L’évolution du corset au XIXème (et ce qu’en pensent les hommes)
Le corset est quasiment un fétiche du XIXème siècle, et il est lourd de sens. On le voit tantôt comme un instrument de torture, tantôt comme la quintessence de la féminité, comme un symbole de l’oppression des femmes par le patriarcat, à moins que ce ne soit pour elles une façon de s’émanciper en révélant leur féminité…
Quoiqu’on en pense, le corset laisse rarement indifférent. J’avais déjà parlé un peu des brassières – les stays – que les femmes portaient lors de la Régence (voyez ici), mais aujourd’hui on va plutôt s’attaquer à celui auquel on pense généralement, c’est à dire le corset victorien, plus précisément des 20 ou 30 dernières années du siècle : celui qui coupe le souffle, déplace les organes, brise les côtes, déforme le corps et fait tomber dans les pommes, celui dont toutes les actrices qui ont eu à en porter lors d’un film jurent que c’était la pire expérience de leur vie…
Tout ça, vraiment ? Mmm… Il me semble pourtant que les choses sont un poil plus nuancées que ça…
(préparez-vous, c’est un gros sujet, ça va être long ! 😉 )
Évolution du corset
Survol
Je ne suis pas couturière, ni costumière, ni une spécialiste du vêtement d’époque. Je vais donc laisser les détails techniques de côté (vous trouverez des tonnes de sites, de livres ou de blogs qui vous en parleront bien mieux), et on va simplement survoler l’évolution du corset à travers le XIXème pour comprendre comment la mode changeait – et les mentalités avec.
GÉNÉRALISATION : j’utilise ici le mot « corset » pour désigner de façon générale un sous-vêtement rigide féminin destiné à mouler le buste. Si on voulait être précis, il faudrait utiliser tout un tas d’autres termes qui désignent ce genre d’objet, en fonction des époques et des styles, et selon qu’il est porté sur ou sous les vêtements.
PSSSSST… Si, parmi vous, certains ou certaines s’y connaissent mieux, n’hésitez pas à me corriger si je dis des âneries, ou à apporter des compléments d’information dans les commentaires ! 😀
La taille de guêpe
Nous connaissons tous cette expression. Vers 1890-1900, cela désignait la recherche d’une taille excessivement fine, et quand on voit ce genre de photo on se dit qu’en effet les femmes étaient folles d’aller aussi loin dans le laçage de leurs corsets…
Et puis, on relativise quand on apprend qu’il s’agit le plus souvent de photos retouchées (et on se dit que nous n’avons décidément rien inventé, de nos jours, avec Photoshop…). Les photographes ajoutaient de l’encre, ce qui, sur un fond foncé, permettait de retravailler la silhouette.
Alors, oui, certaines femmes réalisaient bel et bien des laçages ultra serrés pour atteindre cette « taille de guêpe », mais cela relevait plutôt de l’exploit, c’était un effet sensationnaliste et ça ne représentait en aucun cas l’utilisation courante d’un corset.
LES REMBOURRAGES ET L’ILLUSION… Petit détail qui a son importance, cette perception d’une taille fine passe aussi par une simple illusion d’optique. On ne se contentait pas de serrer les corsets, on remplissait aussi le corsage et les hanches avec des coussinets de rembourrage afin de les faire paraître plus généreux. Par conséquent, la taille avait l’air plus fine, sans l’être réellement.
Le regard des hommes sur le corset
Les « anti-corset »
De façon générale, je vous recommande absolument les vidéos de Karolina Zebrowska, une YouTubeuse polonaise spécialisée en mode vintage et vêtement d’époque. Elle est drôle et passionnante ! 🙂
Dans sa vidéo sur le corset, elle apporte un point super intéressant qui explique pourquoi, dans la seconde moitié du XIXème siècle, on a vu des hommes dénoncer de plus en plus le port du corset, en apportant des preuves scientifiques de ses méfaits sur le corps. Selon eux, ça déplacerait les organes, déformerait le squelette, on risquerait de se couper le foie en deux (!), d’attraper la tuberculose ou le cancer (?)… Ces preuves – surtout des radiographies – ne démontraient en fait pas grand chose, mais ça a quand même donné naissance aux idées reçues que nous traînons encore aujourd’hui.
Ah, ces braves hommes ! Qui prennent la défense des femmes pour leur permettre de se défaire de cet instrument de torture qui les gêne, et d’être libres, enfin !
Sauf que non, pas du tout. C’est même tout à fait le contraire…
Un brin de féminisme
J’ai déjà souvent parlé de la place des femmes dans la société bourgeoise du XIXème siècle : à la maison, au sein de leur foyer, avec un mari et des enfants. Point. Pas de place pour elles dans l’espace public, dans les universités, en politique, dans les arts, la culture, la technologie, la médecine, les explorations de part le monde, rien de rien. « Marie-toi et fais des enfants », et c’est tout.
