Belle Époque,  Époque victorienne

Depuis quand des oeufs en chocolat, à Pâques ?

Depuis le XIXe siècle, pardi !

Hé oui, si j’en parle sur ce blog, vous vous doutez bien que ce n’est pas un hasard et vous avez déjà la réponse. Mais il faudrait préciser un peu plus : à partir de quand, exactement, est-on passé des oeufs de poules à des oeufs en chocolat ? Qui en a eu l’idée ?…


De l’oeuf de poule à l’oeuf en chocolat

Des oeufs et du cacao

J’ai déjà parlé de Pâques dans un autre article (ici), avec sa tradition chrétienne de ne pas manger d’oeufs pendant les restrictions du Carême, l’oeuf étant considéré comme un aliment trop riche. Sauf que les poules s’en fichent pas mal : ce n’est pas parce que c’est Carême qu’elles vont arrêter de pondre, ce qui fait qu’après 40 jours, on se retrouve avec une quantité d’oeufs accumulés dont on va pouvoir se goinfrer d’un coup. D’où le déluge de cocos de Pâques, qu’ils soient apportés par les cloches en France, ou par le lièvre en Allemagne et en Angleterre.

Avant le XIXe, ces oeufs étaient cuits durs dans une marmite où on ajoutait des pelures d’oignons ou de betteraves, ou bien d’autres fleurs, racines, feuilles et épluchures diverses qui en coloraient la coquille, à moins qu’ils ne soient peints par les enfants. L’oeuf de Pâques est donc ludique, et il est perçu comme étant gourmand (surtout après 40 jours de privation), mais ça reste un « simple » oeuf.

Côté chocolat, on a rapporté en Europe du cacao d’Amérique du Sud suite à la colonisation d’après Christophe Colomb, mais on le consomme sous forme de boisson chaude : on achète de la pâte de fèves de cacao broyées vendue en petits blocs qu’on râpe pour en faire fondre un peu dans de l’eau chaude, à laquelle on ajoute du sucre et des épices (voyez ici à propos du molinet qui servait à fouetter le chocolat chaud).

Il semblerait qu’on trouve au XVIIIe siècle, en France et en Allemagne, les prémisses d’un oeuf de Pâques en chocolat lorsque certains ont l’idée de faire fondre cette pâte de cacao dans des coquilles d’oeufs vides. Je ne sais pas si on enlevait la coquille une fois le chocolat durci, ou bien si on le décorait et on l’offrait tel quel, mais, quoi qu’il en soit, ça reste anecdotique. Seuls les plus riches peuvent se permettre ce genre de fantaisie (c’est un aliment qui coûte cher), et de toute façon on préfère le cacao à boire, amer et pimenté, car on considère qu’il a des vertus tonifiantes et médicinales : c’est un médicament plutôt qu’une gourmandise (les chocolatiers sont d’ailleurs d’abord des apothicaires ou des pharmaciens, j’en avais aussi parlé ici, à propos du célèbre chocolat Menier).

Fry et son chocolat à croquer

Les choses changent au milieu du XIXe grâce à Joseph Storrs Fry (deuxième du nom), fils d’un apothicaire devenu chocolatier, qui reprend la petite chocolaterie familiale et la développe.

En 1795, il a l’idée d’utiliser une machine à vapeur pour broyer plus efficacement les fèves de cacao, ce qui augmente drastiquement la quantité de matière première qu’il peut produire et lui permet de fournir largement les apothicaires et pharmaciens de sa région. Son usine commence à prendre des proportions industrielles. De plus, entre 1800 et 1830, les habitudes de consommation changent progressivement : on considère le cacao de moins en moins comme un médicament et de plus en plus comme un bonbon, si bien que l’industrie se transforme et se déploie. On voit alors apparaître de grands manufacturiers comme Baker, Callier, Suchard, Kohler, Cadbury, que ce soit aux États-Unis, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre…

Face à cette concurrence, Joseph Fry cherche à se démarquer, et en 1847, il invente une nouvelle recette : un mélange de cacao en poudre, de beurre de cacao, de sucre et d’épices, ce qui donne une matière dure et croquante que l’on peut mouler. Il est ainsi le premier à fabriquer et commercialiser à grande échelle le chocolat en tablettes tel que nous lui connaissons aujourd’hui, et il fait un malheur ! Grâce à lui, le chocolat qu’on prenait uniquement en boisson ou en enrobage d’une pilule médicamenteuse devient définitivement une gourmandise à croquer.

À PROPOS DE MOULES, et de la façon dont ils ont influencé la cuisine au XIXe siècle, je vous renvoie aussi vers l’article sur les poudings et gelées, ici.

Fry et son oeuf de Pâques

Joseph Storrs Fry meurt en 1835, mais la chocolaterie familiale, qui s’est transformée en business florissant, se poursuit avec ses fils. Ils continuent d’innover en lançant par exemple le Cream Stick en 1853 (une barre de chocolat fourrée avec du chocolat fondant), puis la Cream Bar en 1866 (une autre barre fourrée avec une crème de menthe, d’orange ou de framboise).

