Chauffer la maison au XIXe : avant et après la fonte
On parlait, il n’y a pas si longtemps (ici), du Petit Âge glaciaire que l’Europe a connu il y a quelques siècles.
Je sais bien que, de tout temps, les gens ont eu besoin de se chauffer, et que ça n’a rien à voir avec le fait qu’ils aient enduré un quelconque âge glaciaire, mais je me demande quand même dans quelle mesure les hivers anormalement rigoureux survenus aux XVIIIe et XIXe ont pu motiver ou influencer la très nette évolution des moyens de chauffage qui a eu lieu à la même époque.
Avant la fonte
Le peu d’efficacité des cheminées
J’avais déjà parlé ici de la façon de se tenir au chaud l’hiver au tout début du XIXe, et notamment du fait que les cheminées ne sont pas la façon la plus performante de chauffer une maison.
SOYONS PRÉCIS : quand je parle de cheminée, je veux bien sûr parler d’un âtre ouvert dans lequel on fait un feu de bois, et au-dessus duquel se trouve ladite cheminée, c’est à dire le conduit par lequel s’évacue la fumée (et une grande partie de la chaleur, par la même occasion).
Pourtant, elles existent depuis un bout de temps, ces cheminées, vu que leur apparition remonte au Xe siècle. Mais pendant longtemps on ne sait pas trop comment les optimiser, alors, on se contente de faire de grosses flambées, même si la moitié de la chaleur dégagée est perdue.
Tout ça s’améliore enfin un peu quand un Anglais, le comte de Rumford, met au point en 1790 un changement notable. Il s’agit de remaçonner l’intérieur de l’âtre afin de lui donner une forme angulaire beaucoup moins profonde, et de réduire l’embouchure de la cheminée. On garde ainsi l’appel d’air nécessaire pour envoyer la fumée vers l’extérieur, tout en renvoyant la chaleur vers l’avant. Et le tout sans casser la cheminée existante, qui a déjà coûté assez cher à construire ! 😉
Ce système sera assez courant en Angleterre jusque dans les années 1850. Mais la vraie évolution du chauffage viendra d’ailleurs.
Le risque permanent des flammes nues
L’autre problème des cheminées, c’est que les flammes sont à nu et que les braises peuvent sauter facilement. Ce n’est pas bien grave dans des maisons rudimentaires avec un sol en terre battue, ni dans des châteaux médiévaux pavés en pierre, mais ça le devient beaucoup plus quand le confort intérieur s’améliore. De beaux planchers, de beaux tapis, de beaux tissus… ça multiplie les risques d’incendie.
Il faut souligner le fait que la plupart des maisons n’ont pas l’eau courante, ou alors peut-être que l’unique pompe à eau se trouve dans l’arrière-cuisine, loin, à l’autre bout. Si c’est le tapis du salon qui s’enflamme, on n’aura pas forcément ce qu’il faut sous la main pour éteindre le tout avant que ça ne prenne une ampleur dramatique.
Ensuite, ça n’a l’air de rien, mais au début du XIXe on commence à utiliser de plus en plus de coton, qui brûle plutôt bien, surtout quand il s’agit de mousseline toute fine, très en vogue dans la mode néoclassique. Alors, quand on a chez soi une cheminée « à l’ancienne » qui perd la moitié de sa chaleur et dont il faut s’approcher assez près pour en profiter un peu, c’est la porte ouverte aux accidents…
DANS « NORD ET SUD », Margaret rencontre Mr. Thornton pour la première fois à un moment où ce dernier file une sacrée rouste à l’un de ses employés, qu’il venait de surprendre à fumer au travail.
Alors, certes, Thornton tape fort, mais non, ce n’est pas un méchant patron qui maltraite ses gens : c’est juste que le risque d’incendie est énorme puisqu’il s’agit d’une fabrique de coton.
(je sais, j’étais en train de parler de trucs sérieux, mais j’ai une certaine propension à divaguer sur Richard Armitage… que voulez-vous…) 😉
Les poêles de masse
En parallèle des cheminées, il existait d’autres moyen de se chauffer, et notamment les poêles de masse.
Faire chauffer un bloc de pierre ou de briques pour profiter ensuite de la chaleur radiante qu’il dégage, les humains savent faire ça depuis la nuit des temps (tout comme faire circuler la fumée d’un feu sous le sol afin de le réchauffer, d’ailleurs). On a retrouvé des traces de ce genre d’installations datant de 1000, 5000, voire 7000 ans avant J.C. !
Mais pour ce qui est des poêles de masse « modernes », ils remontent au XIIe siècle environ. Originaires du Haut-Rhin, on les appelle aussi poêles en céramique, ou poêles à catelles, du nom des tuiles de céramique vernissées dont ils sont recouverts.
