
Les différents types de prostituées au XIXème siècle
Quand on songe aux maisons closes du XIXème, on a généralement en tête les salons chics, les beaux meubles, les rideaux de velours rouge cramoisi, la musique et le champagne, le tout peuplé de messieurs élégants et de filles magnifiques, belles comme des gravures de mode, parées de bijoux et de fleurs.
En réalité, la prostitution s’exerçait depuis les plus hauts sphères jusqu’aux bas-fonds de la société. Des bordels, il y en avait donc de toutes les sortes, des plus luxueux aux plus sordides, sans compter les clandestines qui continuaient de travailler en douce, dans la rue et ailleurs.
Petits portraits…
Les femmes du monde
J’avais expliqué ici que les prostituées du XIXème siècle doivent être inscrites au registre de la police pour qu’on puisse les surveiller et contrôler les maladies vénériennes (dont la syphilis, voyez ici).
Pour ce qui est des femmes du monde, il arrive qu’elles soient encartées (c’est à dire enregistrées par la police, mais travaillant en indépendantes), ou bien qu’elles soient d’anciennes prostituées sorties du bordel par un client amoureux. Il arrive aussi qu’elles soient uniquement des maîtresses entretenues à grands frais par un ou plusieurs amants (et ça reste une forme de prostitution).
La courtisane

On l’appelle aussi une horizontale ou une demi-mondaine.
Elle représente le sommet que toute prostituée aimerait atteindre, car elle vit dans un luxe fou, avec bel appartement, domestiques, robes et bijoux… Elle fréquente les salons, les théâtres et les opéras, se fait inviter partout, évolue dans les cercles privilégiés. Si elle est est arrivée là, c’est qu’elle est très belle, éduquée, et semblable en tout point à une grande dame. Elle a aussi, forcément, fait les bonnes rencontres et su séduire les hommes puissants et richissimes capables de lui faire mener ce train de vie.
La courtisane est donc au sommet. Mais c’est une position fragile, qui repose entièrement sur sa capacité à séduire, à rendre les hommes fous d’amour pour elle. Il suffit que le temps ou une maladie lui fasse perdre de sa beauté, que son amant se lasse d’elle, et elle va commencer à dégringoler.
Mieux vaut pour elle trouver le moyen de se faire épouser d’un de ses amants. Ou alors, avoir l’intelligence de mettre un peu d’argent de côté pour ses vieux jours…
COURTISANE : Etymologiquement parlant, une courtisane est d’abord une dame de haute naissance qui réside à la Cour, dans l’entourage de la royauté.
Comme on le sait, nombre d’entre elles sont devenues les maîtresses des rois, ce qui les a associées à une sexualité illégitime et à un statut de femmes immorales. C’est comme ça qu’avec le temps, le sens du mot « courtisane » a glissé pour finir par désigner celles qui se prostituent dans un contexte de luxe et de cercles sociaux élevés.
La cocotte

Un peu comme la courtisane, la cocotte est une maîtresse entretenue.
Le nom vient de la forme affectueuse de « poule » ou « poulette ». Pourquoi exactement ? Je ne sais pas. Est-ce parce qu’on trouvait les petites poules drôles et mignonnes ? Ou parce que les enfants aimaient leur courir après pour les attraper ? Être celui qui a réussi à attraper une cocotte, ça aurait en effet un certain sens quand on parle de jeunes femmes… Mais j’extrapole ! 😉
Moins haut placée dans l’échelle sociale qu’une courtisane, la cocotte mise aussi beaucoup sur ses charmes pour conserver le ou les amants qui la font vivre. Elle en fait des tonnes pour se faire remarquer, et elle est notamment reconnue pour porter trop de parfum : c’est de là que vient le terme « sentir la cocotte » ou « cocotter » (qui n’est, bien entendu, pas un compliment).
Les filles à numéro
Elles vivent dans les maisons closes et sont enregistrées par la police. On les appelle les « filles à numéro » car elles sont identifiées selon le numéro du bordel dans lequel elles travaillent.
Pour ces filles-là, la prostitution est un métier à temps plein. Elles ne font que ça et sont exploitées jusqu’au bout par leur patron(ne).
La fille de bordel

Elle a généralement entre 20 et 25 ans.
Elle est entrée dans une maison close parce qu’elle a un besoin criant d’argent, qu’elle est à la rue, sans famille, sans ressources, ou alors elle ne supporte plus la dureté du travail et le salaire de misère qu’elle gagne avec son emploi. Elle s’est déjà prostituée à l’occasion auparavant. Elle s’imagine qu’elle va pouvoir y faire beaucoup d’argent en peu de temps, mais se retrouve embarquée dans un système qui ne la laissera plus ressortir.
Tôt ou tard, elle chopera la syphilis, se fera soigner au mercure qui lui déglinguera la santé, et comme elle ne sera plus aussi belle et fraîche qu’avant, sa maison ne voudra plus la reprendre. Pour elle aussi, ce sera la dégringolade…
L’exotique

