Passer la saison mondaine à Londres
Époque georgienne,  Époque victorienne

Se rendre à Londres pour la saison mondaine

Dans les romans sur l’époque georgienne et victorienne, on entend souvent parler de personnages qui se rendent à Londres pour « la saison ». Le moment idéal pour se trouver un mari, paraît-il !

Mais c’est la saison de quoi ? C’est l’été ? L’hiver ?

Ni l’un, ni l’autre : on parle d’un regroupement social, pas de la météo. Mais pour vous raconter ça, il faut commencer par parler politique…

(ah, que j’aime ça, faire des détours ! 😉 )


Le Parlement anglais

Au début du XIXème, le Royaume-Uni est une monarchie parlementaire. Ce n’est pas parce que le roi ou la reine règne qu’il a tous les droits : il est tenu de respecter l’avis du Parlement et de son Premier Ministre. Plus tard, pendant le règne de Victoria, on ajoutera même une Constitution (toujours en vigueur aujourd’hui) pour encadrer encore un peu plus les agissements du monarque.

On voit donc cohabiter deux puissances : le pouvoir royal d’un côté et le pouvoir parlementaire de l’autre. C’est le jeu de celui qui aura le plus d’ascendant sur l’autre pour imposer ses décisions politiques.

PETIT DÉTAIL : Pendant la Régence (de 1810 à 1820), le futur George IV sera d’ailleurs assez peu respecté : le Parlement est très influent, c’est lui qui gère tout, et il ne laisse au prince régent qu’un rôle secondaire.

Le Palais de Westminster, où siège le Parlement. À droite, la célèbre Tour de l’Horloge, communément appelée Big Ben (du nom de la plus grosse cloche qui se trouve à l’intérieur, un beau bébé de 13,5 tonnes).

Ce Parlement est constitué de deux entités :

  • la Chambre des communes : ses membres sont des députés élus qui représentent des circonscriptions. Parmi eux se trouve le Premier Ministre.
  • la Chambre des Lords : ses membres sont nommés parmi les nobles anglais, les peers (ducs, marquis, comtes, vicomtes ou barons). Une fois membres, ils le restent à vie.

Cela rejoint ce que j’ai déjà abordé un peu dans l’article sur Lady Catherine (voir ici) : être noble, ce n’est pas juste être riche et oisif, ça vient aussi avec un certain nombre de responsabilités envers le reste du peuple. Dans ce cas-ci, il s’agit de participer à la vie politique du pays en siégeant aux sessions du Parlement afin d’y discuter des projets de lois et autres actualités.

L’actuelle Chambre des Lords

La saison parlementaire

Ce que l’on appelle la saison de Londres est intimement liée à la saison parlementaire, c’est à dire les mois au cours desquels sont organisées les sessions de la Chambre des Lords.

Les dates varient chaque année, mais grosso modo la saison parlementaire s’étire de novembre à juillet. Ci-dessous, les dates qui avaient cours du temps de Jane Austen :

  • 1 novembre 1810 / 24 juillet 1811
  • 7 janvier 1812 / 30 juillet 1812
  • 24 novembre 1812 / 22 juillet 1813
  • 4 novembre 1813 / 30 juillet 1814
  • 8 novembre 1814 / 12 juillet 1815
  • 1 février 1816 / 2 juillet 1816
  • 28 janvier 1817 / 12 juillet 1817
  • 27 janvier 1818 / 10 juin 1818

Attention, les lords ne siègent pas 5 jours par semaine pendant 9 mois d’affilée : la saison parlementaire est émaillée de périodes de repos où ces nobles messieurs sont libres de retourner à leurs parties de chasse et leurs dîners mondains.

N’empêche, le résultat, c’est que lorsqu’ils sont en ville, c’est tout Londres qui se met à fourmiller d’activité. Car, qui dit lords dit aussi leurs épouses, leurs enfants, leurs relations… ainsi que toutes les personnes qui fréquentent les mêmes milieux (ça inclut la gentry avec ses Darcy et ses Bingley, par exemple).

