Époque georgienne,  Époque Régence anglaise

Les fiançailles, le mariage et la lune de miel

Quelques explications sur les coutumes (et les lois !) qui avaient cours du temps de Jane Austen, parce que j’ai appris plein de trucs vraiment intéressants pendant mes recherches ! 🙂


Se fiancer

Les 3 semaines de fiançailles obligatoires

En Angleterre, au début du XIXème, la loi oblige les fiancés à patienter un minimum de 3 semaines avant de pouvoir se marier.

Bien entendu, ce n’est pas une simple période de réflexion, du genre « Es-tu certaine de vouloir épouser cet homme-là, fille ? Penses-y bien ! » 😉 Il s’agit plutôt de publier les bans du mariage, c’est à dire de l’annoncer publiquement, et de laisser le temps aux gens d’apprendre la nouvelle et de se manifester si jamais ils connaissent une bonne raison qui pourrait l’empêcher.

On annonce donc les fiançailles dans la presse, mais surtout on les déclame à voix haute le dimanche, à l’église. En effet, c’est l’église qui gère l’état civil (naissances, mariages, décès), et comme c’est l’endroit où les paroissiens se réunissent régulièrement c’est un bon moyen de s’assurer qu’ils ont tous reçu le message (en plus, la presse c’est bien joli, mais tout le monde ne sait pas lire…). Trois semaines de fiançailles, ça signifie que le mariage à venir sera annoncé pendant trois dimanches consécutifs.

C’est la même chose dans nos églises catholiques françaises : à la fin de la messe, on annonce toujours les nouvelles de la paroisse, incluant les mariages à venir. Sauf que Napoléon est passé par là et a tout laïcisé, c’est pourquoi, de nos jours, l’administration municipale a pris le relais et les bans sont plutôt annoncés sur le babillard de la mairie.

Publier des bans ? Mais pour quoi faire ?

Maintenant, me direz-vous, qui pourrait avoir envie d’emmerder les gens empêcher les gens de se marier ? Hé bien, il faut se rappeler que, de façon générale, l’information ne circule pas, dans le pays, alors même si la paroisse garde un registre officiel des naissances/mariages/décès, tout cela reste très local.

Qu’est-ce qui empêche Pierre-Paul de se marier dans sa ville natale, puis, quelques années plus tard, d’abandonner sa femme et ses 6 enfants pour recommencer sa vie ailleurs ? Arrivé dans une nouvelle région où personne ne le connaît, s’il décide d’épouser une jolie môme en se prétendant célibataire et sans enfants, qui va aller vérifier que c’est vrai ? Personne, bien entendu ! C’est pourquoi le délai de 3 semaines laissait une petite chance pour qu’un voisin ou un arrière-cousin qui passait par là apprenne le futur mariage et se pointe en disant : « Bah, ça sera pas trop possible, parce que Pierre-Paul, je le connais bien, et en fait… ben… il est déjà marié ! »

Mais ne vous y trompez pas : le scandale, ce n’est pas tant que Pierre-Paul a lâchement abandonné femme et enfants, c’est surtout qu’il s’apprête à commettre le crime de bigamie ! Et ça, c’est considéré comme très grave, c’est véritablement un sacrilège pour l’Église par rapport à l’aspect sacré des liens du mariage.

Un homme qui essaye de se marier en catimini, en passant sous silence le fait qu’il a déjà une épouse (enfermée au grenier), et qui se fait interrompre au dernier moment par l’arrivée du frère de ladite épouse, ça ne vous rappelle pas un roman célèbre ? 😉

À l’opposé, il n’y avait pas de durée maximum pour des fiançailles. Comme je le raconte ici, le fiancé doit montrer qu’il pourra subvenir aux besoins de sa future femme et de leurs enfants à venir, alors s’il n’est pas assez fortuné, les parents vont conseiller aux deux amoureux d’attendre un peu, le temps que le fiancé amasse assez d’argent et prépare un nid douillet pour sa belle. Et dans ce cas, les fiançailles pouvaient durer des années…

La licence spéciale

Si on a de l’argent et qu’on est très très pressé, il y a un moyen pour éviter d’attendre 3 semaines : on demande une licence spéciale à l’archevêque de Canterbury (et on la paye cher !).

L’archevêque de Canterbury, c’est le chef de l’église anglicane (depuis la création de cette religion par le roi Henri VIII, le vrai chef c’est le roi/reine d’Angleterre en personne, mais dans les faits c’est l’archevêque qui gère)(je racontais ça ici). C’est l’équivalent d’un pape, quoi. Et il est le seul à pouvoir accorder ces licences spéciales, qui sont donc des dérogations permettant de célébrer le mariage illico et à n’importe quel endroit.

