
Le valet de chambre (et la différence avec un valet de pied)
Oui, je sais, je vais ENCORE vous parler des différents types de domestiques…
C’est parce que j’ai les deux pieds dedans puisque c’est de ça dont parle le roman que je suis en train d’écrire (sortie estimée en mars 2022, si tout va bien ! 😀 ), mais c’est aussi parce que vous êtes très en demande de ce genre d’explications, vu le succès qu’ont mes autres articles sur les domestiques (ici). L’influence de Downton Abbey, sans aucun doute ! 😉
Alors, aujourd’hui, on va faire la différence une bonne fois pour toutes entre un valet de chambre et un valet de pied.
Quelle est la différence entre un valet de chambre et un valet de pied ?
Ce sont deux postes bien distincts. Pour résumer :
- Le valet de pied (footman en anglais) fait le service à table, accueille les visiteurs à la porte, répond aux diverses demandes des maîtres. Il porte une livrée et on l’appelle parfois « laquais ».
- Le valet de chambre (valet en anglais) est au service exclusif du maître de maison : il l’aide à s’habiller et s’occupe de sa garde-robe.
C’est aussi simple que ça ! 😉
Même si, objectivement, il travaille moins, un valet de chambre a un rôle et un salaire plus important que le valet de pied, il est placé au-dessus dans la hiérarchie des domestiques (voyez le schéma ici). De plus, il reçoit ses ordres directement du maître, ce qui lui donne un statut privilégié.
Cela dit, quand on manque de valets de pied pour servir à table ou pour descendre les bagages de la voiture, le valet de chambre peut exceptionnellement donner un coup de main, bien que ces tâches-là soient en dessous de son rang (à l’inverse, un valet de pied pourra parfois agir comme valet de chambre si on en a besoin).

THOMAS vs MR. BATES : cette différence de rang explique la compétition entre Thomas et Mr. Bates, dans les premières saisons de Downton Abbey.
Thomas (qu’on appelle par son prénom car il est n’est qu’un valet de pied) a les dents qui rayent le parquet : il ambitionne de grimper dans la hiérarchie et de devenir valet de chambre pour se faire appeler « Mr. Barrow », gagner un meilleur salaire, travailler moins dur, et être supérieur au reste des domestiques. Sauf que le poste de valet de chambre est déjà occupé par Mr. Bates, ce qui fait que Thomas tente de lui prendre sa place par tous les moyens.
Pour en savoir plus sur le valet de pied, je vous renvoie à l’article entier que j’ai fait à son sujet, ici.
Maintenant, développons ce que fait exactement un valet de chambre…
Le valet de chambre
Les origines
Le mot valet vient du vieux français vaslet, et du latin vassellittus qui signifie « petit serviteur, page, écuyer » (c’est un diminutif de vassellus ou vassus, soit « serviteur »).
Mais alors que le valet de pied est un serviteur qui court à pied en avant du cortège pour annoncer l’arrivée du maître (encore une fois, je vous renvoie ici), le valet de chambre est un serviteur qui sert… ben… dans la chambre.
À la fin du Moyen Âge, vers le XIVe siècle, un valet de chambre était un poste offert à de jeunes hommes nobles ou privilégiés pour devenir l’assistant d’un homme puissant, s’occuper de sa garde-robe et petits objets personnels, de sa vie domestique quotidienne, voire agir comme une sorte de secrétaire particulier. La « chambre » dont il est question fait alors plutôt référence à une salle du trône qu’à une chambre à coucher, mais l’idée est là. C’est un poste de courtisan, celui d’un favori ou d’un homme de confiance qui vous connaît dans votre vie la plus intime et privée. Louis XIV – toujours le boss ultime en matière de vie de Cour – avait des dizaines de valets de chambre, dont le premier, un certain Alexandre Bontemps, était décrit comme :
Homme du secret domestique, qui sait tout du roi, de ses habitudes, de sa vie privée, et fait rarissime, ne médit ni ne colporte aucun ragot.
Les Anglais avaient un poste similaire dans leur monarchie, appelé Gentleman of the Bedchamber (« gentilhomme de la chambre à coucher »), toujours attribué à un courtisan chargé d’accompagner le roi dans son intimité, sa toilette, de veiller sur sa garde-robe, etc.
Cette prestigieuse charge de « valet de chambre » disparaît au moment de la Révolution française, mais le nom reste pour désigner le domestique de confiance, affecté au service personnel de son maître.
Les responsabilités d’un valet de chambre

