Majordome du XIXe siècle
Tout le XIXe siècle

Le travail d’un majordome au XIXe siècle

Comme je le disais hier en annonçant la sortie de mon prochain roman, Une petite servante savante, ça a été pour moi l’occasion de fouiller en détail la vie et la hiérarchie des domestiques de l’époque victorienne. J’en ai souvent parlé dans différents articles de ce blog, d’abord de façon générale, puis en prenant chaque poste un par un pour les décrire en détails (vous retrouverez tout ça ici). Je n’ai pas fini de faire ce genre de portraits, mais aujourd’hui c’est au tour du majordome.

Alors… Ça faisait quoi, au quotidien, cette petite bête-là ?


Petite définition

Mr Carson, majordome, Downton Abbey

Le mot majordome vient du latin major (le plus haut) et domus (la maison).

Il est le plus haut gradé de tous les domestiques. Techniquement, il est à égalité avec l’intendante, mais dans les faits, du fait qu’il est un homme il est souvent considéré comme l’ultime autorité parmi tous les domestiques. Cela dit, mieux vaut qu’il s’entende bien avec l’intendante, pour diriger de concert toute la maisonnée.

Si on remonte à la fin de l’époque médiévale et à la Renaissance, la maison d’un grand seigneur était régie par un personnage important, l’intendant (aussi appelé maître d’hôtel), dont le rôle était de superviser l’approvisionnement en vivres, la préparation et le service des repas, la tenue de la maison ou encore la logistique des voyages du seigneur. Avec le temps, ce rôle s’est divisé, si bien qu’au XIXe siècle on retrouve plutôt :

  • un régisseur pour s’occuper de l’ensemble du domaine (voyez ici), ou parfois de la maison elle-même (sur le plan de la comptabilité, des gros achats, de la gestion de travaux de rénovation…)
  • une intendante pour superviser l’achat des vivres, la préparation des repas et le ménage (voyez ici)
  • un majordome pour faire le service auprès des maîtres, en particulier à table

Le majordome travaille de façon visible, au contact direct avec les maîtres. Il s’agit souvent d’un homme expérimenté, pas forcément très âgé, mais ayant longtemps été domestique dans des postes subalternes. Il dispose de son bureau personnel, qui lui sert de lieu de travail ou de repos, et qui est aussi généralement l’endroit où sont stockés les vaisseliers pleins d’argenterie ou de porcelaine fine.


Servir à table

Le déroulement des repas, en particulier dans l’Angleterre victorienne, c’est une véritable chorégraphie. Appelez ça « art de vivre » si vous voulez, n’empêche que tout est millimétré et qu’il n’y a aucune place à l’improvisation. 😉

Avant le repas

  • Il dresse la table (ou supervise ceux qui le font). Si vous avez déjà travaillé en hôtellerie, comme moi, vous savez à quel point le dressage de la table est un savoir-faire qui ne s’improvise pas… et qui se mesure ! Un majordome a toujours une règle à la main pour vérifier l’espacement des assiettes/verres/couverts/etc, afin que l’ensemble soit d’une géométrie et d’une harmonie visuelle impeccables
  • Il s’assure de la propreté de la pièce, de la table, de tout ce qui s’y trouve
  • Il vérifie que tous les plats, chauffe-plats, boissons, etc, sont prêts
  • Il sonne le gong ou la cloche pour prévenir les membres de la famille que le repas sera bientôt servi (afin que ces derniers changent de vêtements, puisqu’on s’habille le soir pour dîner, même lors d’un simple repas quotidien en famille)
  • Lorsque la cuisine est prête à envoyer le premier plat, si jamais les maîtres sont au salon (pourquoi pas avec des invités), il se présente à la porte ou s’adresse au maître par-dessus son épaule pour l’avertir que le repas peut commencer.
– En haut, une règle en bois du XIXe, qui sert à tout et qu’un majordome utiliserait couramment.
– En bas, une règle très rare, datant de 1902, faite exprès pour un majordome avec son extrémité recourbée permettant de s’appuyer sur le rebord de la table.

