
Barbe-Bleue et la religion anglicane
Pour pouvoir aborder le statut des hommes d’église au début du XIXème (bien souvent décrits dans l’oeuvre de Jane Austen, par exemple sous les traits d’Edward Ferrars, Edmund Bertram, Henry Tilney ou Mr. Collins)(voir mon article à ce sujet ici), je commence par le commencement en faisant le point sur la religion majoritaire à cette époque : l’anglicanisme.
Il faut dire aussi que je suis fascinée de voir comment la volonté d’un seul homme a pu influencer une culture toute entière, alors je ne pouvais pas passer sous silence l’entêtement d’Henri VIII et ses conséquences…
Une nouvelle dynastie
La fin de la Guerre des Deux Roses
À la Renaissance, l’Angleterre est gouvernée par Henry Tudor (également appelé Henry VII).
Ce roi marque la fin de ce qu’a été la Guerre des Deux Roses, une période de guerre civile où deux familles anglaises se disputaient le trône à grands coups de combats, d’emprisonnements, de mariages, de corruptions et de trahisons… Un joli foutoir politique qui a servi d’inspiration à Game of Thrones (les dragons en moins 😉 )
Je vous laisse consulter cette vidéo, avec sous-titres en français, c’est passionnant !
Et moi, je reviens à mes moutons…
Déjà, ça vous place le contexte : après s’être donné tant de mal pour unifier les deux clans et ramener la paix, Henry VII entend bien fonder sa propre dynastie, celle de la famille Tudor.
Pour préparer la prochaine génération, il marie son fils aîné Arthur à Catherine d’Aragon, une princesse espagnole, histoire de s’allier à l’Espagne et ainsi mieux se défendre contre la France, l’ennemi de toujours.
Manque de bol : en 1502, Arthur meurt à 15 ans, tout juste quelques mois après son union avec Catherine (ouaip, il était jeune). Et il n’y a aucun bébé en vue (euh… peut-être parce qu’il était un peu jeune, justement ?).
DÉTAIL : le veuvage d’une princesse ou d’une reine durait un minimum de 6 semaines, période où elle vivait en recluse, loin de la cour et de la vie publique. Ça permettait de s’assurer que la veuve n’était pas enceinte du prince ou roi décédé, car la présence d’un héritier (même pas encore né) aurait forcément changé la donne au niveau politique.
En 1509, Henry Tudor meurt à son tour et c’est son deuxième fils qui lui succède, sous le nom de Henry VIII.
Henry, avant Barbe-Bleue
Le nouveau roi a tout juste 18 ans et il voit bien, lui aussi, l’intérêt d’une alliance avec l’Espagne. Nous sommes à l’époque de François Ier, et même si une paix a été signée avec la France, on ne sait jamais. Et puis il est pressé de faire des héritiers pour assurer la pérennité des Tudors sur le trône, car la Guerre des Deux Roses a bien montré à quel point s’était compliqué de conserver le pouvoir au sein d’une même famille…
Il souhaite donc épouser à son tour sa belle-soeur, Catherine d’Aragon, mais il se trouve que :
- l’Angleterre, à cette époque, est catholique
- l’Église catholique interdit les mariages entre membres d’une même famille

Pour contourner le problème, Henry demande une dispense au Pape en affirmant que le mariage entre elle et Arthur n’a jamais été consommé (elle se dit toujours vierge, autrement dit le mariage n’est pas valide). Pas chiant, le Pape donne sa bénédiction et, boum, badaboum, voilà notre Henry marié et bien décidé à faire plein de bébés.
Mais ça ne fonctionne pas comme il l’aurait souhaité. Car si la pauvre Catherine n’a aucun mal à tomber enceinte (elle le sera 6 fois), ses enfants sont mort-nés ou bien meurent au bout de quelques semaines. Seule une fille, Mary, survivra.
Une fille… Bof… Quand on est un roi sanguin et viril comme Henry, une fille, ça ne vaut pas grand chose.
Un divorce à payer au prix fort
L’arrivée d’Anne Boleyn

Au bout de 16 ans de mariage, Henry n’a toujours pas l’héritier mâle dont il rêve. C’est alors qu’il fait la connaissance d’Anne Boleyn, une dame de la Cour apparemment pas si belle, mais réputée pour son esprit, son charisme et son intelligence.