… vous me voyez venir, là ? 😉


La saison à Londres

Le ghota se retrouve

Vauxhall Gardens, à Londres, était un parc d'attraction populaire au XIXe siècle
Vauxhall Gardens (1810)
Sur la rive sud de la Tamise, à Londres, se trouvait un parc d’attractions très populaire, avec acrobates, concerts, feux d’artifice… J’en ai fait un article, ici 🙂

Alors que, d’ordinaire, les nobles vivent chacun chez soi, sur leurs domaines répartis aux quatre coins du pays, en ne fréquentant que leurs voisins immédiats (à 20km à la ronde, quoi…), leur présence obligatoire en ville pour les sessions du Parlement permet à la bonne société de se retrouver en même temps au même endroit.

C’est ça, la saison de Londres.

On en profite pour revoir les amis, de créer de nouveaux liens, entretenir son cercle de contacts. On donne des bals, des réceptions, des garden party, des évènements de charité, on va à l’opéra, au cirque (oui, les cirques existaient déjà), au théâtre, au musée, aux courses de chevaux, on se promène dans un Hyde Park bondé de promeneurs venus s’exposer au regard du public, ou encore dans les jardins de Vauxhall (voir ici) réputés pour leurs divertissements…

Londres, pendant la saison, c’est comme la Côte d’Azur en plein été : c’est un fourmillement de spectacles et d’activités sociales diverses, où vient pour voir autant que pour être vu, et où on a l’air cool quand on peut dire « oui, j’y étais »

Une nette préférence pour le printemps

La « saison » s’étalerait donc de novembre à juillet, autrement dit chaque fois que la Chambre des Lords rameute ses ouailles ?

Techniquement, oui. Mais en pratique, il y a des moments plus importants que d’autres.

Certains lords préfèrent passer tout l’hiver à Londres, en s’établissant dès novembre, avec leurs familles, dans leur confortable maison citadine (tellement plus facile à chauffer qu’un immense château comme Chatsworth House ! voir ici).

D’autres, au contraire, laissent leurs familles à la campagne et n’en bougent plus de tout l’hiver, car ce n’est vraiment pas facile d’organiser de grands déplacements sur les routes glacées. En ne faisant pas plus de 12km/heure, avec des pauses régulières pour reposer les chevaux, sur des routes non goudronnées et bourrées d’ornières, et dans des voitures sans aucun chauffage, il faut être sacrément motivés pour entreprendre un Pemberley/Londres (2 jours et demi) en plein février ! (voyez ici, j’y parle des voitures à cheval)

En réalité, le moment fort de la saison, c’est juste après Pâques, soit au printemps et au début de l’été.

C’est à cette période que se tiennent les évènements les plus prestigieux qui attirent pendant quelques mois la crème de la société anglaise dans la capitale. On pourrait qualifier ça de « haute saison ».

Cette saison se termine avec les chaleurs de juillet/août. On va alors se mettre au frais à la campagne, on y reste jusqu’en septembre/octobre pour profiter de la chasse. On ne reviendra en ville que lorsque les sessions parlementaires reprendront.

Et le cycle se poursuit…

Passer la saison à Londres, pendant l'époque victorienne

NOTE : La saison londonienne perdure tout au long de l’époque victorienne et jusqu’à la Première Guerre Mondiale.

Avec l’arrivée du train, il devient plus facile de faire des allers-retours entre la ville et la campagne. N’empêche, c’est toujours le printemps qui est considéré comme le meilleur moment pour profiter de la capitale.


Se trouver un mari

Passer la saison à Londres, c’est l’occasion de se trouver un mari, nous disent Jane Austen et les autres auteurs de ce temps.

C’est vrai, cette période de socialisation intense avait aussi pour vocation de créer des alliances matrimoniales.

Des déplacements de population quasi-inexistants

J’en ai déjà parlé un peu avant et j’en reparlerai dans un article consacré uniquement au voyage : il faut comprendre à quel point, au début du XIXème siècle, la vie est leeeeente… Les gens vivent principalement en campagne et ils ne se déplacent que très peu, car il faut avoir de confortables moyens pour voyager à travers le pays.

