Belle Époque

Thérèse Humbert, véritable escroqueuse, et Arsène Lupin, cambrioleur imaginaire

Vous avez peut-être déjà entendu parler de « La Grande Thérèse », qui a défrayé la chronique au tout début du XXe siècle ? On la croyait à la tête d’une fortune de 100 millions de francs (rien que ça !), et pourtant…


Thérèse Humbert, la plus grande escroqueuse de la fin du XIXe

De paysanne à grande bourgeoise

Née en 1855 près de Toulouse, troisième de sept enfants dans une famille de paysans, Thérèse Daurignac n’est a priori pas destinée à un très grand avenir, mais elle est maligne. Plus exactement, elle est douée pour raconter des bobards et en tirer bénéfice.

Il faut dire que la pomme n’est pas tombée loin de l’arbre, car son père avait déjà inventé une histoire d’héritage dont il devait bientôt bénéficier, et qu’il avait présenté comme garantie pour obtenir un prêt bancaire. Ce sera, parmi les multiples mensonges de Thérèse, son histoire favorite, et c’est ainsi qu’à 23 ans, elle parvient à épouser Frédéric Humbert (avocat-futur-député et fils de procureur-sénateur-futur-ministre-et-président-de-la-Cour-des-Comptes, autrement dit : pas le pire parti qui soit ! 😉 ) en faisant croire à sa belle-famille qu’elle est l’unique héritière d’une cousine aussi vieille que riche. Le subterfuge ne fonctionne qu’un temps, mais cela n’empêche pas son mari de lui rester dévoué, admiratif qu’il est devant l’aplomb et la forte personnalité de sa femme.

L’affaire Humbert-Crawford

En 1885, elle recommence : cette fois, Thérèse se prétend l’héritière d’un richissime Américain nommé Robert Henry Crawford. L’explication pour justifier qu’il l’ait couchée sur son testament est variable : tantôt, elle serait sa fille naturelle, tantôt, il serait son parrain, ou encore, elle l’aurait sauvé d’une crise cardiaque dans un train et se serait ainsi attiré sa reconnaissance. Problème : le monsieur est décédé, mais ses deux neveux contestent l’héritage de Thérèse, ce qui fait que le règlement de la succession est bloqué et que le tout devra se résoudre devant les tribunaux. Or, rappelez-vous, le mari de Thérèse est avocat… De victime, il devient son complice, et les Humbert déclenchent ainsi plusieurs véritables procédures judiciaires à l’encontre de faux neveux Crawford, joués par deux vrais frères de Thérèse, Romain et Émile (vous suivez toujours ? 😉 ). Et pendant tout ce temps, le supposé héritage mirobolant sert de garantie pour que le couple puisse emprunter de très grosses sommes auprès des banques, mais aussi de membres de la bonne société parisienne qu’ils fréquentent. Après tout, Frédéric Humbert est d’une excellente famille de politiciens, Thérèse est une mondaine bien intégrée, et tous deux mènent une vie de grands bourgeois dans leur hôtel particulier de l’avenue de la Grande-Armée ou leur château en Seine-et-Marne. Qui pourrait douter d’eux ?

En réalité, il s’agit tout simplement d’une pyramide de Ponzi, où les Humbert empruntent à de nouveaux pigeons pour rembourser les précédents et maintenir ainsi leur train de vie. Et vous savez combien de temps l’illusion va tenir ?… 17 ans ! Pas mal, n’est-ce pas !

JUSTE POUR L’ANECDOTE : le château que les Humbert ont acheté s’appelle « Les Vives Eaux », à Dammarie-les-Lys, et il se trouve que c’est là qu’ont été filmées les premières saisons de la Star Academy. Voilà, voilà… Ça ne sert à rien, mais c’est gratuit…

L’ouverture du coffre

En 1902, poussé par des créanciers de plus en plus impatients, un juge ordonne l’ouverture du coffre-fort des Humbert, supposé contenir les titres financiers constituant l’héritage Crawford. La police débarque, le coffre est ouvert, et… il est vide. Quant à la famille Humbert (on ne parle pas juste du couple, mais de la famille élargie : enfants, frères, soeurs, qui profitaient abondamment de l’arnaque), ils se sont tous envolés.

On les retrouve quelques mois plus tard, à Madrid, cachés sous de fausses identités, et c’est là qu’ils sont arrêtés et remis à la justice. Au terme d’un procès retentissant, suivi de près par toute la presse française, et après qu’elle ait baratiné tant et plus pour essayer de noyer le poisson, celle qu’on avait surnommé « La Grand Thérèse » et son mari sont condamnés à 5 ans de travaux forcés, tandis que les deux frères, Romain et Émile, écopent de 2 et 3 ans.

