Mr Collins, Orgueil et préjugés, Tom Hollander
Époque georgienne,  Époque Régence anglaise

Épouser un homme d’église

Dans un des épisodes de Gentleman Jack, une jeune femme se fait demander en mariage par un « clergyman ». Elle hésite, mais son amie, à ses côtés, lui conseille vivement d’accepter en s’exclamant, les yeux brillants d’excitation :

Un clergyman ! Tu te rends compte !

Mais qu’est-ce qu’un homme d’église peut donc avoir de si intéressant pour constituer ce qui semble être un parti très enviable ? C’est ce que je me suis demandé, alors j’ai fouillé un peu et j’ai commencé à mieux comprendre…


C’est quoi, un clergyman ?

Petit rappel

J’ai raconté ici que l’Angleterre n’est plus catholique depuis 1534, c’est à dire depuis que le roi Henry VIII a désobéi au Pape en répudiant tranquilou sa première reine pour pouvoir épouser Anne Boleyn (et beaucoup d’autres ensuite). En faisant cela, il a tout simplement créé une nouvelle église, la sienne, qu’il a appelée l’Église d’Angleterre, ou église anglicane.

Mais ça ne s’est pas fait en un jour… Après Henry VIII, il y a eu des allers-retours houleux entre l’ancien catholicisme et le nouvel anglicanisme, des compromis, des cohabitations difficiles, avant que, finalement, les choses se stabilisent et que la religion anglicane s’impose comme la foi principale en Angleterre.

Les titres religieux anglicans

Clergyman signifie « membre du clergé ». C’est donc un mot assez vaste, qui désigne tous ceux qui ont reçu l’ordination.

L’Église d’Angleterre fonctionne selon une hiérarchie très similaire aux catholiques, aux protestants et aux orthodoxes (tout ce petit monde se ressemble beaucoup, puisqu’ils relèvent tous de la même chrétienté, à la base).

  1. tout en haut se trouve le roi ou la reine d’Angleterre. Henry VIII voulait être l’autorité religieuse absolue, il s’est donc autoproclamé « gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre », et après lui les autres monarques sur le trône. Ce qui fait que l’actuelle Elizabeth II est bien, elle aussi, la cheffe de l’Église d’Angleterre.
  2. l’archevêque de Canterbury (archbishop). Après le roi ou la reine, c’est lui le plus haut gradé de l’Église. Il officie aux évènements importants comme les couronnements.
  3. les évêques (bishop). Ils supervisent les prêtres et diacres dans le diocèse dont ils ont la charge.
  4. les prêtres (priest). Ils ont un rôle liturgique (ils prêchent, donnent la messe et les sacrements comme la communion, le baptême, le mariage, etc), pastoral (soutien moral et conseil) et administratif (tenue des registres de naissances, mariages, décès…). Ils portent une appellation particulière en fonction de leur rôle : un recteur (aussi appelé pasteur dans le langage courant) est à la tête d’une paroisse, un doyen supervise plusieurs paroisses, un curé est l’assistant d’un recteur (pas exactement comme en France, donc), un vicaire est un représentant qui agit au nom d’une autorité plus haute.
  5. les diacres (deacon). Ils servent pendant la messe et ont quelques responsabilités, mais pas les sacrements.

Et, donc, les membres du clergé peuvent se marier, comme le font les Protestants.

Martin Luther

PRÉCISION : Attention, l’Église d’Angleterre n’appartient pas au protestantisme.

Les différents mouvements protestants sont dûs à d’autres séparations d’avec le Pape, et leur origine est plutôt à chercher du côté de l’Allemagne, avec Martin Luther et ses potes.

Cela dit, l’apparition du protestantisme date de la même époque que Henri VIII, c’est à dire au début du XVIème siècle. L’idée d’Henry de réformer la religion de son pays ne lui est quand même pas venue de nulle part…

L’Église, une vocation ?

Pas du tout !