Séduit, Henry veut en faire sa maîtresse, ce que la demoiselle refuse tout net. Elle sait que devenir une simple maîtresse signifie amuser le roi quelques temps, puis se faire jeter. Elle le sait d’autant mieux que c’est ce qui est arrivé à sa soeur (oui, oui, regardez donc le film The other Boleyn girl avec Nathalie Portman et Scarlett Johansson).
Mais Anne est très forte au jeu de la séduction : au lieu de refroidir le roi, ce refus met dans tous ses états et il se plie en quatre pour la conquérir. Avec le temps qui passe, la jeune femme, ambitieuse, réalise ce qu’elle pourrait retirer de la situation et finit par exiger le mariage. Non seulement le roi pourra enfin la posséder, mais elle lui promet de lui donner ce qu’il souhaite plus que tout : un fils.

Sauf que Henry est toujours marié à Catherine d’Aragon.
Pire, un verset de la Bible (Lévitique, chapitre 11, verset 21) semble indiquer la raison pour laquelle il n’a pas d’héritier. Je cite :
Si un homme épouse la femme de son frère, c’est une souillure. Il a dévoilé la nudité de son frère, ils resteront sans enfant.
Comme Henry est un homme pieux, il se met en tête qu’il a commis une erreur aux yeux de Dieu en épousant Catherine. Pendant 6 ans (quoi ?! Anne a réussi à le tenir en haleine pendant 6 ans ?! elle est forte !), il fait tenir différents débats théologiques pour prouver que son mariage n’a pas de valeur et il demande l’annulation papale. Mais cette fois, le Pape refuse, considérant Catherine d’Aragon tout à fait légitime dans son rôle d’épouse et de reine.
Le schisme

En désespoir de cause, Henry VIII prend la décision qui va bouleverser pour toujours le paysage religieux de l’Angleterre : il se passe de l’autorisation du Pape. Et, bordel, c’est super grave.
En 1533, après beaucoup de tergiversations et la tenue d’un tribunal religieux, le divorce royal est prononcé par l’Archevêque de Canterbury et Catherine est répudiée (elle est exilée dans un château où elle mourra assez vite). Cinq jours plus tard, Henry épouse Anne, puis il la fait reine et s’applique très fort à la mettre enceinte.
La réponse ne se fait pas attendre : pour avoir désobéi au Pape, Henry est excommunié (c’est à dire exclu de la communauté catholique, autrement dit voué à brûler en Enfer). Mais il s’en fout un peu, car un an plus tard il fait adopter par son Parlement l’Acte de Suprématie, par lequel il s’autoproclame chef unique et suprême de l’Église d’Angleterre.
C’est la séparation définitive d’avec l’Église catholique romaine. Désormais, Henry VIII (et après lui tous les souverains anglais) n’a plus à respecter l’autorité du Pape : devenu à la fois chef politique et chef religieux, il est libre de faire ce qu’il veut.
Tout ça pour s’envoyer en l’air avec une fille qui lui résistait. Ça vous donne une idée du tempérament du bonhomme…
PRÉCISION : on parle d’Église catholique romaine pour désigner la religion qui relève du Pape, à Rome (et qui a été fondée dans les années suivant la mort de Jésus par l’apôtre Pierre, considéré comme le tout premier pape). Ça la distingue des Églises orthodoxes (ou Églises d’Orient), fondées par d’autres apôtres.
Les différentes formes de protestantisme sont apparues vers la fin du Moyen-Âge, elles aussi en séparation d’avec le Pape. Le schisme d’Henry VIII fait que la religion anglicane se situe aujourd’hui quelque part entre les Catholiques et les Protestants.
Et, non, je ne me lancerai pas dans un cours de religion ici… 😉
SACHEZ QUAND MÊME… que lorsque Henry VIII s’est séparé de l’Église de Rome, il a aussi dissout la totalité des ordres religieux qui existaient. Il n’y avait donc plus de moines ni de religieuses à cette époque, ni pendant les 3 siècles qui ont suivi ! Ce n’est que vers 1850-1860 que les communautés religieuses ont été restaurées, en reprenant les ordres catholiques connus (augustins, bénédictins, carmélites, cisterciens, dominicains, franciscains et saint-vincent) et en les adaptant à la sauce anglicane.
De plus, l’Église étant très riche, Henri VIII en a profité pour lui confisquer ses terres et ses monastères et en faire cadeau à ses courtisans. C’est ainsi, par exemple, que les domaines d’anciennes abbayes et prieurés sont devenus la propriété de riches aristocrates… Downton Abbey, c’est à toi que je pense ! (j’en ai parlé ici)
Barbe-Bleue se révèle
Tout ça pour ça ?!

