perruques pour essayer de passer inaperçu et sauver leur peau ! Ce qui n’a d’ailleurs pas fonctionné pour bon nombre d’entre eux, comme on sait…
En Angleterre et dans les autres pays anglo-saxons (États-Unis, Canada, Australie…), qui n’ont pas vécu cette révolution populaire, les cheveux poudrés et la perruque blanche ont perduré un peu plus longtemps, mais pas tant que ça : ils avaient à peu près disparu en 1800 (j’explique pourquoi ici), remplacés par le retour au naturel du néoclassissime.
Les magistrats anglais, en revanche, ont conservé cette tradition. Encore aujourd’hui, ils sont toujours tenus d’en porter une lors des procès, et régulièrement on voit ressurgir le débat entre ceux qui voudraient bien se débarrasser de cet accessoire inutile (et toujours très cher !) et ceux qui s’accrochent tant qu’ils peuvent à la tradition et au symbole.
Je me demande pendant combien de temps encore ils vont résister !
SOURCES :
Wikipedia - Wig histor (16th to 19th century)
YouTube - Georgian makeup tutorial
D'où vient la mode de porter des perruques blanches au XVIIIème
Les perruquiers du roi
Quand les Bourbons portaient perruque
Why did people wear powdered wigs?
Perukes, Pomade, and Powder: Hair Care in the 1700s
Hair powder and pomatum