Ça peut être pratique si la dame est enceinte, si le futur marié doit partir à la guerre, tout ça tout ça… Ou alors, on le fait juste parce qu’on aime bien montrer qu’on a de l’argent et des privilèges.

Mrs. Bennet, en apprenant que Darcy a demandé sa fille en mariage, s’exclame : « Il faut que vous soyez mariés par licence spéciale ! ». En réalité, il n’y a aucune raison particulière de le faire, c’est juste que ça fait très classe (et que Mrs. Bennet pourrait se pavaner comme il faut auprès de ses voisines 😉 )


Se marier

Quand on se marie dans les règles de l’art…

L’âge minimum est de 16 ans, et si on est encore mineur (moins de 21 ans) on doit obligatoirement avoir le consentement de ses parents ou de son tuteur légal. Cela dit, même lorsque les amoureux sont majeurs et libres de faire comme ils veulent, de façon générale le jeune homme ira quand même demander l’accord du père de la jeune fille, question de politesse et de respect.

Ensuite, on se marie à l’église, devant un pasteur et en présence de deux témoins officiels. Une fois la cérémonie terminée, les mariés et leurs témoins signent le registre de la paroisse pour « acter » l’évènement, et on donne à la jeune mariée une copie de cet acte de mariage.

Pourquoi elle seulement, et pas son mari ? Parce que la position des femmes est précaire, et c’est elle qui court le plus de risques au cas où le mariage tournerait mal.

Gravure satirique de l'époque de la Régence : les tourments du mariage
The torments of marriage (« les tourments du mariage », caricature anglaise, début 1800)

Les femmes n’ont aucunes possessions à elles et, même si le divorce existe, il est rare et difficile (voyez les détails ici). Alors si, quelques années plus tard, le couple ne s’entend plus, il y a beaucoup plus de chances que ce soit Monsieur qui disparaisse dans la nature ou bien qui refuse de pourvoir aux besoins de Madame (logement, habillement, nourriture…). Auquel cas celle-ci sera forcée de faire valoir ses droits devant la justice, et comme les informations sur l’état civil ne sont pas centralisées, il faut qu’elle puisse prouver qu’elle est bien l’épouse légale.

Posséder une copie de son acte de mariage, quand on est une femme, c’est un genre d’assurance !

Et quand on fait les choses en douce…

Si on est mineur et que les parents sont opposés au mariage, on peut forcer le destin et fuguer ensemble pour aller se marier quand même.

La destination privilégiée pour ça, c’était Gretna Green, une petite ville juste de l’autre côté de la frontière avec l’Écosse. La législation écossaise étant plus souple, elle autorise les mariages dès 16 ans, sans accord parental, sans semaines obligatoires de fiançailles, et en présence de 2 témoins (qui peuvent être n’importe qui, par exemple le sonneur de cloches et l’aubergiste du coin, qu’on aura payés pour ça).

Ce qui fait que les amoureux illégitimes peuvent se mettre en règle malgré tout… et affronter plus tard la fureur de leurs parents. Le mariage écossais étant tout à fait légal, le mal est fait et il n’y aura plus, pour les familles, qu’à s’accommoder de la situation.

Lydia Bennet dans Orgueil et préjugés

C’est toute l’histoire de Lydia, qui, en s’enfuyant avec Wickham, pensait se rendre à Gretna Green pour se marier (soooo romantic !). Bien évidemment, Wickham n’en avait pas la moindre intention, et il ne l’aurait jamais épousée si Darcy ne lui avait pas tordu le bras pour le faire.

Pour l’anecdote, Gretna Green est aujourd’hui encore une ville reconnue pour ses mariages : il semblerait qu’on en célèbre 5000 chaque année. Le Las Vegas du mariage écossais !

La noce

J’expliquais ici que les mariages sont des évènement assez simples, pas aussi mémorables que ce qu’on essaye de faire de nos jours.

Ils ont lieu le matin. Grosso modo, à 9h on est à l’église pour se marier devant les proches (ce n’est pas public, et c’est un mariage seulement, pas une messe entière), et à 10 ou 11h on se retrouve quelque part (souvent chez les parents de la mariée) avec la famille et les amis pour un déjeuner (c’est à dire un petit déj’ mais en bien plus élaboré, j’ai fait une description des repas ici). Pas d’alcool, pas de grandes robes de bal, pas de défilé en fanfare dans les rues de la ville… Non, on fait très simple. On fête un peu, et dans l’après-midi chacun rentre chez soi. Le marié ramène alors sa nouvelle épouse chez lui et c’est là qu’aura lieu la nuit de noces.

