Époque georgienne,  Époque Régence anglaise

Les taxes pendant la Régence anglaise

Il y a bien longtemps, j’avais un peu parlé des taxes que les Britanniques payaient pendant la période Régence (je vous renvoie ici, à propos des dépenses de Mr. Darcy pour maintenir un grand domaine comme Pemberley). On avait aussi parlé des perruques poudrées (ici), qui ont perduré au Royaume-Uni un peu plus longtemps qu’en France, et du fait que si cette mode a finalement disparu, c’est à la suite d’une hausse de la taxe sur la poudre à cheveux.

Parmi ces multiples taxes, une bonne quantité étaient un impôt à la consommation (on taxait les matières premières, les produits finis, les produits importés, etc), mais ce dont on va parler aujourd’hui c’est plutôt d’un impôt sur la propriété.


Les caisses sont vides, ma bonne dame !

Nous avons des taxes sur chaque article qui entre dans notre bouche, nous couvre le dos ou se trouve sous notre pied; des taxes sur tout ce qu’il est plaisant de ressentir, de sentir ou de goûter; des taxes sur tout ce qui trouve sur la terre et dans les mers; sur tout ce qui vient de l’étranger et tout ce qui a été produit chez nous; des taxes sur les matériaux bruts et sur la valeur ajoutée produite par la main de l’homme, des taxes sur la sauce qui enrobe l’appétit et sur les médecines qui restaurent la santé, sur l’hermine dont se couvre le juge et sur la corde qui pend le criminel, sur le sel de l’homme pauvre et sur l’épice de l’homme riche, sur les clous dorés du cercueil et les rubans de la mariée; de bord en bord, du levant au couchant, nous devons payer. L’écolier secoue son béret taxé; le jeune valet d’écurie dirige un cheval taxé, au bout d’une longe taxée, sur une route taxée; et le gentleman mourant verse un médicament payé 7% de plus dans une cuillère payée 15% de plus, puis s’allonge dans son lit tendu de draps payés 22% de plus, pour expirer dans les bras d’un apothicaire qui a acheté 100£ une licence lui donnant le privilège de présider à son trépas. La totalité de ses biens sont ensuite taxés entre 2 et 20%; en plus des frais de l’exécution testamentaire, d’autres frais sont exigés pour qu’il soit enterré dans l’église, près de l’autel; la liste de ses vertus est gravées pour la postérité dans un marbre taxé; et c’est ainsi qu’il est renvoyé auprès de ses pères où, enfin, il ne sera plus taxé.

Rev. Sydney Smith, pasteur et homme de lettres du début du XIXe (citation rapportée dans le livre England in the Nineteenth Century)

Si le Révérend Smith se plaint comme ça, c’est qu’en effet, dans les années 1780 à 1820 environ, la Couronne Britannique multiplie les taxes à un point jamais vu auparavant, afin de renflouer les caisses vidées à la suite de la Guerre d’Indépendance des États-Unis et de financer les guerres de coalition contre Napoléon.

Dans ce contexte de conflits armés, on comprend la nécessité d’une hausse des taxes. Mais quand on commence à se faire imposer, année après année, sur la valeur du moindre objet que l’on possède chez soi, c’est sûr que ça devient vite pesant. En voici quelques exemples.


Principales taxes sur la propriété

(les prix indiqués sont à payer annuellement)

