
Une histoire de cravate
Quand on pense « Régence », on pense généralement aux ravissantes robes à taille empire, mais aussi aux redingotes bien coupées de ces messieurs. C’est vrai qu’ils sont chics, y’a pas à dire !

Beau Brummell (dont je raconte la vie ici) a été le tout premier à lancer la mode du dandy, cet homme élégant qui prend soin de lui, et qui, pour se montrer sous son meilleur jour, mise sur une sobriété stylée plutôt que sur un tape-à-l’oeil cliquant. Le bon goût et la classe, quoi !
C’est à lui que nous devons ces belles redingotes sombres, parfaitement ajustées (dont découlent les costumes trois pièces que nos hommes portent aujourd’hui), mais pas seulement : il est aussi à l’origine d’un engouement fou pour les noeuds de cravate, dont la maîtrise est si complexe que ça en devient rigolo !
L’art de la cravate
Petite histoire

Porter une cravate n’a rien de nouveau. On le fait depuis des siècles dans différentes cultures (les soldats chinois de l’empereur Qin en avaient déjà, les Romains également).
Cela dit, la cravate revient en force en Europe au début du XVIIème siècle, où elle remplace progressivement les jabots de dentelle, qui, eux-mêmes, remplaçaient les encombrantes fraises de la Renaissance.
Son usage premier est tout simplement de se protéger du froid, mais ça n’a pas été long avant qu’on en fasse un accessoire esthétique.
PRÉCISION : Le mot cravate serait une déformation du mot « croate », et viendrait de soldats croates que Louis XIII avait embauchés et qui portaient ce genre d’accessoire. Sans surprise, ce mot aurait ensuite été repris en anglais.
De toutes les couleurs… mais surtout du blanc !
Comme vous le savez sans doute déjà, la Régence marque une rupture brutale avec la mode du XVIIIème siècle en adoptant le style néo-classique, qui s’inspire de l’Antiquité et allège beaucoup les vêtements et les coiffures pour revenir à quelque chose de plus sobre qu’avant.

Du côté des femmes, c’est donc l’avènement des robes à taille empire, légères et vaporeuses (et transparentes ! j’en parle ici 😉 ), et du côté des hommes c’est Brummell qui mène la danse : il s’est positionné en maître du bon goût, véritable ministre de la mode masculine, et il a décidé qu’une cravate élégante était forcément immaculée. Alors, si Brummell l’a dit, toute l’Angleterre suit (ouaip, des peoples qui lancent des modes, ça a existé de tous temps).
Pendant la journée, chez lui, un homme de la Régence peut porter une cravate blanc cassé, ou avec de petits motifs, ou encore une cravate de couleur. Mais lorsqu’il se met sur son 31 pour une sortie mondaine, c’est le blanc parfait qui est de rigueur.

La version noire était au départ exclusivement réservée aux militaires. Mais la mode étant ce qu’elle est, c’est à dire extrêmement changeante, à partir de 1815 on passe peu à peu à la cravate noire. C’était inédit, à l’époque, et c’est encore une fois Brummell qui a donné l’exemple (pour une raison à la con, d’ailleurs, car il semblerait qu’il était tout simplement endetté et que, n’ayant plus les moyens de se payer des services de blanchisserie, il serait passé au noir).
Mais si Brummell l’a dit, encore une fois toute l’Angleterre a suivi…
Des noeuds compliqués
L’importance de l’apparence
J’ai déjà parlé ici de cette idée selon laquelle les aristocrates s’imaginent être une sorte de crème de l’humanité (par opposition au petit peuple rustre qui ne connaît rien à rien). Et la gentry, qui se trouve juste en dessous des nobles sur l’échelle sociale, fait tout pour leur ressembler.
On est encore dans cette vieille idée selon laquelle l’extérieur est le reflet de l’intérieur. Pour un noble ou un gentleman, être habillé à la dernière mode, parfaitement rasé, coiffé, soigné, c’est essentiel. Cela montre qu’on est une personne de qualité (on est bien né), qu’on a du goût (on est éduqué et raffiné), qu’on a le temps de prendre soin de soi (on a les moyens de ne pas travailler) et aussi qu’on a un excellent valet de chambre (on a les moyens de se le payer !) (voir ici pour plus d’infos sur ce type de domestique).
À l’inverse, oser se montrer en public dans une tenue négligée, c’est s’exposer à la critique sociale : au mieux, vous passerez pour un original, au pire on évitera de vous fréquenter. Le code vestimentaire est plutôt strict, alors il s’agit d’éviter les faux-pas…
Une folle passion pour un petit bout de tissu
Avec tout ça, allez savoir pourquoi, pendant la Régence les Anglais se sont pris d’une véritable passion pour les noeuds de cravate. Un engouement qu’on ne retrouvait pas autant en France ou dans les autres pays européens.
Il existait des dizaines de noeuds différents ! Un vrai savoir-faire, toujours plus compliqué, plus difficile à maîtriser… et donc toujours plus élitiste.