À l’époque de Jane Austen, devenir pasteur est avant tout un métier, une position sociale qui offre des avantages (à commencer par un salaire !). Il faut être lettré et faire des études religieuses, mais il n’est absolument pas nécessaire de ressentir une vocation profonde, un appel à la foi et à l’évangélisation, pour choisir de faire carrière dans l’Église.

Ça donnait d’ailleurs des pasteurs plus ou moins préoccupés par le salut de l’âme et le bien-être de leurs paroissiens. Certains prenaient leur travail au sérieux, assurant la messe tous les dimanches et prenant soin de leurs ouailles, mais d’autres pouvaient être franchement laxistes.


La sécurité financière

Le salaire avant tout

Je ne répèterai jamais assez à quel point la sécurité matérielle pèse lourd dans la balance quand il s’agit de prendre époux. Une femme ne peut pas subvenir seule à ses besoins, il n’y a pas (ou peu) de structures de soutien public, et sa seule issue est de se marier, alors mieux vaut qu’elle le fasse avec un homme capable de lui offrir une vie décente. À elle, ainsi qu’aux nombreux enfants qu’ils ne manqueront pas d’avoir…

Le salaire d’un pasteur peut aller de 100 à 1.000£ par an, selon la paroisse dans laquelle il se trouve. Ça semble modeste, mais le poste vient avec certains avantages.

Pour rappel, Mr. Bennet est un gentleman propriétaire terrien qui gagne 2.000£ avec son petit domaine de Longbourn. Pour Darcy, c’est 10.000£, grâce à l’énorme et splendide Pemberley.

La dîme

Un homme d’église perçoit 10% des richesses produites sur le territoire où il opère. Ça s’appelle la dîme (qui signifie « un dixième ») et c’est une taxe qu’il doit collecter lui-même. Ça peut d’ailleurs créer des malaises ou des cas de conscience, car un homme d’église faisant preuve de trop de convoitise, c’est quand même pas très chic…

Pour ne rien simplifier, la plupart des paroissiens ne sont que de modestes commerçants, ouvriers ou paysans. Eux ne verseront pas la dîme en argent comptant, mais plutôt en denrées alimentaires, bois, charbon ou productions diverses. Il faut donc négocier avec chaque paysan. S’entendre sur un prix ou une quantité. Courir après le payeur récalcitrant ou retardataire. Et puis… stocker tout ça !

Parce que quand vos paroissiens vous ont payé en cordées de bois de chauffage (ou de charpente !), en paniers d’oeufs et en boisseaux d’avoine, il faut avoir de la place pour s’en arranger ! Souvent, un pasteur possède une grange entière dédiée au stockage de sa dîme. À lui de voir, ensuite, ce qui convient pour sa consommation personnelle ou bien s’il y a moyen de revendre le reste.

Quand même, de la monnaie sonnante et trébuchante, c’est pas mal plus pratique, non ? 😉

NOTE : le prélèvement de la dîme existe en Angleterre depuis les premiers siècles de la chrétienté (depuis l’an 855, plus précisément), mais, de tous temps, il a été décrié. Mal encadré, sujet à interprétation et trop variable, il a été abandonné graduellement à partir des années 1830.

La glèbe

En plus du presbytère, qui est un logement de fonction fourni par la paroisse à son pasteur, on attribue aussi à ce dernier un lopin de terre : la glèbe.

Alors, c’est sûr, le pasteur va devoir se transformer en fermier et travailler pour faire fructifier cette terre (le blé ne pousse pas tout seul !), mais ça fait un revenu complémentaire appréciable.

Et puis, ça fait autant de production alimentaire qu’on n’aura pas besoin d’aller acheter au marché…

Avoir ses entrées dans le monde

Accéder au grand monde, même si on n’y est pas né

Un homme d’église est un notable par nature. En tant que garant de la religion et de la morale, il a toujours ses entrées dans le beau monde, quelles que soient ses origines personnelles. On l’invite aux soupers et aux activités sociales de la gentry ou de la noblesse, il côtoie les dames qui s’occupent d’oeuvres de charité, il est consulté pour ses conseils…

Même un fils de petit commerçant, s’il a eu la chance de recevoir une éducation et de devenir pasteur, pourra fréquenter un milieu plus élevé que le sien et espérer en tirer des avantages.