Pendant le repas

  • Il se tient à gauche derrière le maître, et sert le premier plat
  • Par la suite, il se tient près de la console où sont les carafes de vin, et pendant tout le repas il s’assure qu’aucun verre n’est vide
  • S’il est seul ou presque, il servira lui-même les plats, mais s’il y a assez de valets de pied, alors il s’assurera que ces derniers effectuent le service correctement, donnera le signal pour l’enchaînement des plats, et se contentera de s’occuper seulement des vins.
  • Au dessert, il y a moins de stress car il n’y a plus d’autres plats à apporter ensuite, donc le majordome reste seul avec un valet de pied, les autres valets quittent la pièce. Il pouvait arriver, au début du XIXe que le majordome enlève la nappe (pour supprimer les taches et miettes) et que les maîtres prennent leur dessert directement sur la table de bois ciré, mais cette habitude se perd à l’époque victorienne (à la place on voit arriver des accessoires comme le ramasse-miettes, voyez ici)
  • Les maîtres quitteront la table quand ils en ont envie, à la fin du dessert, pour se rendre au salon ou au fumoir poursuivre la soirée. Généralement, le majordome s’éclipse de la salle à manger un peu avant eux pour vérifier que le salon et le fumoir sont en ordre, qu’il y a du feu dans les cheminées, des bougies ou des lampes à huile pleines, etc.

Après le repas

  • Quand les maîtres ont quitté la salle à manger pour de bon, le majordome débarrasse lui-même et/ou supervise les valets qui débarrassent la table. Généralement, il s’occupe en personne des objets plus délicats ou précieux
  • S’il y a un thé ou un souper à servir au salon, il s’en occupe également
  • Plus tard, une fois la vaisselle est terminée (voyez ici), le majordome compte et range dans les vaisseliers tous les articles utilisés pendant le repas : porcelaine fine, argenterie, cristal… Il vérifie si quelque chose manque ou a été brisé/abîmé. Ces vaisseliers sont généralement fermés à clé pour éviter les vols. Pour ce qui est du linge de maison (nappes, serviettes), cela partira plutôt du côté de l’intendante, qui surveille le lavage du linge par les blanchisseuses.
  • À la toute fin de la soirée, quand les maîtres montent se coucher, le majordome verrouille les portes, ferme les volets et les fenêtres, s’assure que les bougies et les feux sont éteints, fait une dernière ronde pour vérifier que tout est en ordre et peut monter se coucher à son tour.

Oenologue et sommelier

La responsabilité la plus importante du majordome, ce sont les vins et alcools.

Côté français, on peut rapprocher ce poste de celui d’échanson, l’officier autrefois chargé de servir du vin au roi. En anglais, c’est encore plus clair, car un majordome se dit butler, un mot dérivé du français bouteiller, le responsable des vins.

Rappelons que les habitudes de consommation d’alcool du XIXe nécessitent un poil plus de travail que juste dégainer un tire-bouchon. Par exemple, dans une grande maison prestigieuse, on achète souvent son vin en tonneaux plutôt qu’en bouteilles. À cela, il y a plusieurs raisons :

  • on boit beaucoup de vin à table parce que culturellement ce sont les classe sociales supérieures qui boivent du vin alors que les travailleurs boivent de la bière, et aussi parce que l’eau n’est pas forcément très potable (ici). Acheter en gros est donc plus intéressant.
  • l’Angleterre ne produit pas de vins, elle importe ceux de France, Espagne, Italie… Cette importation se fait bien sûr en tonneaux (les bouteilles briseraient), donc il faut garder en tête que la production du vin et sa mise en bouteille sont deux étapes bien séparées. D’ailleurs, la mention « Mis en bouteille au château » n’a fait son apparition qu’en 1924, justement pour donner un gage de qualité à des vins embouteillés par le vigneron lui-même, et non pas par un obscur intermédiaire qui aurait pu dénaturer le produit au passage.

Pour notre grande maison prestigieuse, le vin arrive donc parfois en tonneaux, parfois en bouteilles, et dans tous les cas, il va falloir « travailler » ce vin avant de le servir. On va par exemple le filtrer, le clarifier, y ajouter des adjuvants pour en améliorer le goût, ou l’embouteiller soi-même, et par conséquent il faudra aussi laver les bouteilles vides pour les réutiliser, ou encore les échanger avec le marchand de vin contre des bouteilles pleines (hé oui, ça fonctionnait un peu comme une consigne). Rappelons aussi qu’on n’apporte pas le vin sur la table dans sa bouteille : il est d’abord décanté, aéré, mis en carafe… Tout ça fait qu’entre le moment où le vin arrive dans la maison et celui où il est versé dans le verre des maîtres, il y a tout un tas de manipulations à prévoir, qui relèvent du majordome.

Avec ça, il doit aussi tenir compte des goûts du maître de la maison. Comme je l’avais déjà précisé ici, à table, Monsieur doit savoir choisir en connaisseur les vins qu’il offrira à ses invités. La sélection des alcools pour accompagner une grande réception va donc souvent être l’objet d’une discussion entre le maître et son majordome, qui le conseillera.