Notez que même si la majorité des cravates sont nouées, l’épingle est déjà utilisée. Le plus souvent elle est invisible et ne sert qu’à maintenir la cravate en place, mais parfois elle s’affiche comme ornement.
C’est le cas de la cravate de bal, qui se porte avec une belle épingle au milieu.
Un petit bout de tissu, certes, mais pas n’importe lequel !
Ça n’a l’air de rien, mais c’était un sacré boulot d’entretenir les cravates d’un gentleman !
D’abord, elles peuvent avoir différentes longueurs et largeurs, en fonction du type de noeud que l’on souhaite réaliser. On n’a donc pas une cravate, mais bien DES cravates (des douzaines et des douzaines, même !).
Elle doit être impeccablement lavée (les taches de nourriture devaient être courantes), puis empesée avec de l’amidon afin que le tissu ait plus de tenue, et enfin repassée et soigneusement pliée.
Ensuite, seulement, on peut se préoccuper du noeud qu’on va réaliser avec. Et là, on retient son souffle, parce que certains noeuds sont si compliqués que si on ne les réussit pas du premier coup, on ne pourra pas les défaire pour les refaire aussitôt : on aura gâché la cravate en la froissant, et il faudra tout recommencer… avec une autre cravate.
C’est une affaire très sérieuse, attention ! 😉

FIN DE L’HISTOIRE (?) : C’est durant l’époque victorienne, probablement en réaction face à trop de complexité, qu’apparaît la cravate « régate », longue, étroite, et beaucoup plus simple à nouer.
C’est de là que vient notre cravate moderne, qui continue elle aussi d’évoluer en termes de longueur et de largeur, en fonction de la mode. Ça fait longtemps qu’elle ne protège plus du froid, par contre… 😉
En conclusion
Quand je pense à ces belles redingotes, et à ces chemises et ces cravates qui montent bien haut sous le menton, je me dit toujours : « C’est logique, on est en Angleterre, avec un climat humide et des maisons impossibles à chauffer, alors c’est normal que les gens se couvrent pour ne pas attraper la crève tous les matins ».
Ensuite, je constate qu’à l’opposé, certaines tenues de jeunes femmes ont l’air franchement trop légères ou trop décolletées. Comme, en plus, je suis du genre à choper un rhume dès qu’un courant d’air passe, je m’interroge…
Mais couvre-toi donc, ma fille : tu n’as rien sur le cou ! Tu n’as pas vu qu’on est en avril et qu’il pleut des cordes ?!

Et inversement, je me dis que les soirs de bal, les pauvres danseurs endimanchés devaient crever de chaud sous leurs belles cravates si savamment nouées…
Comme quoi, réussir à être élégant ET confortable en même temps, c’est un combat qui dure depuis longtemps !

SOURCES :
Cravat tying tips for the Georgian or Regency gentleman
The art of tying the cravat
How to tie a Regency cravat
Regency gentleman's fashions: the cravat
L'histoire de la cravate
Wikipédia - Cravate
Tea in a teacup : Neckclothitania

