La canne, un gadget pour gentleman
Du début à la fin du XIXe, même si la mode masculine a évolué, il y a un accessoire qui n’a jamais quitté les hommes élégants : la canne.
C’est un objet parfaitement inutile, car, à part pour les vieux messieurs ayant réellement besoin d’un soutien pour marcher, la plupart du temps la canne n’est que décorative.
Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas parlé d’objets chelous, si ? 😉 Vous allez voir, certaines cannes vous réservent de belles surprises !
De l’épée à la canne
Avant tout un bâton de promenade
Depuis la nuit des temps, on utilise des bâtons de bois pour de multiples usages, dans tous les milieux sociaux et à toutes les occasions, que ce soit pour s’appuyer dessus pour marcher, diriger un troupeau, fouetter les herbes afin de se frayer un chemin dans la nature, voire se défendre contre des animaux ou des hommes (je ne m’attarde pas sur les bâtons comme insignes de pouvoir, c’est un tout autre sujet).
C’est surtout à partir de la Renaissance que le bâton commence à devenir un accessoire de mode bien spécifique, dédié à la promenade. D’abord sous forme d’une baguette de jonc, à laquelle on donne le nom de canne (de l’italien canna, qui signifie « roseau »), elle devient rapidement un bel objet ornementé, beaucoup plus décoratif qu’utile. Les riches s’en offrent de très belles, faites de bois et de métaux précieux, de sorte que la canne devient un signe distinctif d’appartenance aux classes sociales aisées et oisives. Il n’y a guère que les aristocrates pour se permettre le luxe de s’équiper d’objets beaux et inutiles juste pour parader pendant leur promenade sur les belles allées sablées de leurs châteaux… Ils sont d’ailleurs aussi les seuls à avoir le loisir d’en faire, des promenades, vu que les autres, les travailleurs, ben… ils travaillent ! 😉
La canne, comme accessoire de mode, est donc d’abord un truc de riches.
Parfois une arme
Quand j’ai fait des recherches sur les duels (dont j’ai parlé ici), j’ai appris que plusieurs souverains ont essayé, à diverses époques, de remplacer les affrontements à l’épée par des combats au bâton, moins mortels. Ça n’a visiblement jamais fonctionné, puisque les duels à l’épée, au sabre ou au pistolet ont perduré, mais ça montre qu’il y avait aussi, parallèlement, des combats au bâton.
En fait, comme l’aristocratie était, à l’époque féodale, une classe sociale composée de chevaliers, l’épée est restée pour eux un symbole fort. On en voit régulièrement chez les courtisans du XVIIe et du XVIIIe siècles. Pas besoin d’être un officier militaire, encore moins de l’utiliser comme arme : la plupart du temps, ce n’est qu’un objet d’apparat. Or, autour du XVIIIe, le port de l’épée devient de moins en moins répandu. Il faut dire aussi que les populations se densifient, alors on commence à interdire le port de l’épée en public pour les particuliers (seuls les militaires et certains dignitaires conservent leurs épées ou sabres dans l’exercice de leurs fonctions).
Progressivement, la canne remplace l’épée : ce sera elle, désormais, le signe d’appartenance à l’élite.
En revanche, les frontières continuent de se brouiller entre l’arme et l’accessoire de mode. Certains hommes n’appréciant pas d’être désarmés continuent d’utiliser leur canne comme une épée occasionnelle, soit en utilisant les fameuses cannes-épées que nous connaissons tous, soit en développant des techniques de combat à la canne. Il existe d’ailleurs un art martial, la canne de combat, qui a été mis au point en France au milieu du XIXe, afin d’en faire un moyen de défense.
UNE CANNE… GOURDIN ? Dans le genre accessoire-décoratif-qui-peut-vite-se-transformer-en-arme, on a aussi vu, après la Révolution française, émerger le style vestimentaire extravagant des Incroyables, ou Muscadins (j’en avais un peu parlé ici). Couleurs criardes, énormes chapeaux, énormes cols, énormes souliers… et énormes cannes, noueuses et torsadées, qu’on appelle aujourd’hui des « cannes-gourdins ».