Le patronage

Dans un domaine assez grand, le propriétaire va forcément se retrouver avec une ou plusieurs paroisses, selon le nombre d’âmes qui vivent sur ses terres (j’ai effleuré le sujet ici, car il va devoir payer une taxe sur chaque homme d’église travaillant pour lui).

Quand un propriétaire a beaucoup investi dans la vie religieuse de son domaine (c’est généralement lui qui finance la construction d’une église et qui fournit la glèbe, c’est aussi lui qui paie le salaire annuel), ça paraît normal qu’il puisse choisir en personne le pasteur qui sera en poste chez lui.

C’est ce qu’on appelait le patronage (à ne pas confondre avec le même mot en français, qui désigne des bonnes oeuvres pour les pauvres). Le maître du domaine peut, s’il le souhaite, recruter son propre candidat et le présenter à l’évêque de la région afin que ledit candidat soit officiellement instauré dans ses fonctions.

C’est l’occasion d’offrir une situation à un de ses propres enfants, ou bien au fils d’un ami à qui on doit une faveur, à quelqu’un qui nous a été chaudement recommandé, ou encore à un filleul qu’on aimerait avantager (oui, Wickham, c’est à toi que je pense !)…

Tom Hollander dans le rôle de Mr. Collins, un pasteur
Avis personnel : Tom Hollander fait un excellent Mr. Collins ! 😉

C’est exactement ce qui s’est passé avec Lady Catherine, qui a choisi notre cher Mr. Collins et l’a fait mettre en poste à Hunsford, la paroisse près de chez elle.

Cela signifie que Lady Catherine est réellement sa protectrice et son employeur. C’est elle qui fournit tout ce dont Collins a besoin pour vivre (le presbytère, le salaire, les petits accommodements), sans compter les liens avec la bonne société. Rien d’étonnant, donc, à ce que ce dernier lui soit aussi reconnaissant ! 😉


En conclusion

Épouser un garant de la morale (il y a peu de chances que celui-ci vous abandonne ou dilapide l’argent du ménage en jeux et alcools), qui est invité aux soupers de la bonne société, qui a peut-être un protecteur généreux, qui dispose d’une maison de fonction et de revenus complémentaires à son salaire… ça peut en effet être un bon parti pour une jeune femme qui se cherche une situation fiable. De plus, ces hommes-là peuvent se marier assez jeunes, car ils n’ont pas besoin de passer des années à se constituer un capital avant (comme devait le faire un militaire, par exemple, j’en ai parlé ici).

Cela dit, la position d’un pasteur n’est pas éternelle : en vieillissant, si ce dernier n’est plus en mesure d’assurer son poste, il sera remplacé et finira… sans rien (la pension de retraite, ça n’existe pas). À son décès, sa femme et ses enfants ne recevront que ce qu’il aura éventuellement réussi à épargner, car ni le presbytère ni la glèbe ne lui appartiennent. Alors si la paroisse n’était pas bien riche, autant dire qu’il n’y aura pas grand chose pour se consoler.

Ce fut le cas de Jane Austen, qui a terminé sa vie sous la protection d’un de ses frères, car au décès de son père il ne restait rien pour les femmes non mariées de la famille.

Comme toujours, tout est relatif, et on reste avec une décision épineuse :

Je l’aime à la folie… mais est-ce que je fais le bon choix si je l’épouse ?

SOURCES :
The Anglican clergy in Jane Austen's novels
Jane Austen's clergymen
Glossary of Anglican Clergy Titles
Wikipedia - Tithe
Wikipedia - Glebe
Wikipedia - Advowson
Wikipedia - Rector (in Anglican Churches)
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