Et tout ça est valable pour les vins, mais aussi les alcools forts (porto, whiskey, cognac…). Et si jamais la maison brasse elle-même la bière qu’elle sert à ses domestiques, le majordome pourrait ou pas le faire lui-même mais il mettra son nez dedans pour s’assurer que tout est fait correctement. Le majordome est donc en charge de tous les alcools, et à ce titre il est le seul à posséder les clés de la cave à vins pour avoir toujours un oeil sur ce qui y entre et ce qui en sort.

ET LES VINS MAISON, ALORS ? Dans mon roman, je parle de cette gestion de la cave à vins. Mais il y avait aussi des alcools faits maison par les cuisinières (vin d’orange, de groseilles, de dattes, hydromel…) et qui faisaient partie de la consommation courante d’une maison, maîtres comme serviteurs. Je ne sais pas dans quelle mesure ça relevait ou pas d’un majordome, mais j’ai personnellement préféré imaginer que ces vins étaient moins « nobles » et qu’on les conservait dans le garde-manger plutôt que dans la cave.


Autres tâches

Selon le nombre de domestiques présents dans la maison, le majordome pourra ou non déléguer certaines de ses responsabilités. Par exemple :

  • Répondre à la porte (le premier valet de pied peut également le faire)
  • Répondre à la cloche (pareil)
  • Aider son maître à s’habiller si jamais le valet de chambre n’est pas disponible
  • Tenir à jour l’inventaire de la porcelaine, de l’argenterie, du cristal, et surtout de la cave à vins
  • Payer des factures de fournisseurs (c’est plutôt l’intendante qui s’en occupe, mais le majordome peut parfois prendre la relève, surtout si ça concerne les alcools)
  • Embaucher ou virer des domestiques (là aussi c’est plutôt conjointement avec l’intendante)

Le look d’un majordome

Pour finir, je voudrais souligner un point…

Contrairement aux valets de pied (ici), un majordome ne porte pas de livrée. À la place, il doit être habillé avec élégance pour montrer aux invités que la maison de Monsieur est d’un haut standing (souvenez-vous, on avait parlé des valets embauchés pour leur silhouette et leur belle gueule, parce que ça rehausse le prestige de leur maître).

MAIS.

Un majordome ne doit pas non plus être mieux habillé que son maître. Pire : un majordome ne doit surtout pas être confondu avec son maître !

C’est valable également pour le valet de chambre (ici), d’autant que celui-ci est supposé être très au courant de la mode pour bien habiller son patron, et qu’en outre il reçoit souvent les vieux vêtements que ce dernier lui donne. Il faut être élégant, mais si possible légèrement daté, légèrement moins chic, légèrement plus tout à fait à la mode, pour qu’un visiteur de Monsieur comprenne tout de suite qu’il a affaire à un domestique, et non pas à un gentleman.

Un petit jeu qui se joue avec beaucoup de subtilité…

Qui est le maître ? Qui est le serviteur ? Ce n’est qu’une histoire cravate…

LE GENRE DE DÉTAIL que la série Downton Abbey a traité tout en finesse, dans un épisode où Lord Grantham se présente au dîner avec la mauvaise chemise et le mauvais noeud papillon (pour des histoires de valets de chambre qui se jouent de vilains tours), et sa mère, Lady Violet, en se tournant vers lui, lui demande un verre avant de s’excuser : « Oh ! Je vous avais pris pour le majordome… »

Sacrée Lady Violet… 😉


En conclusion

Voilà ! Vous connaissez tout de la vie de Carson et de ses compères, maintenant 😉

Comme je le disais dans l’article sur l’intendante, c’est elle, surtout, qui est indispensable, car elle gère toutes les coulisses. Dans une maison plus petite, qui ne compte par exemple que 3 ou 6 domestiques, un majordome serait complètement superflu car un valet de pied pourrait très bien faire le service à lui tout seul. Ou alors, on pourrait imaginer un maître vivant seul, avec seulement 3 ou 4 personnes pour le servir, et dans ce cas, il préfèrera peut-être avoir un majordome « fourre-tout » qui lui servirait à la fois d’intendante, de valet de chambre, de valet de pied, d’assistant personnel…

Le poste de majordome est donc très prestigieux, puisqu’il s’agit littéralement du général à la tête d’une armée de domestiques, mais ce n’est valable que dans les grandes maisons qui disposent d’une armée de domestiques, justement. Le reste du temps, une intendante, un ou deux valets, une cuisinière et quelques filles à tout faire feront très bien le boulot.

SOURCES
Mrs. Beeton's book of house management - Chapter 41, Duties of the butler
Regency Servants: Men in the Household
Wikipédia - Sommelier
Butlers and the Modern "Butler Stick"
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