Préservatif ancien en boyau, intestin
Belle Époque,  Époque victorienne

La contraception dans les bordels

Je vous avais promis ici qu’on reviendrait explorer les techniques rudimentaires utilisées par les prostituées du XIXème pour ne pas tomber enceintes. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y en avait pas des masses, des moyens de contraception…

Est-ce qu’il n’y aurait pas un gros tabou sur ce sujet-là, par hasard ? Une grosse différence entre le discours officiel et ce que faisaient réellement les gens ? Oui ? Ah ben, ça alors ! 😉


Une certaine vision de la fertilité

La contraception, oui, mais pas pour tout le monde

Avant tout, précisons que l’usage de la contraception est réservé aux prostituées (ou aux relations illégitimes, mais chuuuuut…).

On la tolère, mais on ne l’accepte pas vraiment. C’est même un sujet complètement tabou, et dont personne ne veut jamais parler sur la place publique.

Il faut dire que les pays occidentaux se sont entièrement bâtis autour de la religion chrétienne, et la mentalité du XIXème (qui est un poil plus conservatrice et pudibonde que le siècle précédent) impose de faire un maximum d’enfants. Il est donc hors de question qu’on explique aux gens comment faire pour espacer les naissances, au point que pour les couples mariés, la contraception était interdite par la loi ! Et puis… favoriser la contraception, ce serait aussi encourager le vice, car tout le monde pourrait alors se sentir libre de coucher avec tout le monde, la syphilis ferait encore plus de ravages, et ce serait un chaos moral inconcevable pour nos braves bourgeois… C’est tellement mieux de laisser les gens embourbés dans leur ignorance !

Dans ce contexte pas très favorable (c’est rien de le dire), on comprend que personne n’a passé beaucoup de temps à développer, améliorer et mettre en vente à grande échelle des moyens de contraception efficaces et bon marché. La fabrication et la vente de préservatifs, par exemple, n’est tolérée par les autorités qu’à condition que tout ça se fasse dans la plus grande discrétion et ne soit destiné qu’au milieu de la prostitution.

Parce que, pour ce qui est des prostituées, c’est tout l’inverse des femmes honnêtes : on considère qu’elles sont « sales » (le mot salope vient de là, d’ailleurs) et moralement condamnables, alors si elles pouvaient éviter à tout prix de faire des enfants, la société ne s’en porterait que mieux…

Les prostituées, moins fertiles que la normale ?

Le paradoxe, c’est qu’on tolère qu’il y ait de la contraception dans les bordels, mais qu’on ne sait vraiment pas comment elle s’applique réellement. Les médecins hygiénistes de l’époque ont une vision complètement biaisée de ce que vivent les prostituées.

Alexandre Parent-Du Châtelet est un médecin hygiéniste français du tout début du XIXème, connu pour son monumental livre De la Prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration (1836)
Alexandre Parent-Duchâtelet

Par exemple, ceux qui ont étudié en détail leur anatomie, comme Parent-Duchâtelet (un médecin hygiéniste connu pour son monumental livre De la Prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration en 1836), ont bien constaté que ces filles-là sont nettement moins fécondes que les respectables femmes mariées.

Ben oui, puisqu’on vient de vous dire qu’elles utilisaient des contraceptifs !

Mais non. Les médecins en ont plutôt conclu que le fait d’avoir de très nombreux partenaires fait qu’une fille ne s’attache émotionnellement à aucun d’entre eux et que, sans plaisir et sans amour, elle ne peut tout naturellement plus concevoir d’enfants. Pour preuve, on constate que dès lors qu’une ancienne prostituée rentre dans le rang, se marie et devient fidèle à un seul homme, bizarrement elle recommence à faire plein de beaux petits bébés en pleine forme…

Oh là là, mais qu’est-ce qu’ils sont simplets…

C’est la mentalité de l’époque. Ça vous montre la grosse distorsion entre l’idéologie bourgeoise bien-pensante d’où découlent les besoins hygiénistes (on veut mieux contrôler les populations grandissantes et, entre autres, éviter la syphilis, j’en avais parlé ici), et la réalité du terrain.