Dans ce contexte, l’un des moyens pour les femmes de s’exprimer, c’est à travers la mode. Les grands couturiers hommes n’existent pas encore : la mode est un univers exclusivement féminin. C’est même la seule industrie qui est menée uniquement par et pour des femmes, avec des « Madames » à la tête de maisons de couture, et des armées de stylistes, de modélistes et de couturières.
Or, pendant tout le XIXème siècle, les idées féministes font leur chemin. Des femmes protestent et se battent pour faire avancer leurs droits et se sortir du rôle hyper réducteur dans lequel elles se trouvent. Elles ont par exemple fini par obtenir le droit à disposer de leurs propres biens (oui, oui, cette histoire de mari qui devient automatiquement propriétaire des possessions de son épouse, dont je vous parle tout le temps, comme ici), mais il reste beaucoup d’autres batailles à mener, dont celle du droit de vote. Au tournant du XXème siècle, les femmes s’émancipent de plus en plus, elles étudient, font du sport, voyagent, sont plus actives et veulent prendre leur place dans le monde.
Toutes ces idées vont à l’encontre du patriarcat traditionnel dominant. Et quand on veut se débarrasser d’une idée gênante, on la tourne en ridicule ou bien on la rend effrayante (par exemple, j’avais raconté ici que pour entraver la liberté de déplacement des femmes, on leur a fait croire pendant longtemps que monter à cheval ou faire du vélo provoquait des fausses couches). Pour ces mêmes raisons, c’est l’ensemble de la mode féminine qu’on dénigre ou qu’on tourne en ridicule (tenues, chapeaux, coiffures…), à moins que ce ne soient les femmes elles-mêmes, traitées de frivoles ou de vaniteuses si elles s’intéressent trop à leur look. Dans la foulée, le corset en prend lui aussi pour son grade. Pour limiter ces réunions de femmes – qui pourraient, sous prétexte de parler chiffons, faire circuler entre elles des idées révolutionnaires et féministes -, on fait courir sur le corset tout un tas de rumeurs effrayantes, destinées à décourager les femmes de le porter.
Pas d’industrie de la mode florissante = pas d’univers féminin = pas d’idées féministes = retour des femmes à la maison, à leur « vraie » place…
Diviser pour mieux régner, quoi !
En conclusion
Les actrices d’aujourd’hui qui se plaignent d’avoir enduré des heures de torture à jouer dans un corset hyper serré n’ont porté que des corsets réalisés par des costumières, et non pas des corsetières, et on peut supposer qu’ils n’étaient pas assez bien réalisés pour être confortables (et quand elles en portent pour avoir l’air hot dans leurs sublimes robes haute couture sur les tapis rouges de Cannes ou des Oscars, bizarrement, elles ne s’en plaignent plus ! 😉 ).
Un corset se doit d’être confortable, même s’il comprime, sans quoi les femmes n’en auraient pas porté pendant plusieurs siècles, dans toutes les couches de la société. C’est un vêtement hyper élaboré, conçu pour répartir la pression sur l’ensemble du buste, fait sur mesure pour se conformer à l’anatomie de chacune, et le but n’est pas de le serrer au maximum mais d’être bien dedans pour vaquer sans problème à ses occupations. Toutes les femmes portaient des corsets, y compris les travailleuses dans les champs et les usines : ça maintenait la poitrine et ça servait aussi de ceinture lombaire pour soulager les muscles – on pouvait ainsi soulever des charges lourdes sans se flinguer le dos.
Alors, non, porter un corset n’allait pas vous empêcher de respirer, de bouger, ni vous briser une côte ou déplacer vos organes internes de façon pas naturelle (d’ailleurs, il y a un autre phénomène qui déplace sacrément les organes internes des femmes sans que ça n’alarme personne, ça s’appelle la grossesse…). Et oui, on pouvait sauter, courir, monter à cheval, porter des charges ou des enfants du matin au soir.
La vision que nous avons aujourd’hui d’une femme accrochée à son lit, en train de se faire couper le souffle par une servante qui lui serre son corset trop fort (Scarlet dans Autant en emporte le vent, Rose dans Titanic…), est un cliché qui nous a été transmis de la part d’auteurs ou créateurs qui n’ont pas eux-même porté de corsets, ni connu cette époque. C’est une vision a posteriori, caricaturale, qui nous vient de cette fin de siècle où le patriarcat aurait bien aimé dégommer la mode féminine pour empêcher les femmes de se regrouper et de s’organiser pour défendre leurs droits et leurs idées…
Essayons de ne pas continuer à colporter ces mêmes préjugés. Une femme corsetée, au XIXème, ce n’est pas une taille de guêpe, c’est plutôt ça :
SOURCES :
Corsets and Health: Should You Be Worried by Corseted X-Rays?
Corset history 1500 - 1900
Why Corsets Are Still The Most Misunderstood Garments In Fashion History
Corsets and Skeletal Deformities: Anthropological Study
The Edwardian Silhouette Emerges
Everything you know about corsets is false