Des bijoux à base d’insectes (parfois vivants)
Désolée, j’ai pris un peu de retard dans ma publication d’article hebdomadaire. Mon excuse ? J’étais plongée jusqu’au cou dans une série télé sud-coréenne et je n’arrivais pas à m’en détourner (oui, les kdramas, c’est ma nouvelle drogue… 😉 ).
Alors avant de me lancer dans une nouvelle série, je prends quelques heures pour me replonger dans le XIXe siècle occidental et vous parler de cette mode, à l’époque victorienne, qui consistait à réaliser des bijoux à base d’insectes, parfois morts, mais aussi parfois vivants.
Des insectes transformés en bijoux
La nature au service de la mode
[…] la société exige que les objets d’histoire naturelle ne soient pas tous relégués aux étagères oubliées des musées poussiéreux, mais vivent comme « d’éternels objets de beauté et de joie ». D’où la nouvelle alliance entre l’orfèvre et le taxidermiste, résultant en mille combinaisons ingénieuses de la nature et de l’art.
Practical taxidermy, manuel anglais de taxidermie, par Montagu Browne (1884)
Le XIXe siècle est une période à la fois d’expansion des connaissances (les avancées des sciences naturelles, Darwin…), d’ouverture sur le monde (les colonies avec leur lot d’exotisme, l’engouement pour l’Orient et les voyages au bout du monde…), et d’une industrialisation qui promeut la vie citadine au détriment de celle à la campagne. Cela se traduit par exemple par un attrait pour des hobbies liés à la nature, comme cultiver des plantes exotiques dans des serres, élever des grenouilles, collectionner des coquillages et autres objets de curiosité, exposer de la taxidermie (voyez ici), faire des herbiers ou attraper et épingler des papillons et autres insectes.
C’est aussi au XIXe que la mode s’approprie l’ornithologie et l’entomologie. Comme la nature est au goût du jour, on ne se contente plus d’utiliser des plumes d’oiseaux juste pour leur beauté et leur texture : on veut désormais représenter l’oiseau lui-même, dans sa totalité. Arrivent alors tout un tas de vêtements, chapeaux et accessoires qui exposent de petits mammifères, des insectes ou des oiseaux, soit en les imitant, soit en utilisant de véritables spécimens naturalisés.
L’arrivée des insectes dans la mode occidentale
Ça n’a rien de nouveau d’orner ses vêtements avec des plumes, des griffes, des dents, des pattes, des têtes animales, des écailles, etc, mais ce qui change pour les Occidentaux du XIXe, c’est qu’ils peuvent désormais importer les insectes colorés venus du bout du monde.
Vous vous souvenez des robes victoriennes brodées avec des élytres de scarabées asiatiques, pour profiter de leurs belles couleurs vertes irisées (ici) ? Côté bijoux, c’était pareil : dans la seconde moitié du XIXe, on s’est mis à utiliser des carapaces de coléoptères en guise de pierres précieuses. On raffole tout particulièrement des petites bêtes aux couleurs iridescentes – un effet que l’on ne sait pas encore produire artificiellement -, si bien que la demande en élytres et carapaces venues des forêts tropicales d’Asie ou d’Amérique latine explose. Cela donne lieu à tout un commerce, entre la vente de la matière première et les orfèvres qui les montaient en bijoux, si bien qu’on pouvait par exemple importer des carapaces asiatiques en Amérique latine pour les y transformer en bijoux avant de revendre le tout aux pays occidentaux.
Des bijoux vivants
Le makech mexicain
On trouve au Mexique, dans la culture maya, la légende d’une princesse et de son amant, dont la relation était interdite et se termina tragiquement lorsqu’ils furent découverts et que l’amant fut mis à mort. Un chamane le transforma alors en scarabée, et la princesse put le garder avec elle, le portant sur son coeur en souvenir de leur amour éternel. Cela expliquerait le fait que les Mexicains décorent des scarabées vivants et les portent sur eux en guise de broches, retenus par de petites chaînes : les appelle des makechs. On utilise pour cela des coléoptères de type zopherus chilensis, qui ne volent pas et peuvent survivre plusieurs mois sans boire ni manger, ce qui fait que non seulement on n’a pas trop besoin de les entretenir, mais en plus ils ne feront pas caca (hé oui, c’est important pour ne pas laisser de traces sur les vêtements !).