Car, la réalité, c’est bien entendu que les filles des bordels recouraient à la contraception et se gardaient bien d’expliquer comment elles s’y prenaient aux médecins venus les contrôler. Motus et bouche cousue, on n’en parle pas, ça n’existe pas ! Cela dit, comme vous allez le voir ci-dessous, il est aussi vrai qu’une partie d’entre elles n’étaient réellement pas ou plus fécondes, et ce, pour tout un tas de raisons.

Mais voyons plutôt les quelques techniques plus ou moins fiables qu’elles utilisaient.


Les moyens de contraception au XIXème siècle

Le coït interrompu

Ça, c’est la solution qui semble la plus facile à mettre en pratique.

Sauf que dans un contexte de prostitution, la fille n’est jamais en situation d’imposer quoi que ce soit à son client. Monsieur paye, Monsieur dispose, et si Monsieur souhaite éjaculer dedans plutôt que dehors, ma foi, il fera bien ce qu’il veut ! Il se fout pas mal de savoir si la fille tombera enceinte de ses oeuvres, c’est à elle de gérer ça. Qu’elle se débrouille, c’est son boulot, après tout !

À elle, donc, d’essayer de se montrer subtile et de varier les pratiques sexuelles pour tenter de garder un peu le contrôle sur ce qui se passe entre eux. Mais, clairement, le coït interrompu n’est pas la méthode contraceptive la plus fiable, vu qu’elle dépend du bon-vouloir de Monsieur.

L’éponge

Éponge contraceptive en caoutchouc (1910)
Éponge contraceptive en caoutchouc (1910). On pouvait aussi très bien utiliser une petite éponge de mer. Quand à la ficelle pour la retirer facilement, je ne sais pas trop… Disons que ça me laisse dubitative ! 😉

Bon. Là, on commence à parler sérieusement.

Dans les maisons closes, les filles utilisent couramment du vinaigre comme spermicide. Il faut dire qu’on a réussi à observer des spermatozoïdes sous un microscope rudimentaire au XVIIème siècle (oui, oui, le microscope était déjà inventé !), donc on sait que la semence masculine contient des « particules » vivantes, qui meurent au bout de quelques heures/jours, mais aussi si on leur flanque un bon coup de vinaigre ou autre produit agressif.

Pour une prostituée, il s’agit d’imbiber un petit morceau d’éponge avec du vinaigre, et de se l’insérer dans le vagin avant d’aller faire la culbute avec son client. Les éponges sont ensuite nettoyées, séchées, et réutilisées.

Et non, le vinaigre, ça ne pique pas (je suis sûre que vous vous êtes posé la question ! 😉 ). Par contre, ça devait bien lui foutre en l’air sa flore vaginale, ça, il n’y a pas de doutes !

La douche vaginale

Autre technique pour se débarrasser autant que possible du sperme d’un client : on enlève son éponge et on réalise une douche vaginale.

On sait, de nos jours, que ce n’est franchement pas une bonne idée d’aller mettre de l’eau et des produits nettoyants/agressants là-dedans. Mais imaginez qu’une fille de maison close couchait avec en moyenne 8 clients par soir (HUIT !) (vous imaginez coucher avec 8 partenaires différents chaque jour, vous ?) (des années durant ?) (et non, ne venez pas me dire que ça vous paraît excitant !).

Seringues à lavement (XIXème) destinées à réaliser des douches vaginales
Seringues à lavement (XIXème)

Bref, dans une maison bien tenue, entre la syphilis qui rôde et le besoin d’être propre et agréable pour ses clients, une prostituée fait une toilette intime a priori entre chaque passe. Là aussi, elle utilise de l’eau vinaigrée (ou autres substances nettoyantes ou astringentes), qu’elle s’injecte dans le vagin à l’aide d’une seringue, ou bien d’une poire et d’une canule.

Poire et canule pour douche vaginale (1865)
Poire et canule pour douche vaginale (1865)

Moi, quand je vois ça, sans même songer à la syphilis et aux autres maladies vénériennes qui circulaient, je pense à toutes les infections, vaginites, irritations, lésions et sécheresses qu’elles devaient se coltiner à longueur de temps…

J’en ai des sueurs froides… Pas vous ?

Les préservatifs

Fabriquer un « étui » qui enrobe le pénis pendant la pénétration, ça n’a rien de nouveau. Dès l’Antiquité, on avaient déjà pigé le truc. La difficulté, c’est de trouver un matériau qui soit agréable à porter (pour Monsieur) ou à supporter (pour Madame) et qui ne risque pas de se déchirer à tout va.