Question de business : un bordel se doit de proposer un assortiment de filles très variées physiquement, afin de satisfaire tous les goûts de ces messieurs.
La Négresse, la Juive, l’Italienne, l’Espagnole ou la Mauresse, par exemple, se démarquera des autres en mettant de l’avant son « exotisme », à une époque où tout ce qui vient d’Orient fait rêver.
Les clandestines
On parle là de toutes les femmes du peuple, qui ont un statut ou un métier officiel et ne se prostituent que de façon occasionnelle, quand le besoin d’argent se fait sentir. Enfin, d’ici à ce que l’occasionnel se transforme en habituel…
Dans cette situation, elles sont bien entendu illégales et passibles d’amendes et de prison si elles se font attraper.
La travailleuse pauvre

Chacun sait que travailler et toucher un salaire ne signifie pas être à l’abri du besoin. Dickens, Hugo et Zola nous ont assez décrit la misère noire dans laquelle vivaient quantité d’hommes et de femmes, notamment ceux qui se tuaient à la tâche dans les usines et les différents métiers en lien avec le développement industriel.
Une travailleuse, mariée et avec des enfants, peut très bien se prostituer de temps en temps, sans pour autant se considérer elle-même comme une prostituée. On fait ce qu’il faut pour nourrir ses enfants, voilà tout ! Quant au mari, il arrive qu’il soit au courant et qu’il l’encourage, ou alors qu’il ferme les yeux. L’essentiel, c’est d’avoir des sous.
La fille des champs

La prostitution est globalement un problème qu’on rencontre en milieu urbain. Il y en avait aussi dans les campagne et en périphérie des villes, mais en moins grandes proportions.
Un peu comme la travailleuse, la fille des champs est bien intégrée en société, vit chez ses parents si elle est jeune, élève ses enfants si elle est mariée, travaille à la ferme… Elle ne se prostitue que de façon épisodique, le plus souvent dehors, à la belle saison, quand il y a des rassemblements d’hommes (par exemple pour les moissons ou les soirs de fêtes). Une petite culbute dans les buissons, et elle retournera à ses occupations avec quelques sous en poche.
La danseuse

Les hommes « de la haute » passent beaucoup de temps à l’opéra et au ballet, qui sont des évènements mondains. Ça laisse du temps pour fantasmer sur les grandes stars de la scène. Mais comme ces dernières ne sont généralement pas accessibles (je vous reparlerai de la prostitution chez les artistes), on se rabat sur les seconds rôles et les figurantes. On aime assez l’idée de « se faire un petit rat de l’opéra », par exemple. Quant à la danseuse, elle aimerait devenir un jour une grande artiste et se trouver un riche mécène/amant/mari (dans cet ordre…), alors elle est facile à convaincre.
Dans un autre registre, on trouve aussi les bals publics, très populaires. On boit, on joue, on chante, on danse… C’est l’occasion pour une danseuse de se faire embaucher afin de mettre l’ambiance sur la piste (autrement dit, allumer les hommes pour les inciter à consommer, et plus si affinités). C’est aussi l’occasion pour une jeune ouvrière de venir se divertir avec ses copines, et de profiter de la fête pour faire quelques passes afin d’arrondir ses fins de mois.
La chanteuse de cabaret

Dans le même genre que les danseuses qui rêvent de rencontrer celui qui fera décoller leur carrière, on trouve dans les cafés-concert et les cabarets des chanteuses venues se produire sur de petites scènes en espérant un jour devenir des têtes d’affiche.
Or, dans les établissements de type café-concert ou cabaret, le spectacle et la prostitution vont ensemble. Le client peut inviter la chanteuse à souper avec lui, ou bien demander à passer un moment avec elle après le show… La chanteuse n’est jamais juste une chanteuse.
La fille de brasserie ou de café

Dans les années 1870, à Paris puis dans les autres grandes villes, les brasseries ont commencé à faire servir leurs boissons non plus par des serveurs, mais pas des serveuses. De préférence jeunes, jolies, et court vêtues. Il n’a pas fallu longtemps avant que le fait de « venir admirer la jolie serveuse tout en sirotant sa bière » se transforme en « venir culbuter la jolie serveuse après avoir siroté sa bière ».
La fille de brasserie est une rabatteuse à clients : elle bavarde avec eux et les fait boire (c’est bon pour les affaires de la brasserie), puis les emmène dans une chambre d’hôtel tout proche (c’est bon pour les affaires de l’hôtel).
Ce système a fini par être interdit, car il y avait des abus (notamment, des patrons faisant travailler des filles de plus en plus jeunes), mais ce sont les cafés et les cabarets qui ont pris la relève. Des endroits parfaits pour permettre aux prostituées, indépendantes ou clandestines, de démarcher leurs clients, sans encourir les dangers de la rue.
La petite fille

