Époque Régence anglaise

L’éducation scolaire pendant la Régence anglaise

Il y a longtemps, j’ai écrit un article sur le rôle de la gouvernante, ici, où je m’attardais un peu sur le type d’éducation qu’elle donnait à domicile aux enfants dont elle avait la charge. Ce cas ne concerne bien sûr que les familles les plus riches, qui ont les moyens de s’offrir une employée à demeure. Mais que font les autres, alors ? Les familles de la classe moyenne, les enfants de commerçants, d’artisans, de notaires ou de pasteurs… ? Si ce n’est pas Maman qui fait l’école à la maison, comment ça se passe ?

Hé bien, on va voir ça…


Aller à l’école au tout début du XIXe

Différents types d’écoles

Vu comme le sujet est vaste, il faudrait tout plein d’articles pour dresser le portrait de l’éducation scolaire au fil des siècles, alors je vais juste tenter de résumer quelques grandes lignes, histoire de placer un peu le contexte.

En Angleterre, les premières écoles apparaissent vers le VIe siècle. Elles sont tenues par des institutions religieuses et servent à former le futur clergé, c’est à dire des fils cadets de l’aristocratie destinés à devenir prêtres ou évêques. Par la suite, pendant le Moyen-Âge, la Renaissance, puis l’époque moderne avec les XVIIe et XVIIIe siècles, les écoles s’ouvrent progressivement à la population laïque, ce qui fait qu’en arrivant au XIXe siècle, on en trouve globalement trois types :

  • les charity schools : ce sont des oeuvres de charité, financées par des donateurs et offertes gratuitement à des enfants pauvres. C’est par exemple dans ce contexte qu’on trouvera l’enseignement scolaire de base fourni aux orphelins « apprentis de la paroisse » (dont j’avais parlé ici) ou bien les petites écoles de village ouvertes par le pasteur du coin ou par une bienfaitrice.
  • les dame schools : ce sont de petits écoles privées, payantes, et tenues – je vous le donne en mille – par des dames. En gros, des mamans ou d’anciennes gouvernantes cherchant à se faire un peu d’argent en ouvrant leur propre établissement et en y accueillant quelques enfants. Ça restait à échelle très familiale, puisqu’elles faisaient l’école directement chez elles, soit aux enfants du coin, soit à des enfants venus de plus loin et qu’elles prenaient en pension. Ces écoles ne coûtaient que 4 ou 5 shillings par an, elles étaient donc abordables pour des enfants de commerçants ou de travailleurs.
  • les public schools : comme leur nom ne l’indique pas, ce sont des écoles privées et payantes. On les appelle « publiques » pour faire référence au fait que les élèves peuvent y entrer sans distinction de provenance, de religion, de rang social, d’origine familiale, de métier des parents, etc. Autrement dit, n’importe quel élève peut être accepté… à condition qu’il ait les moyens de payer l’entrée, car les écoles les plus renommées ou prestigieuses coûtent jusqu’à 20 guinées par an (420 shillings ! c’est pas mal plus qu’une dame school, ça !). Alors oui, bon, c’est vrai, ces écoles offrent parfois des bourses d’études aux élèves méritants et n’ayant pas les moyens de payer de leur poche, n’empêche que c’est évidemment l’argent qui filtre les élèves : les plus riches iront dans des écoles publiques de riches, les moyens dans des écoles publiques de moyens, et ainsi va la vie.
Le pensionnat La Fontaine, à Marylebone, par James Miller (1780). Ça m’a tout l’air d’une public school, ça ! Mais ne me demandez pas pourquoi ils amènent un dromadaire dans leur école, ça m’échappe… 😉

En résumé…

… les classes sociales moyennes et supérieures s’éduquent dans des public schools plus ou moins prestigieuses en fonction de leurs moyens, tandis que les travailleurs en bas de l’échelle s’éduquent très peu, voire pas du tout.

Ça ne veut pas dire qu’ils étaient tous complètement analphabètes, mais ils étaient illettrés à différents degrés, n’ayant été à l’école que deux ou trois ans, ou alors de façon sporadique à raison de quelques mois par-ci, par-là (« Pour le moment, tu n’y vas plus, on a trop besoin de toi à la ferme ! On verra plus tard, si tu as le temps… »). Ils savaient à peu près compter, signer leur nom ou déchiffrer quelques petites choses, mais sans pouvoir lire ou écrire couramment, et certainement sans connaître la géographie mondiale, ni apprendre le latin ou le français… Tout ça est à mettre dans la balance avec le travail des enfants, mais aussi avec des habitudes de l’époque, comme par exemple le fait d’apprendre à lire aux filles et aux garçons, mais à écrire seulement aux garçons (puisqu’on suppose que les filles auront plus tard un mari pour s’occuper des papiers importants de la vie courante).

