Tout le XIXe siècle

Le prix d’une maison dans l’Angleterre du XIXe siècle

Je ne sais jamais à l’avance quel sera le sujet de mon prochain article de blog. En général, je cherche mon sujet le lundi, j’écris l’article le mardi et je publie le mercredi.

Aujourd’hui, j’ai été inspirée par un commentaire d’une lectrice du blog, qui cherchait à savoir combien pouvait bien coûter une maison dans l’Angleterre du XIXe. Et il se trouve que j’ai trouvé une source super intéressante qui devrait pouvoir répondre (au moins dans les grandes lignes) à cette question.


Combien coûte une maison neuve dans les années 1860

Je vais vous citer ci-dessous des extraits du livre The Gentleman’s House, par l’architecte Robert Kerr, sorti en 1865.

Ce livre traite de toutes sortes d’habitations qu’un architecte peut construire, des plus modestes aux plus somptueuses, selon des styles architecturaux différents, et fournit une échelle de prix pour les années 1860 à Londres et à la campagne. Gardez en tête qu’on parle seulement d’habitations unifamiliales, où la totalité du bâtiment est destiné à une seule famille et à ses domestiques (et non pas divisé en plusieurs appartements, comme on en trouvait en ville). L’architecte s’adresse aux gentlemans assez riches pour vouloir se faire construire leur propre country house.

Pour évaluer les coûts, on compte absolument tous les espaces de la maison, les pièces, les couloirs et escaliers, et jusqu’aux divers espaces de rangements utilisés par les domestiques qui sont de tailles très variables (comme par exemple une réserve à linge ou garde-manger : on rentre dedans mais c’est plutôt l’équivalent d’un grand placard et non pas une pièce entière). Gardez donc en tête que ce n’est pas parce qu’on cite une pièce qu’elle fait forcément 9m2 ! Il peut parfois s’agir d’un simple réduit ou un placard d’à peine 1 mètre sur 2…

De plus, à l’époque, les volumes et les superficies sont calculés selon plein de critères. Voyez plutôt :

De ce que j’en ai compris :

  • Les pièces dédiées à la famille et celles des domestiques n’ont pas la même valeur (ce qui est logique vu que ce ne sont pas les mêmes qualités de lieux en terme de proportions, matériaux, finitions, luminosité, etc). À cela il faut aussi ajouter les bâtiments annexes de la maison comme par exemple une écurie.
  • On mesure au sol la superficie en pieds… euh… cubes. Ben oui, pieds cubes, allez savoir pourquoi. À Londres, en 1865, les prix sont de :
    • 8 à 15 pennies par pied3 pour les espaces de la famille
    • 6 à 10 pennies par pied3 pour les espaces des domestiques
    • 4 à 8 pennies par pied3 pour les bâtiments annexes
  • En plus de ces pieds cubes mesurés, on tient compte de la hauteur moyenne des pièces et on obtient un prix en livres sterling par Superficial Square (des « carrés de superficie », une mesure ancienne utilisée par les architectes, maçons, charpentiers, etc)
  • On obtient alors le prix pour les pièces de la famille, celle des domestiques, et les autres bâtiments s’il y en a
  • … mais c’est pas fini ! En plus du calcul de surface au sol, on ajoute aussi un montant de 1/5ème du prix de cette surface, censé correspondre à la valeur des murs.
  • Et enfin, le prix peut aussi grimper avec d’autres atouts comme la présence de clôtures et de barrières autour de la maison, d’une serre, d’une écurie, d’une maisonnette pour le jardinier ou le gardien, etc.

Si vous ne connaissez rien au système impérial, je rappelle vite fait que 1 pied = 30cm, et qu’il faut à peu près 3,25 pieds pour faire 1 mètre. Une surface de 45m2 donne grossièrement 500 pieds2 (j’arrondis, j’arrondis…).

… je rappelle aussi que un penny vaut 1/240ème de livre sterling et que 1£ en 1860 vaudrait 60£ actuelles, soit environ 70 euros.

Pour tout comprendre sur les livres sterling, j’en ai fait un article entier ici 😉


Se faire construire une maison de 1.250£

Attention, j’illustre tout ça un peu au feeling ! Ici, deux maisons de ville mitoyennes, à Londres. Aujourd’hui, elles valent forcément une fortune, mais à l’origine, ce sont des maisons plutôt modestes.