On a bien essayé les tissus (lin, coton) imprégnés de substances diverses, mais ça frotte quand même sacrément. Le mieux, ce sont les boyaux d’animaux : en Angleterre, c’est l’intestin de mouton, voire d’agneau, que l’on préfère. Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, on verra apparaître les préservatifs en caoutchouc, encore plus résistants et confortables, puis ceux en latex que nous connaissons bien aujourd’hui.

Illustration de Casanova (fin XVIIIème) soufflant dans un préservatif pour vérifier qu'il n'est pas troué
Illustration de Casanova (fin XVIIIème) soufflant dans un préservatif pour vérifier qu’il n’est pas troué

Ces préservatifs sont a priori efficaces, et comme ils coûtent plutôt cher, on les lave pour pouvoir les réutiliser plusieurs fois.

Mais justement, il est là, le problème : un préservatif, ça coûte cher. Trop cher pour qu’on en fasse un usage abondant, même dans les bordels (déjà qu’il faut payer la fille !). Leur usage n’est donc pas si répandu, et il n’y a guère que les Casanova de ce monde, c’est à dire des genres riches, très portés sur la chose et très conscients du risque de la syphilis, pour en utiliser.

Pour les filles, le problème est toujours le même : le port d’un préservatif ne peut se faire que sur la participation volontaire de leur client. Elles préfèrent donc se rabattre sur les éponges ou les rinçages au vinaigre, car là, au moins, ce sont elles qui gèrent.

POURQUOI ON APPELLE ÇA UNE CAPOTE ? La rumeur dit que ce serait Casanova qui, le premier, aurait appelé cet accessoire une redingote anglaise ou une capote anglaise (c’est à dire un manteau avec une capuche, dont on se couvre pour sortir). Le nom est resté.

Préservatif du XVIIIème siècle, en boyau.
Préservatif du XVIIIème siècle, en boyau. Le petit détail qui tue ? Ce joli ruban rose, pour le serrer à la base…
Ceci n’est pas un gode en verre, c’est un séchoir à capotes ! Ben oui, tous ces boyaux et ces capotes en caoutchouc, après usage, il faut les laver et les faire sécher correctement pour qu’ils ne se déforment pas trop

D’autres bons moyens de ne pas tomber enceinte

Ne pas être menstruée

J’ai présenté ici les différents types de prostituées qu’on pouvait trouver au XIXème siècle.

Ça a l’air tout bête, mais il faut aussi se dire que, parmi elles, une partie ne tombaient jamais enceintes tout simplement parce qu’elles n’étaient pas menstruées. Pratique, pourrait-on croire ? Pas vraiment, non, quand on voit les conditions de vie qui allaient avec…

  • la petite fille : une môme qui est prostituée dès 10 ou 11 ans ne risque en effet pas de tomber enceinte (en tout cas, pas tout de suite). De nos jours, une ado a ses premières règles vers 13 ans, mais il faut savoir qu’au XIXème c’était plutôt vers 15 ans. Ça laisse du temps pour faire des passes et se faire bien exploiter comme il faut…
  • la travailleuse pauvre : qui dit pauvre, dit mal nourrie. Surtout si la travailleuse pauvre a déjà des enfants et qu’elle se prive pour eux, ou alors, qu’elle est elle-même déjà enceinte lorsqu’elle fait des passes pour arrondir ses fins de mois. Mais c’est surtout la malnutrition qui pouvait faire en sorte que ses règles s’interrompent. À l’abri d’une grossesse, soit, mais pas à l’abri de la faim…
  • la fille à soldats : même chose. Entre la malnutrition et la misère extrême, il y a de fortes chances que le corps de la pauvre femme soit tellement mis à rude épreuve que ses règles se sont arrêtées toutes seules depuis un bon moment.

Enfin, on pourrait supposer que l’âge devrait aussi être un facteur, puisqu’une fois ménopausées les femmes sont « tranquilles ». Mais dans le cas des prostituées, rares sont celles qui restent en vie assez longtemps pour atteindre cet âge-là. Celles qui y parviennent ont soit changé de vie, soit elles sont devenues tenancières (on en reparlera) et ne se prostituent plus.

Être stérile

Pour finir, certaines prostituées ne tombent jamais enceintes tout simplement parce qu’elles sont devenues stériles, que ce soit de façon temporaire ou définitive. La faute à qui ? À leur travail.