Il faut dire aussi que la qualité de l’enseignement est très TRÈS aléatoire, on trouve tout et n’importe quoi. L’État ne finance rien, le ministère de l’Éducation n’existe pas, il n’y a aucune réflexion au niveau gouvernemental pour décider de ce qu’un élève devrait obligatoirement apprendre, du nombre d’années d’études, ni de quels standards une école devrait respecter. La base, c’est d’apprendre à lire, écrire et compter, mais pour le reste, chaque établissement fait bien ce qu’il veut.


Précision

Je disais à propos de la gouvernante, ici, que dans les familles des classes supérieures, ce sont majoritairement les garçons qu’on envoie au pensionnat (pour se former, se fortifier et découvrir le monde) et les filles qu’on garde à la maison auprès de leur gouvernante (puisqu’elles n’ont rien de plus important à apprendre que la couture, la danse, le dessin) (oui, je caricature et j’ironise ! 😉 ).

C’était à peu près ça, mais ça n’est qu’une tendance. L’inverse existait aussi : on pouvait très bien avoir des garçons qui restent toute leur jeunesse à la maison en étudient avec leur gouvernante ou un tuteur, tandis qu’on envoyait les filles au pensionnat.

Je sais, je sais, il n’y a jamais de réponse claire, c’est toujours un peu de tout, avec plein de nuances… 😉


Les pensionnats pour garçons

On envoie les garçons à partir de 8 ans environ, à moins que ce ne soit seulement vers 12 ans – encore une fois, il n’y a pas d’âge obligatoire pour commencer ou terminer, c’est du cas par cas en fonction de ce que les parents décident. Ils y restent jusqu’à 18 ans, après quoi certains peuvent choisir de poursuivre à l’université pendant 1 ou 2 ans, et parfois jusqu’à 5 ans si jamais ils se forment à des métiers spécialisés (droit, religion, affaires…).

Ils pouvaient être logés directement dans l’école, et si ce n’était pas possible ils pouvaient aussi avoir leur logement dans une dame house (une maison familiale, donc, où la propriétaire agit comme une maman pour ses pensionnaires) et se rendre à l’école chaque jour.

PSSST… Je souligne aussi qu’il existe aussi des grandes écoles de type Académie Royale de la Marine qui prennent les élèves à 12 ans pour en faire des officiers en poste à 21 ans.

La salle de classe, par Thomas Webster (1820). Il s’agit d’une étude, pas d’une peinture finale, mais on devine bien l’ambiance d’une école, avec les manteaux accrochés au mur, les enfants qui chahutent, celui qui revient d’être allé faire pipi, le professeur qui fait répéter un élève, et le bonnet d’âne dans le fond.

Les pensionnats pour filles

Description

Pour les filles, c’est pareil, on peut très bien les envoyer au pensionnat dès 8 ans. Par contre, leur éducation est globalement considérée comme moins essentielle que celle des garçons, puisqu’on pense que les filles sont vouées à n’évoluer que dans la sphère domestique, donc elles pourront plus facilement être retirées de leur pensionnat et revenir dans leur famille pour aider un proche malade, une mère fatiguée, etc. Elles pourront aussi terminer leur pensionnat un peu plus tôt, vers 16 ans plutôt que 18, si jamais les parents jugent pertinent de les mettre sur le marché du mariage assez vite.

Une demoiselle ne chantera pas de façon moins délicieuse, ni ne dansera de façon moins élégante parce qu’elle s’y connaît un peu en philosophie naturelle ou qu’elle est familière avec l’Histoire de son propre pays,

« Advice to Young Ladies on the Improvement of the Mind, and the Conduct of Life« , par Thomas Broadhurst (1808)

L’auteur ci-dessus dirigeait un pensionnat pour jeunes filles, et il faisait visiblement partie de ceux qui tiennent à leur enseigner des choses sérieuses ! Il faut dire que d’autres écoles mettaient plutôt l’accent sur les mondanités comme le chant, la danse, le dessin, l’art de se mettre en valeur, bref : les fameux « accomplissements » qui semblaient si indispensables pour se trouver un mari et dont Jane Austen savait si bien se moquer (on en a parlé ici).

En fait, lorsque les écoles faisaient leur publicité dans les journaux, elles annonçaient tout simplement leur programme. En voici un exemple :

Pensionnat pour jeunes filles

Au séminaire de Mrs. Williams, à Bishop Auckland, les jeunes filles apprennent la couture et la broderie, l’écriture, l’arithmétique, la grammaire, la géographie et l’Histoire. 20 guinées par an. Pas de vacances. Français, musique, dessin et danse par d’éminents maîtres. L’endroit est salubre et charmant, et l’on porte la plus stricte attention à leur santé et à leur morale. Références et informations chez Mr. Maylam, 19 Berner’s Street, Commercial Road. Recherchons une jeune dame maîtrisant le français pour un poste de professeure.

