Le mariage en robe blanche
Dans la très grande majorité des films sur cette époque, les héroïnes se marient dans de belles robes blanches. C’est le genre de détail qui m’agace, car c’est complètement faux.
Je vais faire un petit détour pour vous raconter ça. Mais d’abord, parlons lessive.
Le lavage du linge
On ne se rend pas bien compte, à notre époque moderne, à quel point le lavage du linge était une énorme corvée du temps de Jane Austen (et avant et après aussi, d’ailleurs, jusqu’à ce qu’un bienheureux invente la machine à laver).
On réservait généralement une journée par semaine ou par quinzaine, qu’on dédiait exclusivement à cette activité. Il fallait faire chauffer beaucoup d’eau dans de grands bacs, frotter, brosser, savonner, faire tremper ou bouillir les vêtements qui en avaient besoin, rincer, essorer, étendre, le tout à la main, beau temps, mauvais temps. Ajoutons à cela les draps, nappes, serviettes, etc. En plein hiver, ça devait être une galère de faire sécher tout ça à l’intérieur sans que les tissus ne prennent trop d’odeurs d’humidité, et l’été on n’était jamais à l’abri d’une averse qui vous détrempe votre linge étendu sur le fil (je vous rappelle qu’on est en Angleterre 😉 ). Ensuite, il fallait repasser, empeser… Bref : une vraie corvée !
Comme les vêtements coûtaient très cher, on voulait qu’ils durent longtemps, qu’ils soient pratiques à porter au quotidien… et pas trop difficiles à laver (sauf si on est d’une famille riche et qu’on peut se payer plusieurs blanchisseuses à domicile). La plupart des tissus étaient donc colorés, souvent aussi avec de petits motifs. Pratique ! Si on fait une tache, ça ne se verra pas trop et on pourra continuer de porter le vêtement sans problème en attendant le prochain jour de lessive. Cela dit, la mode était aux couleurs claires, notamment pour les jeunes filles, donc j’imagine qu’il y avait un entre-deux à trouver entre l’aspect pratique d’un vêtement et son esthétique.
Dans tous les cas, on attendait que les vêtements soient sales pour les laver, parce qu’on avait déjà bien assez d’ouvrage comme ça. On ne s’amusait pas à laver juste parce que ça a été porté une fois. Que les tissus soient épais (pantalons, redingotes des hommes) ou délicats (robes élégantes en soieries, avec possiblement des broderies, des dentelles…), tout ça demandait du boulot !
En revanche, le linge de corps (les chemises ou bas dans lesquels on transpirait) était plus facile à laver, car ce n’étaient que de petites pièces, la plupart du temps en coton ou en lin, donc plutôt résistantes. Pas besoin d’attendre le jour de lessive pour laver vite fait une paire de bas ! Ce petit linge était généralement blanc ou écru, sans que ça pose de problème : de toute façon, même s’il y avait un accroc ou une vieille tache qui ne veut pas partir, ça ne se voyait pas puisqu’il s’agissait de « dessous ».
Une robe blanche pour les occasions spéciales
Pour les raisons pratiques que je viens de citer, on se payait rarement le luxe d’avoir des vêtements de tous les jours blancs. Le tissu pouvait jaunir, il était facile à tacher et demandait beaucoup d’entretien (aussitôt porté, aussitôt lavé).
C’est pourquoi cette couleur était plutôt réservée aux tenues « exceptionnelles ». Ce n’est pas un hasard si les scènes de bal montrent toujours des femmes habillées de blanc : ce n’est pas le thème de la soirée, c’est juste qu’elles se sont mises sur leur 31 et ont sorti leur plus belle et plus précieuse robe du soir.
Justement, le mariage, c’est une occasion très spéciale ! Non ?
Mmmm… Pas tant que ça, non.
Il faut savoir qu’à l’époque, les mariages avaient lieu le matin. On se retrouvait tôt à l’église, on se mariait, puis on prenait avec la famille et les amis un déjeuner de mariage (c’est-à-dire un repas à 10h du matin, voir ici). Certes, c’était un repas de fête, mais pas un festin super chic comme on pouvait servir lors des bals. De plus, c’était le matin, donc ce n’était pas le moment de porter sa belle robe du soir avec les bras nus et les gants. Car une femme, pendant la journée, ne découvre pas ses bras, encore moins pour se rendre à l’église ! Montrer ses bras, c’est un peu impudique, c’est donc réservé aux bals ou aux grands dîners, où on s’affiche plus que d’ordinaire.