La chlamydia peut rendre stérile. Ou des lésions au niveau de l’utérus. Une trompe qui se bouche. Un bouchon muqueux infectieux qui se forme. Une maladie pas soignée. Un avortement catastrophique qui vous massacre l’intérieur…

Les filles des maisons closes sont contrôlées régulièrement par des médecins, mais le but est d’éviter qu’elles transmettent la syphilis aux hommes, pas vraiment de les soigner, elles. Accéder à des soins médicaux dignes de ce nom, à l’époque, ça coûte cher, et de toute façon la médecine gynécologique ne sait pas encore faire grand chose.

Alors… que la fille soit mal soignée et reste amochée pour le reste de sa vie, tout le monde s’en fout. Tant qu’elle peut se laisser passer dessus par huit hommes différents tous les soirs et que la maquerelle continue à encaisser son petit bénéfice, tout va bien.


Et quand le mal est fait…

On est d’accord que ce n’est pas une méthode de contraception à proprement parler, mais il est évident que les avortements se produisaient régulièrement dans le monde de la prostitution.

Pour une tenancière, avoir une de ses filles qui tombe enceinte, c’est pas bon pour les affaires. C’est un tracas dont elle se passerait bien. Quand à la fille elle-même, avoir un bébé c’est se mettre une contrainte de plus qui l’empêchera de sortir (éventuellement) de la prostitution, vu qu’elle devra le mettre en nourrice et travailler encore plus pour assumer les frais de l’enfant au lieu de rembourser sa dette à elle (pour la servitude et la dette qui maintenait les filles dans les maisons close, voyez tout ça ici). Il arrivait parfois qu’un enfant naisse au sein d’un bordel, mais en général il était placé dans une famille d’accueil sitôt sevré.

Pour éviter tous ces soucis, c’est souvent la tenancière qui fait pression sur la fille enceinte afin qu’elle avorte. On peut alors imaginer toutes les tisanes de plantes abortives et toutes les scènes d’aiguilles à tricoter que vous voulez, entre celles qui s’avortent toutes seules, celles qui le font aidées par leurs consoeurs, ou celles qui se payent les services d’une faiseuse d’anges.

Pour les médecins qui les contrôlent, ces avortements passent pour des fausses couches. De la même façon qu’on ne connaît pas grand chose à leurs méthodes contraceptives, on préfère fermer les yeux plutôt que de se pencher sur les pratiques dangereuses de ces pauvres filles, au risque d’ébruiter leurs techniques et de donner des idées aux femmes honnêtes qui n’ont peut-être pas envie, elles non plus, de mener à terme une douzième grossesse.

Bref. Encore une fois, aussi longtemps que la fille n’y a pas laissé sa vie et qu’elle peut reprendre le boulot, c’est que tout va bien… N’est-ce pas ?


En conclusion

Dans la relation entre la fille et le client, la question de la contraception ne se pose pas. En général, l’homme attend que la fille ait terminé sa toilette intime pour qu’il puisse profiter d’elle, puis, une fois qu’il a terminé, il s’en va sans se poser plus de questions. Tout comme les médecins, il ne veut pas trop savoir comment ça se passe, et il la laisse se débrouiller pour gérer seule la situation.

Ce qui me fait enrager, c’est que deux siècles plus tard, bon nombre de nos hommes continuent encore de se dédouaner de ce sujet en se disant que « C’est l’affaire des femmes, elles ont l’habitude ».

Pourtant, il faut être deux, pour faire un bébé, ce serait donc normal d’être aussi deux pour décider de ne pas en faire.

Me semble qu’on a encore pas mal d’éducation à faire de ce côté-là.

Soupir…

SOURCES :
Livre - Les prostituées du XIXème siècle et le vaste effort du néant - 1. Parcimonie des pratiques contraceptives (Alain Corbin)
Is Your Victorian Gentleman Sponge-Worthy? Contraception in the Years 1826 – 1891
La capote, histoire d’une utilisation universelle
Highlights of the Percy Skuy History of Contraception Gallery
To conceive or not to conceive: that is the Regency question
What sex workers did for contraception, before condoms and birth control existed
La ménopause, une construction sociale
La frétillante histoire de la découverte des spermatozoïdes
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