On a déjà parlé ici de ce qu’est une femme de chambre (et non pas une bonne), qui s’occupe exclusivement de sa maîtresse en l’aidant à faire sa toilette, à se coiffer, à s’habiller, en prenant soin de ses bijoux et de ses robes. Le valet de chambre est le pendant masculin de la femme de chambre, il fait la même chose.
On pourrait quand même considérer qu’il travaille un peu moins qu’elle, dans le sens où c’est moins compliqué d’entretenir une garde-robe masculine du XIXe siècle (voyez le style vestimentaire des gentlemans lancé par Beau Brummel, ici), qu’une garde-robe féminine, avec ses robes somptueuses, ses coiffures compliquées, ses cosmétiques et tout le toutim.
Malgré tout, le valet de chambre a de quoi faire. Il va :
- coiffer son maître et lui couper les cheveux régulièrement.
- entretenir sa barbe et sa moustache (et la moustache, c’est super important, voyez ici). Si le maître préfère se raser lui-même, tant mieux, mais sinon le valet de chambre peut le faire pour lui.
- préparer l’eau chaude et les accessoires, l’assister pendant le bain ou la toilette.
- choisir pour lui la tenue la plus appropriée à l’évènement auquel le maître se rend (promenade, visite de courtoisie, activité d’extérieur, dîner mondain…) et l’aider à s’habiller, sachant qu’un gentleman change de vêtements plusieurs fois par jour.
- nouer sa cravate correctement (et c’est bien plus compliqué qu’il n’y paraît ! voyez ici)
- lui fournir les accessoires nécessaires (chapeau, canne, gants…) (à propos des cannes, voyez ici 😉 ).
- prendre soin des vêtements : brosser les vestes, manteaux, chapeaux, cirer les bottes et chaussures, vérifier que les chemises et cols ont été parfaitement lavés, repasser ce qui doit l’être, recoudre, réparer, nettoyer les taches, pour être bien certain que toute la garde-robe est impeccable.
- faire les bagages quand le maître part en voyage, et l’accompagner partout où il va pour continuer de s’occuper de lui.
- se tenir au courant des dernières modes, pour que le maître soit toujours à la page.
- consulter et passer commande auprès des tailleurs, parfumeurs, marchands d’étoffes, etc.
- si jamais ce n’est pas la still-room maid (voyez ici) qui s’en occupe, fabriquer certains produits comme l’eau parfumée, la poudre à dents, le cirage pour les bottes, ou bien aller les acheter en personne (on ne confie pas l’achat d’un rasoir ou d’un savon destiné au maître à un vulgaire domestique de bas étage 😉 ).
- ranger la chambre et le dressing-room du maître, veiller à ce que le ménage des bonnes soit correctement fait, préparer le bois pour la cheminée, les bougies, etc.
- servir le petit-déjeuner au lit, ou bien des alcools, du café, bref : tout ce que le maître réclame en dehors de repas à table (qui, eux, sont servis par un valet de pied).
- anticiper toute demande potentielle : répondre à un besoin avant même que ce besoin ait été formulé, ça c’est du bon service !

UN VALET POUR MONSIEUR ? Notez que seuls Monsieur et Madame disposent chacun de leur propre valet ou femme de chambre. Leurs enfants, même s’ils sont adultes, n’en ont pas, car on ne devient pas adulte en raison de l’âge, mais plutôt à partir du moment où on est indépendant et qu’on possède son propre. Pour s’habiller le soir, les « grands » enfants recevront l’aide d’un valet de pied ou d’une bonne, voilà tout.
Au début de Downton Abbey, Matthew Crawley a son propre valet de chambre, car même s’il n’est pas marié, il est le chef de famille (une famille composée de lui et sa mère). En revanche, Mary et ses soeurs, non mariées, utilisent les services de la bonne Anna. Mary n’aura une femme de chambre attitrée qu’à partir du moment où elle sera mariée (et elle demandera à Anna, ce qui fait que cette dernière changera de poste et grimpera dans la hiérarchie des domestiques).
Confiance et confidences
Le valet et la femme de chambre travaillent au plus près des maîtres, ils partagent leur intimité et se tiennent dans leur ombre. Pour autant, ils sont toujours des domestiques, pas des amis. Ils doivent donc se montrer familiers, mais pas trop, et surtout rester excessivement discrets sur leurs maîtres et sur les confidences et secrets que ceux-ci peuvent leur partager.
En échange de cette relation de confiance, le valet et la femme de chambre recevront ce statut privilégié, et le bon salaire qui va avec. C’est aussi à eux que leurs maîtres donneront les anciens vêtements dont ils ne veulent plus. Un valet de chambre ne porte pas de livrée, il est plutôt vêtu comme un gentleman, mais doit faire attention à être moins chic que son maître pour qu’on ne les confonde pas.
Encore une fois, ils ne font pas partie du même monde, même s’ils se côtoient de près : il y a toujours une distinction à respecter.

Le meuble « valet de chambre »

Il sert tout simplement à déposer proprement ses vêtements le soir, pour les retrouver le lendemain sans qu’ils ne soient froissés. Évidemment, on l’appelle valet de chambre (parfois valet de nuit ou valet muet) en écho au travail similaire qu’aurait fait un vrai domestique. Il comporte en général :
- un cintre pour la veste
- une barre pour le pantalon
- une tablette de rangement pour les accessoires
Je n’ai pas réussi à dater précisément l’apparition de ce genre de meuble, mais je suppose que c’était quelque part vers la fin du XIXe siècle, étant donné que les cintres, eux, ont été inventés en 1869.
En conclusion
Le valet de chambre était parfois appelé « le gentleman du gentleman », pour souligner son caractère noble, élégant et ayant des manières, bien qu’il soit un domestique appartenant à la classe des travailleurs et non pas un véritable gentleman bien né.
On disait aussi (proverbe anglais) :
Aucun homme n’est un héros pour son valet.
Ce proverbe est tiré d’une citation de Charlotte Aïssé, femme de lettres française du siècle des Lumières, qui écrivait en 1728 :
Je vous renvoie à ce que disoit madame Cornuel, qu’il n’y avoit point de héros pour les valets de chambre, et point de pères de l’Église parmi ses contemporains.
Autrement dit, vous pouvez vous donner tous les airs que vous voudrez, votre valet vous connaît si intimement que vous ne ferez jamais illusion auprès de lui… 😉
SOURCES : Livre : Mrs Beeton’s Book of Household Management, par Isabella Beeton (1861) Livre : The Encyclopedia of Domestic Economy, par Thomas Webster (1852) Regency Servants: Valet and Lady’s Maid Wikipedia - Valet Wikipedia - Valet de chambre Wikipédia - Premier valet de chambre (France) Wikipédia - Alexandre Bontemps Victorian.com - Duties of a valet Jane Austen's World - The duties of a valet Englands Puzzle - The Valet “No man is a hero to his valet” – the backstory on a famous proverb and misquote... Wikipédia - Valet de nuit (meuble)