Pour la famille :

  • 1 salle à manger
  • 1 salon
  • 1 porche (c’est un perron couvert pour ne pas se mouiller en descendant de voiture, il est visiblement compté comme une pièce et pas un extérieur)
  • 2 halls/paliers avec escaliers
  • 4 chambres à coucher
  • 1 dressing
  • 1 nurserie
  • 1 salle de bain et W.C.
  • 1 couloir desservant les chambres

Pour les domestiques :

  • 1 cuisine
  • 1 arrière-cuisine et salle de lavage
  • 1 lardier (pour conserver les viandes) ou garde-manger
  • 3 pièces diverses (incluant probablement une salle à manger pour les domestiques)
  • 1 bureau pour l’intendante (sert aussi pour conserver l’argenterie et la porcelaine)
  • 1 espace de stockage pour le linge
  • 1 salle de boucherie (pour plumer/vider/écorcher/préparer les viandes)
  • 1 W.C.
  • 1 cave à charbon
  • 1 cave à vin
  • 1 cave à bière et autres
  • 1 chambre (possible que ce soit la chambre de l’intendante et que les autres serviteurs dorment sur des paillasses ou dans des alcôves dans les pièces de travail)
  • 1 hall/espace de circulation

C’est une maison modeste mais pas énorme, qui conviendrait à une famille de petits bourgeois ou de la classe moyenne supérieure. Ils disposent a priori de 3 ou 4 domestiques, dont une intendante (mais pas de majordome).

TOTAL : à Londres = 1.250£, à la campagne = 850 à 1.200£

En considérant à la très grosse louche qu’1£ de l’époque vaudrait 70€ d’aujourd’hui, ça donnerait une maison de 87.500€ (attention : sans le terrain, juste la maison).


Se faire construire une maison de 5.000£

Groombridge Place, petit manoir construit en 1662, lieu de tournage pour Longbourn dans le film Orgueil et préjugés.

Pour la famille :

  • 1 salle à manger
  • 1 salon
  • 1 bibliothèque
  • 1 salon du matin
  • 1 bureau pour Monsieur
  • 1 boudoir pour Madame
  • 1 vestiaire avec W.C.
  • 1 porche
  • 1 hall d’entrée
  • 1 entrée côté jardin
  • 2 corridors et 1 passage au rez-de-chaussée
  • 3 paliers et escaliers
  • 9 chambres à coucher
  • 3 dressings
  • 2 nurseries
  • 2 salles de bain avec W.C.

Pour les domestiques :

  • 1 cuisine
  • 1 arrière-cuisine
  • 2 lardiers et/ou garde-mangers
  • 1 laverie
  • 1 blanchisserie
  • 1 salle pour le linge
  • 1 salle de service
  • 1 bureau pour le majordome (on y conserve notamment l’argenterie)
  • 1 bureau pour l’intendante
  • 1 still-room (une pièce pour fabriquer les produits de droguerie, voyez ici)
  • 1 salle à manger des domestiques
  • 1 placard pour la bonne
  • 1 salle de boucherie et pour nettoyer les chaussures
  • 1 salle de brossage
  • 2 W.C. et salle pour les cendres (qui sont récoltées, entreposées, réutilisées pour plein de choses, incluant le compost des W.C. justement)
  • 1 cave à vin
  • 1 cave à bière
  • 1 cave à charbon
  • 1 cave supplémentaire
  • 4 chambres
  • 3 paliers et escaliers
  • 3 corridors ou passages
  • 1 salle de stockage pour le mobilier et les boîtes ou bagages

Voilà l’exemple d’une famille de la bourgeoisie ou de la gentry, avec des chambres d’amis pour recevoir en grand. Ils ont probablement 8 à 10 domestiques, incluant un majordome et une intendante.

TOTAL : à Londres = 5.000£, à la campagne = 3.500 à 4.750£ (soit un très approximatif 350.000€)


Se faire construire une maison de 20.000£

Southill House, construit au début du XVIIIe, un autre manoir ou petit château

Pour la famille :

  • 1 salle à manger
  • 1 salon
  • 1 salon pour le matin
  • 4 pièces de réception et salons divers
  • 1 salle pour le petit-déjeuner
  • 6 pièces pour Monsieur et Madame (chacun sa chambre + son dressing + son bureau/boudoir)
  • 1 billard
  • 1 bibliothèque
  • 1 cabinet de curiosités
  • 1 vestiaire
  • 1 salle d’eau avec W.C.
  • 1 armurerie
  • 24 chambres et dressings
  • 2 nurseries
  • 1 salle de classe (pour que la gouvernante fasse l’école à la maison, voyez ici)
  • 1 porche
  • 1 hall d’entrée
  • 1 entrée côté jardin
  • 1 entrée pour les bagages
  • 1 couloir/galerie ou cour intérieure au rez-de-chaussée
  • 1 couloir/galerie à l’étage
  • 3 corridors
  • 2 vestibules
  • 2 paliers principaux pour les escaliers
  • 6 paliers pour les escaliers secondaires
  • 2 salles de bain
  • 3 W.C.