Si tu t’appelles Elizabeth Bennet, tu vas te rendre une fois de temps en temps dans ta famille éloignée (à 100km de chez toi, ouhlàlà… autant dire le bout du monde !) et y rester plusieurs semaines (parce que tu veux rentabiliser l’effort du déplacement, donc tu ne viens pas juste pour le week-end !). Et si un tel voyage se produit plus d’une ou deux fois dans l’année, c’est que tu vis dans une famille aisée.

Les seuls qui se déplacent vraiment, ce sont les riches. Je veux dire, les très riches, ceux qui ont des voitures et des domestiques, et qui possèdent ou louent, en plus de leur demeure principale, une maison à Londres, ou à Bath, ou ailleurs.

Voiture à cheval de type berline

La possibilité de faire de nouvelles rencontres

Cette vie lente et ces déplacements quasi inexistants, ça signifie que dans ta petite ville de campagne tu verras toujours les mêmes têtes. Ceux qui sont nés là, comme toi, et que tu connais depuis toujours. Il y a le-fils-de, le-cousin-de, le-petit-frère-de qui vient d’avoir 18 ans, le mari-de qui a perdu sa femme en couches…

N’empêche… Même si tu as la chance de vivre dans une région pas trop isolée et qu’il y a un peu de variété parmi ces jeunes gens, reste qu’il n’y aura jamais beaucoup de nouveauté. Le choix infini de Tinder, c’est pas pour tout de suite, alors si tu juges qu’aucun des jeunes hommes du coin ne fait l’affaire au titre de soupirant, ça sera vite vu : tu vas rester vieille fille, ma pauvre amie !

Rappelons qu’à l’époque de Jane Austen, il n’y a que 8,7 millions d’habitants.

Dans. Tout. Le. Royaume-Uni.

C’est la population actuelle de la Suisse (et c’est pas bien grand, la Suisse !), alors, forcément, les gens sont un peu… disons… éparpillés.

C’est pourquoi la saison à Londres est une période privilégiée pour rencontrer de nouvelles têtes, et, parmi elles, un possible futur époux.

Pendant quelques mois, on se retrouve dans un espace géographique limité, avec une concentration de gens « bien nés » qui vont se mélanger au cours des diverses activités sociales privées ou publiques. C’est maintenant que tu as le plus de chances de faire la connaissance de charmants messieurs venus d’ailleurs avec, parmi eux, celui qui pourrait devenir l’élu de ton coeur (ou, au moins, un pas trop vilain qui t’offrira une situation confortable dans la vie si tu lui promets de lui faire des enfants).

ÊTRE DANS LE MONDE ET LE FAIRE SAVOIR : Je vous parle ici du rituel qui consiste à faire son entrée dans le monde.

Les demoiselles de bonne famille faisaient très souvent leur entrée dans le monde pendant la saison londonienne. Cela permettait d’annoncer aisément qui étaient les nouvelles venues disponibles pour le mariage.


En conclusion

Durant tout le XIXème siècle, Londres au printemps c’était réellement the place to be.

On avait l’assurance de ne croiser quasiment que du beau monde (si on arrivait à éviter le pique-assiette, le chasseur de dot ou l’ancien riche ruiné…), donc on augmentait ses chances de se hausser dans l’échelle sociale.

La saison, c’était aussi le moment de nouer ou renouer des relations avec des contacts influents, faire des affaires, se faire voir, travailler sa réputation… ou tout simplement profiter des plaisirs et des distractions (ça changeait de la petite vie pépère et isolée de la campagne).

Et n’oublions pas qu’avec toutes ces belles personnes venues se divertir, ça avait des conséquences économiques très intéressantes pour tous ceux qui gravitaient autour : les artistes, artisans, producteurs de toutes sortes faisaient une grosse partie de leur chiffre d’affaires pendant cette période. Pour eux aussi, c’était un moment à ne pas manquer !

SOURCES :
Wikipédia - Chambre des Lords
Wikipedia - Season (society)
When was London season
The London Season
The London Season - Edwardian era
Wikipedia - Vauxhall Gardens
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