Série de cartes postales satiriques à l’effigie des membres de la famille Humbert (vers 1905). En haut à gauche, Thérèse est représentée au sein de son coffre-fort qui ne contient rien d’autre qu’un lapin et un bouton de culotte.
Carte postale montrant les magistrats assistant à l’ouverture du coffre (1903)
Carte postale montrant Thérèse, son frère Romain et sa soeur Marie.

UN LAPIN ? Pour une raison que j’ignore, le coffre-fort vide est représenté dans plusieurs illustrations et caricatures contenant… un lapin. Soit vivant, soit sous forme de statuette. J’ai même trouvé (voyez ici) un jeu de l’oie représentant l’affaire Humbert-Crawford, mais sous la forme d’un « jeu de lapin ». Je ne comprends pas bien le rapport, alors si vous connaissez le lien entre un lapin et de l’argent, ou peut-être un lapin et une arnaque, je suis preneuse !


« Le coffre-fort de Madame Imbert », une aventure d’Arsène Lupin

Une fiction bien inspirée

En 1907, soit cinq ans après l’arrestation et le procès de la famille Humbert, Maurice Leblanc publie Arsène Lupin, gentleman cambrioleur, un recueil de nouvelles dans lesquelles il met en scène pour la toute première fois celui qui deviendra son héros fétiche et un incontournable de la littérature française, mélange brillant, fantasque et fanfaron de Sherlock Holmes, Don Juan et Robin des Bois… Quoi, je ne vous ai pas dit que j’étais une très grande fan d’Arsène Lupin ? Si, si, j’en ai parlé ici, déjà…

Bref. L’une des nouvelles de ce premier recueil s’intitule Le coffre-fort de Madame Imbert, et, comme toutes les aventures d’Arsène, je l’ai lue plusieurs fois. Mais, ne connaissant pas l’affaire de la Grande Thérèse, je n’avais aucune idée que, tout du long, Maurice Leblanc faisait référence au véritable couple Humbert !

Voyez plutôt…

L’histoire

ATTENTION, c’est une histoire très courte et je vous raconte absolument tout ! 😉

Un soir, alors qu’un certain Ludovic Imbert est attaqué dans la rue par un malfrat, il est sauvé in extremis par un vaillant jeune monsieur qui passait par là et qui se présente à lui sous le nom d’Arsène Lupin. Quoi ? Une attaque simulée et arrangée exprès, vous pensez ? Rhôôôô… Meuh non… En tout cas, ni une, ni deux, voilà notre Lupin invité à souper dans le très chic hôtel parisien où vivent M. Imbert et son épouse pour le remercier de son intervention salvatrice, soirée au cours de laquelle tous trois sympathisent, et comme Lupin se fait alors passer pour un jeune homme désargenté, les Imbert lui offrent même de l’embaucher comme secrétaire particulier.

Notre cambrioleur préféré est satisfait : il a un pied dans la place, il aura bientôt la main sur le butin. Car Gervaise Imbert serait en effet l’héritière d’un riche Américain nommé Brawford, héritage contesté par les neveux de ce dernier, qui fait que la dame en est réduite à faire des emprunts à la banque en attendant de toucher la fortune qui lui revient. Elle possèderait des titres valant beaucoup d’argent qu’elle et son mari gardent dans leur coffre-fort. Il y a bien des rumeurs disant que les Imbert sont des escrocs et que cette histoire ne tient pas, mais Lupin s’en fout, il veut avant tout les dépouiller (et puis, je rappelle que Lupin est un peu Robin des Bois : il aime s’en prendre aux trop riches et aux pas assez honnêtes, les Imbert sont donc une cible parfaite).

Deux ou trois mois passent, où Lupin joue assez peu son rôle de secrétaire, puisque ses patrons ne lui donnent absolument rien à faire et, au contraire, ils le tiennent même à l’écart de la maisonnée, disant de lui à leurs invités qu’il est « un peu sauvage ». Un soir, il trouve enfin l’occasion qu’il attendait : M. Imbert est seul dans le bureau avec le coffre-fort ouvert, Lupin l’assomme proprement, s’empare de tous les papiers du coffre (des titres qu’il compte échanger plus tard contre de l’argent) et se sauve. Mais, bizarrement, le lendemain, le couple Imbert a disparu, et la police, qui débarque chez eux afin de les arrêter pour escroquerie, trouve le coffre ouvert et vide.