Ce n’est pas pour rien si on compare souvent Henry VIII avec Barbe-Bleue. C’est qu’à présent qu’il a, pour ainsi dire, inventé le concept de divorce et qu’il s’est offert la possibilité de se remarier ensuite… hé bien, il va y prendre goût.
Et ça, la pauvre Anne Boleyn, toute intelligente qu’elle était, n’y était sûrement pas préparée… 🙁
Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ?
Car après avoir mariné pendant toutes ces années, Henry n’a plus aucune patience. Lui qui avait été séduit par la vivacité d’esprit d’Anne, il ne la supporte plus et voudrait la réduire au rang d’épouse soumise. Mais, surtout, il lui reproche de ne pas tenir la promesse qu’elle lui a faite de lui donner un fils : leur premier enfant est une fille, Elizabeth, et ses autres grossesses se termineront par des fausses couches. Signe tragique : le jour où l’ancienne reine, Catherine d’Aragon, est enterrée, Anne perd son bébé, un garçon.
Au bout de seulement trois ans, le rêve tourne au cauchemar. Non seulement Henry considère ce second mariage comme maudit, mais il a rencontré une nouvelle jolie jeune femme, Jeanne Seymour, qu’il aimerait épouser pour avoir enfin ce fichu héritier mâle.
De plus, la séparation d’avec Rome a créé une grosse période de tensions politiques et de guerres de religion dont on rend Anne responsable. Considérée au mieux comme une sale intrigante, au pire comme une sorcière malfaisante, elle est détestée par le peuple et la Cour, et Henry trouve sans mal des conseils pour se débarrasser d’elle.
À défaut d’être très imaginatif, il se montre cruel : sur la base de témoignages bidons, il l’accuse d’avoir des amants et prétend même qu’elle est incestueuse car elle coucherait avec son propre frère.
Anne Boleyn est donc arrêtée, jugée…
… et décapitée.