Les cannes à système : des gadgets dignes de James Bond
La canne était donc, à l’origine, plutôt un truc d’aristocrates. Au XIXe, les bourgeois – qui essayent toujours d’imiter les aristocrates en tout – se l’accaparent à leur tour, et elle devient l’accessoire indispensable pour tout gentleman qui se respecte, au même titre que la redingote ou le chapeau haut-de-forme.
Il en faut une différente pour chaque situation : canne du jour, canne du soir, pour la ville ou pour la campagne, pour le voyage… Et comme on dispose désormais d’un paquet de technologies et de savoir-faire, on y ajoute nombre de gadgets plus ou moins farfelus. On appelle ça des cannes à système.
Elles peuvent par exemple contenir :
- une montre
- un briquet
- une boussole
- un porte monnaie
- une flasque d’alcool ou un tire-bouchon
- des cigarettes, des cigares ou une pipe
- une petite jumelle pour mieux voir au théâtre
- une sarbacane pour souffler des billets doux
- un cornet acoustique pour malentendants
- du matériel pour écrire ou peindre
- une canne à pêche télescopique
- un lampion lumineux qu’on allume pour héler un taxi dans la nuit
- un instrument de musique comme une flûte, un violon ou une baguette de chef d’orchestre
- … et beaucoup d’autres encore (téléscope, petite balance pour peser, ensemble de couverts à pique-nique, porte-journal…)
Les femmes aussi utilisent des cannes, même si ce n’est pas aussi systématique que chez ces messieurs. Pour elles, on trouvera des cannes contenant par exemple :
- un miroir et un poudrier
- un éventail
- une poignée avec une petite gueule pour y accrocher un foulard ou un gant
- un kit de couture
Je ne sais pas dans quelle mesure ces gadgets étaient véritablement utilisés au quotidien, mais le moins qu’on puisse dire, c’est que les créateurs avaient beaucoup d’imagination et que ça a donné des objets surprenants ! Voyez plutôt :
UNE CANNE… VIOLON ? De la Renaissance au XIXe, les grands de ce monde prenaient des leçons de danse particulières auprès d’un maître à danser. Pour donner sa leçon en tout temps et partout, le maître jouait lui-même d’un instrument, la pochette, sorte de tout petit violon sans caisse de résonance.
La pochette est un instrument en soi (qui disparaîtra d’ailleurs au XIXe), mais figurez-vous qu’on a aussi trouvé le moyen de l’intégrer dans une canne… 😉
En conclusion
En comparaison de toutes ces cannes système originales et ingénieuses, une simple canne-épée ou un parapluie-canne paraissent bien dérisoires, non ?
Il a également existé des cannes sous forme d’armes à feu, équipées d’un dispositif de fusil à air comprimé, à partir des années 1850. Mais il est peu probable qu’elles aient beaucoup été utilisées, car cela prenait du temps pour armer et tirer, sans compter une portée et une précision limitées. Dans l’éventualité d’une agression dans la rue par des truands, un gentleman s’en serait beaucoup mieux sorti avec une simple canne-épée ou dague. Cela dit, les cannes-fusil ont bel et bien existé, simplement parce que la technologie le permettrait et que, par conséquent, certains voulaient à tout prix en posséder.
Après tout, c’est bien la définition d’un gadget, non ? Un truc un peu inutile mais qui a l’air tellement cool que tout le monde en veut un ? 😉
SOURCES :
Wikipédia - Canne (marche)
Wikipedia - Walking stick
Wikipedia - Swordstick
Wikipédia - Canne de combat
Can your can do this? Gadget Canes Part I
Wikipédia - Pochette (instrument)
Cannes à pochette
MS Rau Antiques - System/gadget canes
Airgun Academy - Air canes
The Remington rifle cane: for the properly equipped 19th century gentleman
Cane Contrivances: Unique Inventions for Users