  • Armoiries familiales : 2£ et 8 shillings par an pour pouvoir les afficher sur son véhicule, la moitié de ce montant pour les afficher ailleurs (par exemple sur une bague de type chevalière)
  • Véhicules : ils sont classés en plusieurs catégories et taxés différemment, selon leur usage et niveau de confort (je vous renvoie ici pour plus de détails sur les véhicules hippomobiles utilisés à l’époque)
    • Classe I : voiture privée élégante destinée au loisir (ex : phaéton ou calèche), 12£
    • Classe II : voiture privée à deux ou quatre roues (ex : berline), 6£ 10s si elle est attelée avec un seul cheval, 9£ pour deux chevaux, 3£ 3s pour chaque cheval supplémentaire
    • Classe III :
      • voiture de location à deux roues (ex : chaise, cabriolet), mêmes prix que pour la Classe II selon le nombre de chevaux attelés
      • voiture de location à quatre roues (ex : berline louée annuellement), 9£ 9s
      • voiture de transport en commun à quatre roues (ex : diligence, malle-poste), 10£ 10s
    • Classe IV : véhicule à deux roues sans ressorts, sans coussins rembourrés, sans toit, avec une simple bâche pour couvrir le chargement (ex : charrette), 1£ 9s
    • On taxe aussi les fabricants pour chaque véhicule neuf qu’ils fabriquent (voitures à quatre ou deux roues, ou simples charrettes), ainsi que les vendeurs pour chaque vente ou revente réalisée
  • Chevaux :
    • En plus des véhicules, on taxe aussi la possession des chevaux : 1 cheval = 2£ 17s, 5 chevaux = 5£ 11s, 15 chevaux = 6£ 7s
    • Les chevaux de loisir (prévus pour être montés ou courir, et non pas être attelés ni travailler) sont encore un peu plus taxés, vu qu’ils sont un luxe
    • Les chevaux de trop petite taille, ainsi que les mules, sont exemptés
    • On fait une exception pour les gens plus modestes (ex : fermiers ou commerçants pas très riches, hommes d’église gagnant moins de 100£/an – voyez ici), pour qui il est vital d’avoir au moins un cheval et un véhicule de classe IV pour travailler et subsister : ils n’auront donc pas de taxe à payer sur leurs chevaux, à condition que ces derniers ne soient utilisés que comme des animaux de travail, et jamais montés ou attelés à d’autres types de véhicules pour le transport ou le loisir.
  • Chiens :
    • Pour posséder des chiens de chasse : 1£ par chien. Hé oui, il faut être riche pour avoir une meute de 20 ou 30 bêtes et faire de la chasse à courre ! La chasse est un loisir de privilégiés ! 😉
    • Pour les autres types de chiens : on peut avoir un seul chien sans frais, on paye ensuite 14s pour chaque chien supplémentaire
  • Domestiques : on a déjà parlé ici du salaire des domestiques et du fait que les serviteurs hommes étaient mieux payés que les femmes. C’est pareil pour les taxes : comme il est plus prestigieux d’avoir des valets que des servantes, ils sont plus lourdement taxés, et ça empire à mesure que leur nombre augmente.
    • Domestiques masculins : un seul = 2£ 8s, deux = 3£ 2s chacun, trois = 3£ 16s chacun, dix = 6£ 13s chacun (!), onze et plus = 7£ 13s chacun (!!!).
    • Domestiques féminines : un peu plus d’1£ chacune
    • Jardiniers : 10s chacun
    • Un ancien officier revenu de la guerre en étant physiquement diminué ou en n’ayant qu’une solde réduite peut avoir un domestique à son service non taxé
  • Employés : tout comme les domestiques, un employeur est taxé sur les gens qui travaillent pour lui, et la taxe s’alourdit en fonction du nombre d’employés (les apprentis ne sont pas pris en compte)
    • Coursier, représentant en voyage : un seul = 3£, deux et plus = 5£ chacun
    • Clerc, employé de bureau : un seul = 2£, deux et plus = 3£ chacun
    • Vendeur, commis, magasinier : 3£
    • Serveur de taverne/restaurant, hôtelier : 2£ 5s
    • Garçon de ferme ou d’écurie, manoeuvre non qualifié : 10s
    • Cocher, valet d’écurie : 2£ 10s
    • On doit distinguer clairement si la personne est un employé ou un domestique, pour ne pas payer deux taxes. Par exemple, un valet de ferme est considéré employé s’il travaille à temps plein aux affaires de la ferme (et pas au service personnel de son employeur).
    • On autorise deux « apprentis de la paroisse » non taxés (je vous renvoie ici pour tout savoir sur ce système pour le moins discutable d’exploitation d’enfants orphelins). Attention, ils ne doivent pas porter de livrée, sans quoi ils seraient considérés comme des domestiques et deviendraient taxables.
  • Célibat : oui, je sais, ça a l’air fou, mais les gens sont taxés sur le fait d’être célibataires !
    • Un père qui a à sa charge une fille majeure et non mariée doit payer une taxe pour elle. À partir de deux filles, il est exempté.
    • Un homme célibataire qui emploie des domestiques masculins pour faire tourner sa maisonnée doit payer une taxe supplémentaire
  • Biens immobiliers : on calcule la valeur d’une maison non pas en fonction de sa surface, mais du nombre de fenêtres… Une méthode qui remonte à 1696, et qui sera toujours très mal perçue de la population, vu que c’est un peu comme si on tentait de leur taxer l’air et la lumière ! (c’était pareil en France, où cette taxe existait aussi)
    • On paye un montant forfaitaire pour l’ensemble de la maison, auquel s’ajoute un montant supplémentaire pour chaque fenêtre.
    • Je n’ai pas de chiffres précis pour les années 1800, mais cette taxe était visiblement assez élevée pour que les plus modestes se mettent à murer certaines de leurs fenêtres avec des briques. Le problème, c’est que si ça faisait bel et bien baisser la facture, ça contribuait aussi à rendre les logements moins aérés et plus sombres, avec notamment des conséquences sur les enfants, qui développaient du rachitisme par manque de lumière et donc de vitamine D…
    • Certaines pièces étaient exemptées, en particulier la pièce dédiée à la fabrication des produits laitiers. J’ignore pourquoi. Peut-être parce qu’on savait que le lait était un produit sensible (on en a amplement parlé la semaine dernière, voyez ici) et qu’il valait mieux garder l’hygiène et l’aération de cet endroit aussi optimales que possible ?
Chiens politiques à la chasse aux nouvelles taxes, par Thomas Rowlandson (1799). À la fenêtre, l’homme (probablement William Pitt, premier ministre à l’époque) dit à ses chiens : « Vous pouvez chercher tant que vous voulez, mes jolis, mais je crains que ces taxes vont toucher de trop près certains d’entre vous. Quant à moi, il ne me reste plus rien à taxer si ce n’est ma propre peau, aussi je suppose que cela fera l’objet du prochain article ». Sur les affichettes, des avis de taxes sur la coalition, les docteurs, les chevaux de course, la bière brassée à domicile, les bouts de chandelle et les croûtes de fromage, mais aussi sur la cohérence, l’égostisme, les intrusifs ou les gros derrières… 😉