Public Ledger and Daily Advertiser (1817)
Le Dr. Syntaxe visite un pensionnat pour jeunes filles, par Thomas Rowlandson (1820). Une façon humoristique de dire que ces filles vont – théoriquement – apprendre à bien s’exprimer pendant leur séjour au pensionnat. Rappelons qu’on attend toujours des femmes qu’elles soient divertissantes et sachent faire agréablement la conversation, c’est donc un aspect-clé dans leur éducation.

Un moyen de s’élever dans l’échelle sociale

Pour certaines filles, le pensionnat était l’occasion de sortir de leur milieu d’origine et d’acquérir ces « accomplissements » qu’elles n’auraient peut-être pas pu avoir autrement. Cela les envoyait vivre loin de chez elles et leur permettait de se lier d’amitié avec d’autres élèves, voire, avec le temps, de faire des rencontres et de se faire remarquer dans ces cercles sociaux qu’elles n’auraient pas eu l’occasion de fréquenter au départ.

Ça donne des caricatures rigolotes, comme celle-ci :

Le fermier Giles et sa femme présentant à leurs voisins leur fille Betty à son retour du pensionnat, par James Gillray (1808). Le père est tout excité d’exposer les talents musicaux de sa fille pour montrer quelle bonne éducation elle a reçu pendant toutes ces années. Sauf que la caricature insiste sur le fait que Giles est un fermier – visiblement très riche, mais néanmoins simple fermier -, on souligne son orgueil avec le prix qui récompense le succès de sa ferme (accroché au-dessus du pianoforte), et on raille la vulgarité de sa fille à travers l’espèce de diplôme qu’elle a reçu (sur le mur du fond) et qui dit d’elle : « Un talent diabolique pour la conversation, et des bonnes manières à revoir ». On se moque ainsi d’un homme qui a envoyé sa fille au pensionnat avec le vain espoir d’en faire une demoiselle de qualité capable de se marier dans un milieu social supérieur au sien.

Mais à vouloir se trouver un mari trop vite…

Ajoutez à cela que, dans un pensionnat, la demoiselle est loin de ses parents et de sa famille, donc si elle n’est pas bien surveillée par les dirigeants de l’établissement, il peut lui arriver des aventures.

La fin du XVIIIe et le début du XIXe sont une période où les pensionnats pour jeunes filles se multiplient dans tout le pays, et avec eux les anecdotes dans les journaux : « Une riche héritière enfuie avec son amant », « Une riche héritière enlevée par son cousin », « Une riche héritière disparaît de son école… »

Voui, là aussi, je caricature, mais vous saisissez l’idée. Une gamine de 13 ou 14 ans, loin de chez elle, peut recevoir du courrier sans que ses parents le sachent, se laisser monter la tête et fomenter une fugue pour aller se marier à Gretna Green avec son amoureux (voyez ici). C’est souvent l’histoire d’une ado naïve manipulée par un homme qui veut mettre la main sur sa dot, quand ce n’est pas une gamine réellement enlevée et épousée de force, et les parents, mis devant le fait accompli, n’ont alors que deux choix : accepter le gendre indésirable, ou se tourner vers la justice pour faire annuler le mariage.

Ces histoires-là étaient souvent beaucoup moins romantiques ou spectaculaires qu’elles paraissaient.

La fugue, par Thomas Rowlandson (1820). L’écriteau à droite porte la mention « Pensionnat pour jeunes filles », on est donc bien dans le cas d’une jeune élève qui, après avoir lancé ses bagages qu’un complice charge dans la voiture, passe par-dessus son balcon pour rejoindre son amoureux. Je ne sais pas si c’est fait exprès, mais je note la couleur de ses bas, qui pourrait être une référence aux Bas-Bleus, ces femmes éduquées et cherchant à s’émanciper dont on a déjà parlé ici.

En conclusion

Dans la suite du XIXe, l’éducation s’est encore développée et j’aurai sûrement d’autres trucs à vous raconter plus tard sur les écoles de l’époque victorienne.

Reste que c’est seulement à partir de 1870, après plusieurs années passées à analyser la situation (et à constater qu’elle n’était pas bien glorieuse, la situation !), que le Gouvernement a commencé à encadrer l’éducation des enfants entre 5 et 12 ans, et à injecter des fonds publics dans certaines écoles. La raison de cette préoccupation ? Éduquer la population pour qu’elle puisse voter de façon sage et éclairée, et disposer d’assez de cerveaux pour rester compétitifs dans la course au commerce et à l’industrie avec les autres pays…

SOURCES :
Wikipedia - History of education in England
Wikipedia - Dame school
Jane Austen's World - Regency schooling
Public schools in Jane Austen's day
Men’s education in the Regency period
Six images of schools in the Georgian era
Georgian Era Education
YouTube - How Jane Austen Survived Boarding School
The Regency Boarding School
Childcare in the Regency
Social Climbing Through Ladies’ Boarding Schools
Livre - Advice to Young Ladies on the Improvement of the Mind, and the Conduct of Life, par Thomas Broadhurst (1808)
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