
La différence entre une bonne et une femme de chambre
En français, le mot femme de chambre désigne – au sens large – une femme de ménage, tandis qu’en anglais, le vocabulaire est plus varié et permet de désigner différents types de postes.
Personnellement, j’aime bien utiliser deux mots distincts, la bonne et la femme de chambre, pour décrire des domestiques qui n’ont pas les mêmes tâches et responsabilités.
On va décortiquer tout ça en prenant l’exemple de la série Downton Abbey. 🙂
La bonne (housemaid)
La bonne est une ménagère, dont le rôle est de ranger, nettoyer et entretenir les pièces de la maison. Mais si la maison est très grande, alors il faudra un plus grand nombre de domestiques (j’en avais parlé ici), entre lesquels le travail sera subdivisé en sous-tâches. C’est comme ça qu’on peut trouver plusieurs types de bonnes, selon les besoins :
- bonne en chef (head housemaid) : elle gère une petite équipe de bonnes
- femme de chambre (chamber maid) : c’est une « femme de chambre » au sens littéral, qui fait les lits et nettoie/range les chambres à coucher
- bonne de salon (parlour maid) : elle s’occupe de nettoyer/ranger les pièces de réception (salons, bibliothèque…), et exécute les mêmes tâches qu’un valet de pied en servant le thé ou les repas, en répondant lorsque les maîtres l’appellent, voire en accueillant les visiteurs à la porte
- bonne à tout faire (maid of all work) : dans une maison où elle est souvent la seule domestique, elle fera un peu de tout (ménage, servir à table, accueillir les visiteurs… et elle fera aussi parfois la cuisine s’il n’y a pas de cuisinière)
FEMME ? FILLE ? En français on utilise le mot femme, mais en anglais le mot maid, qui désigne plus précisément une jeune fille non mariée. Typiquement, les domestiques occupant ces postes étaient des jeunes filles, qui pouvaient commencer le service dès l’âge de 13 ou 14 ans, travaillaient ensuite pendant plusieurs années, puis quittaient le service lorsqu’elles se mariaient, afin de s’occuper de leur propre foyer.
Un domestique homme pouvait très bien rester en poste après s’être marié, par contre c’était beaucoup moins facile pour une femme, qui aurait du mal à continuer de travailler comme domestique tout en étant enceinte ou en devant s’occuper d’enfants en bas âge. J’ai parlé plus en détails du mariage chez les domestiques ici.
Le cas de Anna Smith-Bates

Lorsque la série Downton Abbey commence, Anna est une bonne. Plus précisément, elle occupe le poste de head housemaid (traduit en français par « première femme de chambre »), c’est à dire la cheffe d’équipe de toutes les bonnes. Elle exécute des tâches ménagères et supervise les bonnes junior qui travaillent sous sa direction.
À ce moment-là (on parle des saisons 1 et 2), les filles Crawley sont des célibataires non mariées, elles ont en quelque sorte le statut d’ « enfants », et c’est pourquoi, contrairement à leur mère, elles ne disposent pas encore de leur propre femme de chambre personnelle. Pour s’habiller et se coiffer, elles se font donc aider par Anna ou par n’importe laquelle des bonnes qui soit disponible et assez adroite pour ça. C’est ainsi que Anna et Mary développent au fil du temps une relation privilégiée.

En revanche, lorsque Mary se marie, Anna change de poste pour entrer à son service personnel. Pour Anna, c’est une promotion : dès lors, elle n’est plus une bonne, mais elle devient la femme de chambre attitrée de Mary, sa lady’s maid. Ça se voit notamment dans ses vêtements : lorsqu’elle était bonne, elle portait un tablier et un bonnet blanc (le signe qu’elle effectuait un travail salissant), alors qu’une fois devenue femme de chambre, elle portera plutôt une robe noire toute simple.
La femme de chambre (lady’s housemaid)
Les dames de qualité, lorsque leur rang social et leurs moyens financiers le justifient, ont auprès d’elles une assistante personnelle : c’est la lady’s maid (ou waiting-maid), ce que j’appelle la femme de chambre attitrée (on peut aussi dire une camériste).
Une femme de chambre n’a pas du tout les mêmes tâches qu’une bonne. Elle ne s’occupe pas du ménage, mais uniquement de sa maîtresse, et en cela elle est l’équivalent féminin du valet de chambre (qui est, lui, le serviteur personnel du maître).
Elle est d’un rang supérieur à celui d’une bonne, et gagne un meilleur salaire pour un travail moins pénible (voyez les salaires ici). Même entre domestiques, on l’appelle par son nom de famille ou en lui donnant du « Miss », en guise de marque de respect, alors qu’une bonne ou une domestique inférieure sera généralement appelée par son prénom.
Parmi les tâches habituelles d’une femme de chambre :
- réveiller sa maîtresse, lui apporter le petit déjeuner au lit, puis aérer la chambre et faire le lit
- aider aux soins du corps (préparer le bain, laver les cheveux, appliquer des onguents, lotions, parfums…)
- habiller, maquiller, coiffer, et inversement
- fabriquer quelques cosmétiques de base, comme du shampooing ou de la pommade à cheveux (les cosmétiques plus complexes seront plutôt réalisés par une autre domestique, la still room maid, voyez ici)
- entretenir la garde-robe (nettoyer les petites taches, repasser, coudre ou repriser, laver à la main le linge délicat ou intime que la maîtresse ne souhaite pas confier aux blanchisseuses)
- entretenir les souliers
- veiller sur les bijoux
- garder la chambre et le dressing-room en ordre
- faire de petites courses pour sa maîtresse
- faire les bagages
- accompagner sa maîtresse dans ses déplacements
Je rappelle qu’une dame de la gentry ou de l’aristocratie change de vêtements plusieurs fois par jour, en fonction des activités de la journée (par exemple : rester à la maison le matin, recevoir des visites de courtoisie, faire une promenade à cheval, dîner en famille, sortir au théâtre…). Une femme de chambre doit donc connaître toutes les subtilités de la mode et de l’étiquette vestimentaire, et c’est un boulot à plein temps plein que de s’assurer que sa maîtresse est toujours parfaitement vêtue et apprêtée pour chaque occasion.
D’ailleurs, sachez qu’en Angleterre, au XIXe, avoir une femme de chambre française était le comble du chic, car les Françaises avaient déjà la réputation d’être à la fine pointe de la mode et du bon goût… 😉