Moule d’oeuf en chocolat (XIXe siècle)

Ce sont aussi eux qui vont lancer à échelle industrielle les premiers oeufs de Pâques en chocolat, en 1873. Avec le savoir-faire de Fry’s concernant le moulage, il ne s’agissait pas d’un oeuf plein, mais bien d’un oeuf creux, fait de deux moitiés moulées.

Le voilà, notre premier oeuf en chocolat !

Cet aspect « écaille de crocodile » n’a pas grand chose à voir avec un oeuf de poule (ni avec un oeuf de crocodile, d’ailleurs… 😉 ), mais c’est un design qui a été inventé dès le XIXe pour une raison toute simple : ça permettait de camoufler les fissures et les imperfections.

L’ASSOCIATION CHOCOLAT + PÂQUES ne va pas de soi. Face à ce cacao venu de loin, il a d’abord fallu que les théologiens débattent pour savoir si c’était un aliment maigre ou riche. La réponse a été de dire que la boisson de cacao était maigre et compatible avec le Carême, à condition d’être préparée avec de l’eau, et non du lait.

À l’inverse, on comprend que le chocolat à croquer, qui contient une bonne part de gras et de sucre, soit un aliment riche interdit pendant le Carême… raison pour laquelle on se jette joyeusement dessus à Pâques, jour de festin et de célébration.


Un oeuf en chocolat de près 100 ans !

Malgré la démocratisation progressive du chocolat dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ça restait un aliment rare et relativement cher, qu’on ne pouvait pas se permettre tous les jours et qu’on s’offrait seulement aux grandes occasions.

C’est ce qui fait que bien des gens, en recevant un oeuf de Pâques en chocolat, n’osaient même pas le manger ! C’était trop précieux ! C’est seulement à partir des années 1960-70 que les supermarchés ont commencé à commercialiser des oeufs en chocolat pas chers (et pas toujours terribles au goût, non plus, il faut dire…) et qu’ils ont ancré dans nos habitudes le fait de fêter Pâques avec une bonne dose de chocolat.

Mais dans l’exemple que je vous montre ci-dessous, le contexte est encore un peu différent : l’oeuf en chocolat, habillé comme une poupée et présenté dans une petite boîte elle aussi en forme d’oeuf, a été offert en 1924 à une petite fille qui avait alors 2 ans. Refusant catégoriquement de manger sa « poupée », elle l’a conservée précieusement au fil du temps, ne la ressortant qu’en de rares occasions pour la faire admirer de ses amis, sa famille, ses enfants ou petits-enfants, si bien que cet oeuf de Pâques est parvenu jusqu’à nous et a aujourd’hui près de 100 ans !

Après un siècle, on n’est pas surpris que le chocolat soit tout vermoulu et moisi, mais on distingue encore les écailles de type « crocodile »

TIENS ! Ça me rappelle ce morceau de pain d’épices datant de 1814 (plus de 200 ans !) dont j’avais parlé dans l’article sur les foires organisées à Londres, en plein hiver, sur la Tamise gelée : voyez ici.


En conclusion

Je trouve toujours ça complètement fou quand des objets aussi fragiles et pas du tout destinés à durer parviennent quand même à traverser les années…

Si jamais je vous ai donné envie de goûter le chocolat Fry’s, sachez que la maison a été rachetée par Cadbury et qu’ils produisent encore certaines de leurs vieilles recettes. Je vous laisse sur une de leurs publicités-phare, les « Cinq Garçons », qui date des années 1910-1920 et que je trouve rigolote. Le concept, c’est de montrer les cinq étapes par lesquelles passe un petit garçon qui a très-très-très envie de chocolat :

  1. le désespoir (« Papaaaaaaa ! Achète-moi du chocolaaaaaaat !!! »)
  2. l’apaisement (Papa sort son portefeuille)
  3. l’attente (Papa achète, il parle avec la vendeuse, c’est un peu trop long !)
  4. l’acclamation (le garçon reçoit son chocolat)
  5. le bonheur total (… en croquant dedans et en réalisant qu’il s’agit d’une tablette de chez Fry’s, soit le meilleur chocolat qui soit !)(d’après la pub, bien sûr 😉 )

Et si jamais vous fêtez Pâques, alors je vous souhaite de joyeuses pâques ! 🙂

SOURCES :
Wikipédia - Oeuf de Pâques - Des oeufs peints aux oeufs en chocolat
Pourquoi offre-t-on des oeufs en chocolat pour Pâques ?
Joseph Fry, l'industriel quaker qui inventa la tablette de chocolat
Wikipedia - Joseph Storrs Fry
History of the hunt: how an Easter tradition was hatched
The Story behind the UK’s First Chocolate Egg
Easter eggs: their evolution from chicken to chocolate
97-year-old chocolate Easter egg discovered in Derbyshire home set to fetch hundreds of pounds at auction
The history of Easter eggs
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