La notion de protection de l’enfance et de pédophilie est extrêmement récente. Bien sûr, les gens du XIXème étaient également choqués d’apprendre qu’une gamine de 11 ou 12 ans se prostitue, mais c’est un raisonnement de bourgeois que les miséreux ne peuvent pas se permettre. Sans compter qu’on ne pointera jamais du doigt l’homme qui avoue préférer les filles quand elles sont vraiment très jeunes (oui, je sais, ça a encore du mal à changer, de nos jours… soupir…).
On se doute bien qu’une môme de 10 à 14 ans ne se prostitue pas de sa propre initiative : c’est sa famille qui la met au travail. Ça peut être, là aussi, occasionnel, ou bien ça peut être régulier (comme un parent qui amènerait sa fille tous les jours dans une maison close avec laquelle il a une entente). Dans tous les cas, c’est absolument illégal, et le parent coupable écopera de plusieurs années de prison s’il se fait prendre.
Quant aux gamines qui ont commencé aussi tôt, elles n’ont malheureusement pas beaucoup de chances de faire autre chose de leur vie. Elles risquent d’ailleurs d’avoir une vie plutôt courte, vu les risques qu’elles encourent face à la syphilis ou à des grossesses trop précoces.
La fille à soldats

Qu’est-il arrivé à la fille de bordel déchue, après être devenue trop vieille ou bien avoir attrapé la syphilis ? Si elle n’en est pas (encore) morte, elle a peut-être été reprise par une autre maison, moins regardante. Au fil du temps, elle est passée dans des établissements de plus en plus miteux, peut-être même jusqu’à ces maisons d’abattage où les filles amochées et malades sont ivres du soir au matin et ne réagissent même plus quand les hommes leur passent dessus.
À la longue, elle a sûrement fini par se faire mettre à la porte, et elle a commencé une vie de vagabondage. Elle suit les regroupements d’hommes comme les détachements militaires ou les ouvriers travaillant sur de grands chantiers, le chemin de fer, etc.
Généralement, à ce stade, elle est devenue si abîmée et repoussante que les hommes doivent eux-même être très soûls pour avoir envie d’elle. Une passe ne rapporte plus grand chose. C’est le bout de la misère, et, rendu là, il n’y a plus moyen de remonter la pente. On devine tous comment ça va se terminer.
… et les hommes aussi

N’oublions pas que la prostitution masculine a, elle aussi, toujours existé, même si c’est en proportions bien moindres et qu’on n’en parle jamais.
Dans les maisons closes, on ne proposait jamais ouvertement des hommes au menu, puisque l’homosexualité masculine est réprouvée par la morale (le lesbianisme aussi, d’ailleurs, et à ce sujet je vous renvoie à mon article sur Gentleman Jack ici) (voyez aussi les molly-houses destinées aux rencontres entre hommes, ici).
N’empêche : le client est roi, alors s’il aimerait plutôt un joli jeune homme, il n’a qu’à en toucher un mot à voix basse à la tenancière. Elle a toujours les contacts qu’il faut et sera capable de faire venir quelques garçons assez rapidement… et toujours très discrètement.
En conclusion
Oublions une seconde les salons tendus de velours des élégantes maisons closes victoriennes : la prostitution, au XIXème comme aujourd’hui, a de multiples visages.
Il y aurait beaucoup à dire sur la mentalité prude des bourgeois de cette époque, comparée à la vision de la sexualité que pouvaient avoir les populations des classes inférieures. Pour beaucoup, ce n’était pas si facile de garder un toit au dessus de sa tête et d’avoir de quoi manger tous les jours, alors on ne faisait pas grand cas d’une petite passe ici ou là si jamais on ne pouvait pas faire autrement. Il ne s’agit pas d’en faire un métier, ni même de se considérer comme une prostituée : on couche vite fait avec un inconnu dans l’arrière-boutique ou dans un bosquet en échange d’une piécette, et puis on retourne à sa vie quotidienne.
N’empêche, il y a un truc qui me fascine chez toutes ces femmes : coucher ici ou là, sans se montrer trop regardante sur le partenaire, je comprends, mais… elles n’étaient super angoissées à l’idée de tomber enceinte ?
Clairement, ça valait le coup de creuser un peu la question de la contraception, alors j’en ai fait un autre article, ici ! 😉
SOURCES :
Livre - Les maisons closes: 1830-1930 (Laure Adler)