Le cas de Sarah O’Brien

O’Brien est la lady’s maid de Lady Grantham. Son rôle n’est pas de faire le ménage (elle va simplement ranger la chambre, guère plus), mais de veiller à ce que sa maîtresse soit toujours sur son 31.
La série montre bien la distinction entre O’Brien et les autres domestiques. Elle ne se mélange pas beaucoup avec eux, elle aime bien montrer son petit côté supérieur, car elle leur est effectivement supérieure (tout comme l’est Bates, en tant que valet de chambre de Lord Grantham, sauf que lui a meilleur caractère 😉 ).
Mais, attention, une lady’s maid n’est pas une dame de compagnie (et c’est aussi ce que la série nous montre). Si Lady Grantham aime à croire que O’Brien est son amie, en réalité ce n’est pas du tout le cas. Comme la femme de chambre évolue constamment dans l’intimité de sa maîtresse, c’est vrai que ça favorise des liens forts qui peuvent rendre la distinction sociale un peu floue. Reste qu’elles ne sont pas du même rang : l’une est la maîtresse, l’autre la servante. Si la maîtresse souhaite avoir auprès d’elle une amie à qui elle puisse se confier d’égale à égale, alors il lui faudra se procurer une vraie dame de compagnie.

Journal d’une femme de chambre
La distinction entre ces deux postes existait également en France, mais le fait qu’on utilise le mot « femme de chambre » à la fois pour désigner une simple bonne et une femme de chambre attitrée, ne nous facilite pas la tâche pour bien comprendre qui fait quoi.

Par exemple, dans le roman Journal d’une femme de chambre (écrit par Octave Mirbeau en 1900), l’héroïne, Célestine, est super frustrée car elle vient d’arriver chez un couple de petits bourgeois de campagne où on lui fait faire les tâches d’une simple bonne. Or, Célestine est une fille élégante, qui vient de Paris, où elle était plutôt habituée à servir de grandes dames, à s’occuper de leur garde-robe, à leur donner le bain ou les coiffer, à manipuler leurs petits pots de cosmétiques et à se tenir au courant de leurs amants et de leurs petits secrets…
L’auteur souligne ainsi la différence de rang entre la femme de chambre et la bonne, et c’est pourquoi Célestine détonne avec ses vêtements à la mode et ses belles manières, parmi des domestiques campagnards beaucoup plus vulgaires.
En conclusion
C’est tout à fait correct de désigner par le terme « femme de chambre » quelqu’un qui effectue un travail de type ménager – comme c’est le cas dans l’hôtellerie, par exemple. C’est juste que la langue française ne dispose pas de plus de précision, alors, perso, j’aime bien utiliser les mots bonne et femme de chambre de façon très distincte (comme j’écris des bouquins sur le XIXe, ça me semble nécessaire pour éviter la confusion).
Après, les choses peuvent très bien se mélanger selon les besoins du moment : une bonne peut tout à fait assurer le rôle d’une femme de chambre en aidant sa maîtresse à sa toilette si jamais il n’y a personne d’autre pour le faire, et une femme de chambre attitrée pourrait éventuellement faire un peu de ménage aussi si il y en a besoin et que sa maîtresse le lui ordonne. Une domestique reste une servante : elle sera bien obligée de faire ce qu’on lui dit.
Et puisqu’on parle de femmes de chambre, de robes noires et de tabliers blancs, j’ai poursuivi ici avec le sujet de la soubrette, car il y a encore une petite nuance à apporter qui la distingue des deux autres.
Ah là là, ces histoires d’étymologie et de sens des mots… On pourrait en parler pendant des heures ! 🙂
SOURCES : Regency servants : valet and lady's maid Wikipedia - Lady's maid Wikipedia - Housemaid Livre : Mrs Beeton’s Book of Household Management par Isabella Beeton (1861)