Notez que les gens ne vivent pas forcément tout seuls : une jeune fille quittera la maison de ses parents pour celle de son mari, mais celui-ci vivra peut-être encore avec ses propres parents, ou bien hébergé chez un oncle ou un frère plus âgé, ou encore avec des frères/soeurs non mariés et dont il a lui-même la charge, ou enfin avec des membres de la famille qui séjournent là…


Partir en lune de miel

En voyage, oui, mais au bout du monde, non

Dans les jours qui suivent le mariage (et à condition d’en avoir les moyens), on organise un voyage.

Voiture à cheval de type berline

Je rappelle, parce qu’il faut bien le comprendre, que c’est compliqué de voyager, à l’époque. Le train n’existe pas encore, et les voitures à cheval ne font pas plus de 12km/h, à condition que les routes soient praticables (et elles ne sont pas goudronnées, donc les ornières et la boue devaient être une plaie !) (plus de détails ici).

En plus, il faut déjà posséder la voiture et les chevaux (et ça coûte horriblement cher !), ou sinon emprunter les diligences publiques surchargées en gens et en bagages et qui avancent encore moins vite. Sans compter qu’il faut s’arrêter toutes les deux heures pour faire reposer les chevaux… À ce rythme-là, on n’est pas rendus ! Ne vous laissez pas influencer par les cavalcades à bride abattue qu’on voit dans les films, car elles n’ont rien de réaliste !

Parcourir ne serait-ce que 30 ou 40km, c’était déjà une sacrée expédition, alors on n’allait certainement pas faire un voyage de noces romantique jusqu’à Paris ou Venise !

Le « tour de la mariée »

En fait, au lieu d’une lune de miel au sens où on l’entend aujourd’hui, c’est à dire un voyage en amoureux, les gens faisaient plutôt un bridal tour (un « tour de la mariée »). Ça consistait à faire le tour des membres de la famille qui habitent loin et qui n’ont pas pu assister au mariage, afin de leur présenter le ou la marié(e).

Ce n’était donc pas un tête à tête intime entre les époux, mais bien un voyage à vocation sociale. D’ailleurs, les jeunes mariés étaient parfois accompagnés d’autres membres de la famille. Ces derniers profitaient des plaisirs du voyage (puisque les occasions sont rares de voir du pays !), mais pouvaient aussi tenir la chandelle, car les époux se sont peut-être mariés sans avoir eu l’occasion de passer beaucoup de temps ensemble et de vraiment se connaître. Auquel cas, la mariée emmenait 1 ou 2 soeurs/cousines avec elle, pour faire diversion et ne pas se sentir trop intimidée par son nouveau partenaire.

Ce genre de voyage durait une quinzaine de jours, en fonction du nombre de gens à visiter, des distances à parcourir et des finances du couple. Puis on rentrait chez soi et la vie conjugale quotidienne commençait.


En conclusion

J’ai vu passer des austeneries qui déformaient sans complexes la chronologie et se moquaient bien de la vraisemblance de leur histoire. Elizabeth et Darcy fiancés pendant des mois et des mois ? Jane accouchant de son deuxième enfant à peine plus d’un an après les évènement du roman ? Euh ?

Bien sûr, moi aussi j’ai fais n’importe quoi quand j’ai écrit la première verion de La renaissance de Pemberley il y a 10 ans, parce que j’étais dans un contexte de fanfiction ludique et amateure, et que je me moquais pas mal de savoir si mon histoire tenait la route historiquement parlant (si vous voulez lire cette version fantasque, c’est ici). Mais quand on publie un roman, c’est pas pareil : il me semble qu’on devrait y mettre un peu plus d’effort.

Orgueil et préjugés nous dit qu’Elizabeth accepte la demande en mariage de Darcy début octobre et qu’ils sont mariés avant Noël, ce qui est cohérent avec ce que je viens de vous raconter, car il n’y a aucune raison pour que leurs fiançailles se prolongent très longtemps au-delà des 3 semaines réglementaires.

Ce qui fait que le double mariage devrait tout naturellement avoir lieu quelque part en novembre. C’est aussi simple que ça ! 🙂

Double mariage dans Orgueil et Préjugés en version série télé de la BBC
Pssst ! Vous voulez savoir si les mariées portaient vraiment des robes blanches comme celles-là ? Je vous en parle ici ! 😉

ET POUR ALLER PLUS LOIN sur le sujet du mariage et du divorce, avec les règlements qui encadraient tout ça, je vous renvoie vers cet article plus détaillé, ici !

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