Cette pratique, qui existait depuis des siècles chez les anciens Mayas, a connu un essor tout particulier au XIXe et elle existe toujours aujourd’hui, pour le bonheur des touristes et le malheur des populations de zopherus chilensis en déclin.
Cela dit, les Mexicains ne sont pas les seuls à avoir eu ce genre d’idée. On retrouve aussi des insectes vivants transformés en bijoux dans d’autres pays, notamment en Egypte, où on portait des scarabées vivants pour la même raison qu’on plaçait des bijoux en forme de scarabée dans les tombes : c’était un symbole de protection. Aujourd’hui, on voit des créateurs de mode se réapproprier le principe, comme par exemple en 2006 avec le créateur Jared Gold et ses blattes géantes décorées de pierres Swarovsky.
Aux États-Unis au XIXe
_ C’était un magnifique bijou que portait Mrs. De Jones hier soir.
Journal américain Entomological News (1891)
_ De quoi s’agissait-il ?
_ D’un scarabée brésilien vivant, avec un gros diamant fixé sur son dos. Il était entraîné à voler autour de son cou, donnant ainsi l’illusion d’un collier de diamants.
Aucune idée de qui était cette Mrs. De Jones, le journal ne le précise pas. Il ne précise pas grand chose, d’ailleurs, on peut donc douter de la véracité de cette anecdote-là.
En revanche, les bijoux faits d’insectes vivants se sont bel et bien répandus à l’époque victorienne, au moins aux États-Unis. En 1863, par exemple, le magazine américain Godey’s Lady’s Book signalait cette nouvelle mode des insectes vivants à porter sur soi en accessoires décoratifs. Ils n’étaient pas toujours accrochés par une chaîne comme les makechs, parfois on pouvait aussi enfermer un joli scarabée ou une luciole dans une toute petite cage – un peu comme le piège à puces du XVIIIe qu’on portait en pendentif ou dans sa poche et qui était supposé contenir une puce vivante (ici), sauf que ce piège-là était caché dans les vêtements, tandis que le scarabée en cage était exposé pour son aspect esthétique ou original. J’ai également vu que l’insecte vivant était parfois cousu directement sur le corsage ! 😮
ON PEUT COMPRENDRE que les États-Unis aient repris à leur compte les makechs mexicains, vu que c’est le pays voisin, mais pour ce qui est de l’Europe, je ne sais pas si cela se faisait aussi. Les infos que j’ai trouvées parlent bien d’insectes morts utilisés pour faire des bijoux, et pas d’insectes vivants. Alors, si, de votre côté, vous en avez entendu parler, n’hésitez pas à le dire en commentaire, ça m’intéresse !
En conclusion
Au tournant du XXe siècle, la nature sera plus que jamais un sujet esthétique avec l’épanouissement de l’Art Nouveau, dont les lignes courbes et les motifs inspirés d’insectes, d’oiseaux et de végétaux sont une réaction à un trop-plein d’industrialisation et de styles anciens éternellement revisités, néo-ceci, néo-cela.
Mais le fait d’utiliser des animaux réels, qu’ils soient vivants ou naturalisés, finira par disparaître, tourné en ridicule. Voyez plutôt, à propos de chapeaux décorés de fausses fleurs et d’insectes :
Les énormes et horribles insectes qui rampent sur les chapeaux sont vulgaires et affreux au dernier degré […]. Mais avant que les femmes mettent des choses sensées, pour ne pas dire belles, au sommet de leur tête, il faudra qu’elles en mettent un peu plus à l’intérieur. De nos jours, les chapeaux et les cerveaux qu’ils recouvrent sont trop souvent d’impropres compagnons.
L’art de la beauté, par Mary Eliza Haweis (1883)
Ouch ! Le petit commentaire qui fait mal… Comme on dit chez moi, au Québec : « Ça fesse ! » 😉
SOURCES Wikipédia - Bijoux d'insectes vivants Wikipédia - Makech Meet the Makech, the Bedazzled Beetles Worn as Living Jewelry The British Museum - Lady Granville's beetle parure Insect Jewelry of the Victorian Era Collecting antique insect jewellery The strange trendy Victorians used to accessorize with live insect jewelry What Is Victorian Insect Jewellery? Livre - Godey's Lady's Book (1863) Mr Punch's designs after nature "Beetle Abominations" and Birds on Bonnets: Zoological Fantasy in Late-Nineteenth-Century Dress