Pour les domestiques :

  • 1 cuisine
  • 1 arrière-cuisine
  • 2 lardiers et/ou garde-manger
  • 1 salle pour fabriquer les produits laitiers
  • 1 salle pour faire le pain et/ou la bière
  • 1 salle pour les fours
  • 1 placard chaud (pour garder les plats chauds)
  • 1 réserve à farines
  • 1 salle de lavage
  • 9 salles de travail diverses
  • 1 laverie
  • 1 placard à linge sale
  • 1 blanchisserie
  • 2 réserves à vaisselle
  • 1 office (pour entreposer la vaisselle et permettre le service dans la salle à manger des maîtres)
  • 1 bureau pour le régisseur (il s’agit du régisseur de la maison – le house steward – et non pas du régisseur du domaine, voyez la nuance ici)
  • 1 bureau pour le majordome
  • 1 bureau de l’intendante
  • 1 still-room
  • 1 pièce de stockage divers
  • 2 placards de stockage divers
  • 1 placard à porcelaine
  • 1 salle à manger pour les domestiques
  • 1 salle pour les femmes (une salle de repos, peut-être ?)
  • 2 placards pour les bonnes (pour entreposer le matériel de ménage)
  • 1 salle de brossage (pour les chapeaux, manteaux et vêtements boueux)
  • 1 salle de boucherie
  • 1 salle de cirage (pour les souliers et bottes)
  • 1 salle pour les lampes (pour entreposer, nettoyer, remplir les lampes à huile)
  • 1 salle de cendres
  • 3 W.C.
  • 2 caves à charbon
  • 1 réserve de bois (pour les belles cheminées dans lesquelles on met des bûches et non pas du charbon)
  • 3 caves à vin
  • 1 cave à bière
  • 3 caves ou réserves supplémentaires (pour stocker les surplus)
  • 1 grenier pour les meubles (pour entreposer le mobilier)
  • 1 salle pour entreposer les bagages
  • 1 glacière (pour conserver de la glace, voyez ici)(ça peut être une cave creusée loin de la maison, ou bien sous la maison)
  • 10 chambres à coucher et autres pièces
  • 5 paliers et escaliers de service
  • 2 paliers et autres passages de service

Cette fois, on parle d’une famille de la grande bourgeoisie ou de l’aristocratie, avec un beau gros manoir (je pense à Chatsworth House avant ses travaux d’agrandissement, ou encore à Haddon Hall, on en avait parlé ici). La taille de la maison n’est plus proportionnelle au nombre de ses habitants, mais bien au prestige qu’on peut se permettre et au nombreux invités qu’on souhaite recevoir. Comme on a à la fois un régisseur qui vit dans la maison, un majordome et une intendante, ça suppose qu’il doit bien y avoir 30 à 40 domestiques à diriger au quotidien.

TOTAL : à Londres = 20.000£, à la campagne = 14.000 à 19.000£ (soit un toujours très approximatif 1.400.000€)

Château de Balmoral

NOTEZ qu’on peut évidemment trouver des « maisons » encore bien plus chères, au delà de 40.000£, et qui sont principalement la propriété de grands aristocrates ou de capitalistes richissimes. Rendus là, ce ne sont plus du tout des maisons, mais des châteaux, qui peuvent compter des centaines de pièces et jusqu’à 70 domestiques.

On y retrouverait probablement le Highclere Castle de Downton Abbey à l’époque où il fonctionnait à plein régime, le Chatsworth House d’après ses gros travaux d’agrandissement, ou encore le château de Balmoral acheté au prix de 30.000£ par la reine Victoria et le prince Albert en 1848 (avant d’y investir en travaux, ce qui lui a encore fait gagner de la valeur).


En conclusion

Comme les prix ci-dessus datent des années 1860, il faut en enlever ou en ajouter un peu pour jouer avec l’inflation et obtenir des prix approximatifs pour le tout début ou la toute fin du XIXe siècle.

Mais attention, je rappelle encore qu’on n’a parlé que du prix de la maison elle-même, et pas du terrain – voire du domaine entier – qui pourrait s’étendre autour. On n’a pas non plus parlé des salaires de l’architecte, du notaire et de divers extras qui accompagnent ce genre de construction.

Je ne sais pas combien coûterait une maison « usagée » en comparaison d’une maison neuve. Reste qu’en utilisant ce petit calculateur (qui m’amuse toujours beaucoup), on constate que pour s’offrir une modeste maison de seulement 1.250£, il fallait à un ouvrier qualifié 6250 jours de salaire, soit plus de 17 ans de boulot ! Autant dire que déjà, en 1860, posséder sa propre maison était réservé aux classes sociales supérieures (soient qu’elles en aient hérité, soit qu’elles aient hérité de l’argent nécessaire à un tel achat). Les travailleurs, eux, devaient se contenter de rester locataires toute leur vie…

SOURCES :
Livre – The Gentleman’s House, par Robert Kerr (1865)
Peek Inside the Typical Regency Era Townhouse
Spitalfields Life – Ben Rea, illustrator
Victorian Money – How much did things cost?

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