Quelques années plus tard, Lupin raconte à son biographe ce qui s’est réellement passé : alors qu’il pensait manipuler les Imbert pour les voler, en réalité c’était tout l’inverse ! D’abord, les titres étaient faux, juste du papier sans valeur. Ensuite, pendant tout le temps où il était chez eux en guise de secrétaire, les Imbert le faisaient passer pour… le neveu Brawford venu d’Amérique, celui-là même avec qui Gervaise devait parvenir à s’entendre pour hériter ! La présence de ce « Brawford » mettait les banques en confiance, qui prêtaient aux Imbert de fortes sommes d’argent avec l’assurance que l’héritage à venir rembourserait tout. Enfin, cerise sur le gâteau, Gervaise avait eu le toupet d’emprunter 1.500 francs à son secrétaire Lupin, une somme dont il n’avait jamais revu la couleur puisque les titres ne valaient rien et que les Imbert avaient disparu dans la nature ! Une arnaque qui lui fait d’ailleurs dire :

_ C’est la seule fois où j’ai été roulé dans ma vie. Mais fichtre ! Je l’ai bien été, cette fois-là, et proprement, dans les grands prix !

Avoir ou ne pas avoir la ref’…

Dans cette nouvelle, Thérèse Humbert s’appelle Gervaise Imbert, son mari Frédéric devient Ludovic, ils mènent eux aussi grand train dans un bel hôtel particulier situé avenue de la Grande-Armée, gardent leurs valeurs dans un coffre-fort, et le neveu Crawford est devenu Brawford… Maurice Leblanc écrit par exemple :

Gervaise, à son tour, dit sa jeunesse, son mariage, les bontés du vieux Brawford, les cent millions dont elle avait hérité, les obstacles qui retardaient l’entrée en jouissance, les emprunts qu’elle avait dû contracter à des taux exorbitants, ses interminables démêlés avec les neveux de Brawford…

Tout était donc fait pour qu’un lecteur de la Belle Époque s’amuse de cette parodie d’affaire Humbert-Crawford, contrairement à nous autres, pauvres lecteurs d’un siècle et des broutilles plus tard, qui n’avons pas la ref’


En conclusion

Le plus drôle, c’est qu’il y a 1 ou 2 semaines à peine, un de mes amis, à qui je parlais justement d’Arsène Lupin, me demandait pourquoi ce personnage a pris ce nom-là (sachant que c’est un pseudo, Arsène s’appelle en réalité Raoul). J’ai eu la réponse à cette question sans même la chercher, je suis tombée dessus par hasard en relisant Le coffre-fort de Madame Imbert, où j’ai trouvé :

Arsène Lupin n’avait pas alors cette célébrité que lui ont value l’affaire Cahorn, son évasion de la Santé, et tant d’autres exploits retentissants. Il ne s’appelait même pas Arsène Lupin. Ce nom auquel l’avenir réservait un tel lustre fut spécialement imaginé pour désigner le sauveur de M. Imbert, et l’on peut dire que c’est dans cette affaire qu’il reçut le baptême du feu. Prêt au combat, il est vrai, armé de toutes pièces, mais sans ressources, sans l’autorité que donne le succès, Arsène Lupin n’était qu’apprenti dans une profession où il devait bientôt passer maître.

Quant à la vraie Thérèse Humbert, c’était une femme du peuple qui s’était élevée dans la société en ridiculisant les banquiers et la justice (les « puissants », quoi), ce qui fait que le public et les journaux ne l’ont jamais vraiment détestée et ce qui explique peut-être qu’elle ait eu une sentence plutôt clémente. Par contre, après avoir tant brillé dans le Tout Paris, elle n’a plus jamais fait parler d’elle, au point que certains prétendent qu’elle a immigré aux États-Unis, pays de son fameux Crawford. La réalité est plus banale : elle aurait fini ses jours très modestement dans un petit appartement de la région parisienne, quelque part dans les années 1940.

SOURCES :
Wikipédia - Thérèse Humbert
Qui était Thérèse Humbert, la reine de l’escroquerie ?
Livre - Impossibles victimes, impossibles coupables - "Les millions et les picaillons" de la "Grande Thérèse" (1878-1903), par Frédéric Chauvaud (2019)
Journal - Le XIXe siècle, édition du 22 décembre 1902, "L'affaire Humbert-Crawford"
Musée du Barreau de Paris - L'affaire Humbert-Crawford
Musée du Barreau de Paris - Zoom sur le « Jeu du lapin de la Grande Thérèse »
L'affaire Thérèse Humbert
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