La série noire continue
Quelques jours après l’exécution, Henry VIII épouse comme prévu Jeanne Seymour, qui – ô, miracle ! – lui donne enfin le fils tant attendu, Edward. En revanche, elle meurt en couches.
Pour se remettre de son gros chagrin, Henry se remarie avec Anne de Clèves. Mais il la trouve trop laide à son goût, ne couchera jamais avec elle et fera vite annuler leur mariage (et, franchement, c’est encore elle qui s’en sort le mieux, dans toute cette histoire !).
Il épouse ensuite Catherine Howard, belle comme un coeur et 30 ans plus jeune que lui. Mais cette petite inconsciente prend un amant (un vrai, cette fois) et termine elle aussi jugée et décapitée.
Enfin, il épouse Catherine Parr. Elle lui survivra puisque c’est lui qui meurt après quatre années de mariage. Mais elle l’a échappé belle : Henry est devenu incontrôlable, changeant, sujet à des colères incroyables et il a menacé de se débarrasser d’elle comme des autres.
LE ROI QUI EST TOMBÉ SUR LA TÊTE : Autrefois jeune homme vigoureux et sportif, Henry VIII termine ses jours dans un état de santé lamentable, obèse, atteint de la goutte, plein de furoncles et d’ulcères, et à moitié impuissant.
Cet article super intéressant suggère que ses accès de colère et son comportement erratique des dernières années pourraient être dûs à plusieurs coups reçus sur la tête au cours de sa vie. Les boxeurs connaissent bien ce triste phénomène : trop de commotions cérébrales finissent par mener à la démence.
La fin d’une dynastie
À la mort d’Henry VIII, il n’a que trois enfants et la passation de pouvoir n’est pas simple.
Par testament, le roi a stipulé qu’il voulait que ce soit Edward qui lui succède (son seul fils, qu’il a eu avec Jeanne Seymour), en écartant d’office ses filles aînées, Mary (née de Catherine d’Aragon) et Elizabeth (née d’Anne Boleyn). Comme Edward n’a encore que 9 ans, un conseil de régence est nommé en attendant qu’il puisse régner. Ça n’arrivera jamais : il meurt à l’adolescence.
On se tourne alors vers Mary, que certains reconnaissent comme la seule héritière légitime puisque née du premier vrai mariage, tandis que les autres sont nés de mariages qui n’ont de légal que ce que Henry VIII a bien voulu leur donner (un schisme religieux de cette ampleur, ce n’est pas fait pour mettre tout le monde d’accord !). Mary Tudor monte donc sur le trône, mais meurt sans enfants après seulement quelques années de règne.
Nouvelle crise politique. Qui choisir, à présent ? À la Cour, ça tiraille et ça complote dans tous les sens, et finalement ce sera Elizabeth, fille d’Anne Boleyn.
Vous savez ? Elizabeth Ière… Ça vous dit quelque chose ?
Henry VIII était très méprisant envers cette simple fille, alors qu’il a foutu en l’air tout le système religieux de son pays dans l’espoir qu’Anne Boleyn lui donne un fils. De plus, le vieux rêve de créer une dynastie Tudor va s’arrêter après seulement 3 générations, car Elizabeth, la « Reine Vierge », ne se mariera jamais. Après elle, ce sont les Stuart qui reprendront le flambeau.
Mais son père aurait peut-être été fier, quand même, d’apprendre que cette petite Elizabeth allait régner 70 ans et devenir l’une des plus grandes reines que l’Angleterre ait connu… L’ère élisabéthaine ramènera la prospérité et la paix dans le pays (pas gagné d’avance vu les guerres de religion engendrées par son père) et sera un âge d’or culturel et artistique en plus de confirmer l’ouverture de l’Angleterre sur les colonies du Nouveau-Monde.
Pas mal, pour une simple fille, non ?

En conclusion
Ce n’est pas parce que Henry VIII a ouvert la voie en divorçant plusieurs fois que, pour autant, le divorce est devenu acceptable dans l’Église anglicane d’Angleterre. Que nenni. Mais je vous en reparlerai dans un autre article… 😉
Concernant les successions, la primogéniture masculine dont j’ai déjà parlé ici ne s’appliquait pas encore, raison pour laquelle la mort d’un monarque était toujours une période de troubles, le temps de décider de qui serait son successeur (et on ne décide pas gentiment en discutant autour d’une table, hein ! on parle plutôt d’alliances, de trahisons, de guerres, d’héritiers qui disparaissent mystérieusement ou tombent subitement malades…). Ce n’est qu’après Elizabeth Ière qu’on commencera à appliquer la primogéniture masculine pour éviter tous ces conflits.
SOURCES :
Wikipédia - Henri Tudor
Wikipédia - Henri VIII
Wikipédia - Anne Boleyn
Wikipédia - Église d'Angleterre
Ô temps jadis! - Le divorce d'Henri VIII
30 head-rolling facts about Ann Boleyn