Ça, au moins, c’est nettement plus efficace qu’une cheminée en terme de performance et de sécurité. Mais pour une raison que j’ignore, ces poêles-là se développent surtout dans les pays germaniques, russes et scandinaves. L’Europe de l’Ouest, elle, reste avec ses bonnes vieilles cheminées…
Ah, la tradition !
L’arrivée de la fonte
De la Chine à l’Europe
La fonte (un alliage de fer et de carbone) est inventée en Chine vers le Ve siècle. Elle fait son entrée en Europe à la Renaissance, mais son usage reste d’abord limité à la fabrication de canons. C’est seulement au XVIIIe qu’on commence explorer vraiment les propriétés et les possibilités qu’offre ce matériau, avant de finir, au XIXe, par l’utiliser partout, aussi bien pour construire des ponts que pour fabriquer les petits accessoires de la vie courante.
Il faut dire que la fonte est bon marché et facile à mouler pour produire des objets en série. Tout ce qu’il faut pour trouver sa place dans l’ère industrielle !
Les premiers poêles en fonte
Le célèbre inventeur (et mille autres choses) américain Benjamin Franklin ouvre la danse en 1741, en créant un poêle en fonte. Il s’insère dans une cheminée existante et possède un échangeur d’air permettant de renvoyer la chaleur dans la pièce avant d’évacuer la fumée.
On le disait à l’instant : la fonte, ça se moule. On peut donc désormais imaginer n’importe quelles formes un peu compliquées, qui seraient impossibles de réaliser en maçonnerie. Le genre de siphon arrondi que Franklin a mis au point n’aurait pas pu voir le jour sans ce type de matériau.
Vous noterez que le poêle Franklin a encore une façade grande ouverte, avec des flammes apparentes. Or, dans les décennies qui suivront, on va plutôt enfermer le feu dans une boîte : on contrôle ainsi l’arrivée d’oxygène, ce qui permet au combustible de brûler plus lentement – et donc plus efficacement -, en plus de réduire les risques d’incendie. Autre avantage : le poêle est désormais un véritable meuble, qu’on peut installer et déplacer où on veut, et comme la fonte ne coûte pas trop cher et qu’on peut produire en série, ça devient accessible même aux familles modestes.
On peut commencer à envisager chauffer chaque pièce de la maison, là où auparavant on n’en chauffait qu’une seule.
Le chauffage central
Après le poêle et la maîtrise toujours plus grande de la fonte, de nouveaux moyens de chauffage continuent d’émerger.
On fabrique des chauffe-eau, des chaudières, des fournaises, des radiateurs… et hop ! Ni une, ni deux, voilà l’arrivée du chauffage central, dès les années 1850. Une unité centrale brûle du combustible pour produire de l’air chaud, de la vapeur ou encore de l’eau chaude, qu’on envoie ensuite dans des tuyaux à travers toute la maison.
C’est une époque un peu folle, où les inventions et les améliorations se multiplient, donc ça n’est pas évident de trouver avec exactitude qui est à l’origine du premier système de chauffage central, mais notons a moins celui qui a tenu une place importante sur le marché : le radiateur en fonte créé en 1872 par l’Américain Nelson H. Bundy.
Tout à fait le genre qu’on trouve encore dans nos vieilles maisons, aujourd’hui !
En conclusion
L’utilisation généralisée des poêles en fonte au XIXe a eu un impact énorme sur les populations. Elles ont eu accès à un meilleur chauffage, moins coûteux à l’achat, plus facile à installer dans diverses pièces de la maison, plus performant et sécuritaire. Ça a été l’un des facteurs de mieux-être qui a contribué à ce les populations grandissent.
En contrepartie, il a fallu trouver plus de combustible. Parce qu’on avait beau brûler moins de bûches dans un poêle en fonte que dans une cheminée, il n’empêche que le bois n’était pas si simple à se procurer, surtout avec l’expansion des villes : il était impossible d’aller couper soi-même son bois aux alentours, et plutôt onéreux de se le faire livrer.
C’est là que le charbon entre en scène. Mais ça, on en reparlera une autre fois… 🙂
SOURCES :
La réception des nouveaux modes de chauffage domestique en France au xixe siècle
Les différents modes de chauffage à travers les âges
Wikipédia - Chauffage - XIXe siècle
Wikipedia - Fireplace
Wikipedia - Rumford fireplace
Wikipedia - Franklin stove
Wikipedia - Central heating - Modern central heating system
Beyond fireplaces: Historic heating methods of the 19th century
Évolution des modes de chauffage dans l'histoire de l'humanité