Ça peut sembler paradoxal, mais un mariage n’était pas un évènement social aussi important qu’un grand bal privé du type de celui de Netherfield. Il n’y avait pas autant d’invités (famille et amis proches seulement), on n’y servait pas d’alcool, et le mariage se terminait dans l’après-midi pour permettre aux jeunes mariés d’entreprendre le trajet jusqu’à leur futur domicile avant la tombée de la nuit.
Alors, même si on disposait dans sa garde-robe d’une belle robe blanche de bal, son mariage n’était pas le bon moment pour la porter.
NOTE : Voyez cet article, ici, sur le déroulement d’un bal. J’y reparle de la couleur blanche et de sa symbolique, associée au luxe et pas du tout à la virginité.
Mais alors, les robes de mariage étaient de quelle couleur ?
N’importe laquelle. Une robe de mariage, c’était simplement la plus belle robe de jour qu’une jeune femme possédait. Elle pouvait prendre une de ses tenues les plus récentes et l’agrémenter avec des rubans, des dentelles, des broderies… On n’avait pas forcément l’habitude faire fabriquer une robe exprès pour le mariage (ça coûtait trop cher !), mais si c’était le cas il était certain qu’elle allait être réutilisée à de nombreuses reprises par la suite !
En réalité, au lieu d’une robe, les fiancées trouvaient plus important de se procurer des accessoires : des souliers de satin neufs (le must !), un joli bouquet, un nouveau chapeau… C’était plus abordable, plus facile à décorer, et on allait pouvoir les ressortir à tout un tas d’autres évènements.
ANECDOTE : je vous renvoie aussi vers l’article sur le mariage en chemise. Vous y découvrirez que dans certains cas particuliers on ne portait pas de robe de mariage. Je veux dire : on ne portait pas de robe du tout… Oui, oui, vous m’avez bien comprise ! À lire ici 😉
Arrive Victoria, 30 ans après Orgueil et préjugés…
En 1840, la reine Victoria choisit, pour son mariage, une robe de satin blanc et une couronne de fleurs. À l’époque, ce choix inhabituel a été beaucoup critiqué. On déplore cette drôle de couleur (la mode était aux tons de rouge, couleur de la joie et de l’amour) et l’absence d’une couronne de pierres précieuses sur la tête d’une reine.
Il est possible que cette décision ait été une référence à une tradition datant de l’époque romaine (rappelons depuis le début du XIXème, on adore tout ce qui relève de l’Antiquité), où les mariées portaient une robe blanche et une couronne de fleurs d’oranger. D’autres pensent que c’était pour mettre en valeur l’uniforme rouge du beau Albert, dont Victoria était déjà folle amoureuse, ou encore que c’était pour relancer l’industrie du satin à Londres.
Toujours est-il qu’après s’être terriblement offusqués, les artistocrates anglais se sont mis à imiter leur reine en se mariant, eux aussi, en blanc. Peu à peu, l’idée s’est propagée jusqu’aux couches sociales plus populaires. Victoria, en son temps, a été si influente qu’elle a lancé bon nombre de modes, qui sont devenues des traditions persistant jusqu’à nos jours.
Cela dit, cette mode ne s’est pas imposée du jour au lendemain, ça a été très progressif. Quand j’ai écrit sur Emma Albani, par exemple, j’ai appris qu’elle s’est mariée en 1878 dans une robe… rouge bordeaux.
En conclusion
Tout cela signifie qu’en dépit de ce que nous montrent les films et les séries, il n’y a aucune chance pour que Jane et Elizabeth Bennet se soient mariées en blanc.
Il n’est pas absolument impossible que ce soit le cas, c’est juste que ce n’est pas du tout logique avec leur statut de jeunes filles d’un milieu modeste, qui n’auraient sûrement pas les moyens de se payer du blanc, et le fait qu’à leur époque se marier en blanc n’était absolument pas une convention.
La raison pour laquelle ces films n’hésitent pas à faire une telle entorse au réalisme historique, c’est très probablement parce que le spectateur veut voir un mariage semblable à ce qu’il imagine. Si on lui montre un mariage sans robe blanche, il ne reconnaîtra pas les codes auxquels il est habitué et risque d’être frustré, de se dire que c’est un mariage bizarre ou mal réalisé. Or, il s’agit souvent de la scène finale, du happy end qui conclut l’histoire, alors mieux vaut que le spectateur termine, lui aussi, sur une note heureuse.
Je suis donc convaincue que lorsqu’on nous montre une mariée en blanc, dans des films sur cette époque, ce n’est pas une erreur historique, mais bien une décision artistique assumée pour donner au public ce qu’il demande.
Et je comprends tout à fait.
Mais ça m’agace quand même… 😉