Le travail du collecteur de taxes

Je n’ai pas beaucoup d’infos à ce sujet, donc je partage le peu ce que j’ai pu trouver.

Pour qu’ils puissent, une fois par an, déterminer ce que possède une personne et calculer les taxes que celle-ci devra payer, il fallait – comme pour nous, aujourd’hui – des traces écrites et des déclarations sur l’honneur de la part de cette personne. Par exemple :

  • il était obligatoire d’émettre un reçu écrit dès qu’une transaction dépassait 10£ (mais ça ne nous dit pas comment les collecteurs faisaient pour retracer toutes ces transactions sur une année).
  • le collecteur envoyait une demande à la personne concernée lui intimant de fournir, sous 14 jours, la liste de ses domestiques, voitures, chevaux, chiens… à défaut de quoi la personne s’exposait à une amende. Pour ce qui est du nombre de fenêtres de la maison ou de chevaux dans l’écurie, le collecteur et ses assistants venaient parfois vérifier par eux-mêmes.
  • il existait des centaines de taxes à payer et pas toutes en même temps. On pouvait en payer certaines au moment d’un achat, d’autres étaient trimestrielles, d’autres semestrielles…

Enfin, comme le suivi administratif était toujours très local, je suppose que les riches propriétaires qui possédaient des maisons et des biens dans différents endroits du pays devaient payer leurs taxes à chacun de ces endroits différents.

Les collecteurs de taxes vociférants, par Thomas Rowlandson (1805)
Les amis du peuple, par James Gillray (1806). Quand deux collecteurs frappent à sa porte le maître des lieux dit à sa fenêtre : « Des taxes, des taxes ! Et où voulez-vous que je trouve l’argent pour toutes les payer ? Bientôt, je n’aurai plus de maison, et même pas un trou pour y mettre ma tête ! ». Ce à quoi le collecteur lui répond : « Une maison pour y mettre votre tête ? Mais que Diable voulez-vous faire d’une maison toute entière ? N’avez-vous pas déjà une pièce au premier étage pour y vivre ? Si cela vous revient trop cher, pourquoi ne pas vous installer au grenier ou à la cave ? Les taxes doivent être payées, c’est pour le bien de votre pays ! ».

En conclusion

Comme dit le vieil adage :

Dans la vie, on ne peut avoir que deux certitudes : la mort et les impôts.

Et bien, parlant de temps qui passe et qui nous conduit à l’échéance de la mort, figurez-vous que le premier ministre William Pitt, après avoir lancé ses « chiens » à la recherche de toutes les opportunités de taxes possibles et imaginables, a aussi tenté d’imposer une taxe sur la possession de… montres et horloges ! Il faut dire qu’à la fin du XVIIIe, leur prix avait beaucoup descendu, ce qui fait qu’elles s’étaient popularisées et qu’au final à peu près tout le monde était en mesure d’avoir une montre sur soi ou une horloge chez soi. Mais voilà qu’à partir de 1797, il fallait payer chaque année 10s pour la possession d’une montre en or, et un peu plus de 2s pour une montre en argent ou autre métal, tandis que les horlogers et les vendeurs devaient, pour exercer leur métier, acheter une licence annuelle.

Ça a été une belle bourde de la part de William Pitt… En l’espace de quelques mois seulement, toute l’industrie horlogère britannique s’est effondrée, entre les gens qui cachaient ou détruisaient leurs horloges, la moitié des usines fermées faute de pouvoir écouler leur production, et les professionnels qui quittaient le pays pour aller s’installer ailleurs. Un échec monumental sur lequel Pitt a dû revenir en vitesse, en annulant sa taxe en 1798, tout juste un an après l’avoir mise en fonction.

Oups…

SOURCES :
Nancy Meyer Regency researcher - Taxes
Livre - England in the Nineteenth Century, par Elizabeth Wormeley Latimer (1897)
Livre - What Jane Austen ate and Charles Dickens knew, par Daniel Pool (1994)
England Taxation 1700s to 1900s (National Institute)
Only Death and Taxes, in the 18th century
Tax Day During the late Georgian and Regency Periods
Collection digitale de l'Université de Yale, caricatures à propos des taxes de l'époque Régence
Wikipedia - Window tax
Wikipedia - Duties on Clocks and Watches Act 1797
The Clock Tax of 1797
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